Si nous souhaitons comprendre le pourquoi de la dernière mesure prise par Bank Al-Maghrib au fin d'une grande flexibilisation du cours de change du dirham dans la perspective de sa libéralisation, alors ne cherchons surtout pas du côté du discours officiel recyclé par une grande partie de la presse marocaine. Ce projet de libéralisation du cours du dirham, tant chéri par cette arme de destruction massive qu'est le FMI, n'est nullement motivé par une quelconque restauration de la compétitivité marocaine. Si la raison n'est pas donc là, la vérité doit être certainement ailleurs ! S'il ne s'agissait que de restaurer la compétitivité prix des produits marocains en agissant sur la parité de change du dirham, nous n'avons alors à ce moment là qu'à dévaluer notre monnaie nationale, et une simple décision de l'argentier du pays suffit à le faire. Bien qu'il demeure important de noter que cela ne peut en rien résoudre notre problème de compétitivité pour au moins deux raisons. Primo, notre déficit de compétitivité découle de sources d'ordre structurelle et institutionnelle (une économie plombée par la rente et la corruption, un système éducatif en crise, une administration corrompue et un appareil judiciaire faisant peur aux investisseurs étrangers, une classe d'affaires (une bonne partie) opportuniste et habituée à la distribution de rentes et allergique au risque...). Secundo, et toute économiste vous l'expliquera, quand vous dévaluez votre monnaie, les gains issus de la dépréciation du cours de change peuvent être complètement neutralisés par le renchérissement du coût des biens d'équipement et de l'énergie et des intrants importés de l'étranger. Ce qu'on gagne d'une main on le perd de l'autre ! Mais tout cela le décideur marocain devrait le connaitre fort bien et on lui apprend rien peut-être en le rappelant. On en vient donc à la vraie raison qui a motivé le chois de nos décideurs, et qui est celle de s'affranchir à l'avenir de toute responsabilité sur la gestion du cours de change de notre monnaie nationale et la déléguer au marché. Pas de responsabilité, donc pas de comptes à rendre, et si le cours du dirham subit un jour un coup de fouet face aux devises étrangères et que Bank Al-Maghrib ne peut rien faire face à une telle situation (par manque de réserves de changes), ce sera alors la faute au marché et au jeu de l'offre et de la demande. Des pressions montantes s'exercent sur nos réserves de change depuis bien des années, dues en partie à l'évolution de nos importations, mais elles sont dues également aux transferts de plus en plus croissants des bénéfices par les filiales étrangères, et au démantèlement de nombreuses restrictions de change opéré par le Maroc depuis de nombreuses années dans l'espoir de lutter contre l'évasion des devises et d'attirer plus d'investisseurs étrangers. Les jours ont confirmé qu'il ne s'agissait que d'un faux espoir nourri par quelques cercles de pouvoir, que l'on trouve pareil à l'origine du marathon des amnisties fiscales qui se suivent sans fin au Maroc. L'hémorragie des devises ne s'est jamais arrêté et il a fallu organiser une amnistie de change en 2014 pour voir quelques marocains détenant illégalement des avoirs en devises à l'étranger rapatrier une partie de ces avoirs. Une manière d'afficher la faiblesse de l'Etat davantage, au lieu de faire respecter la loi ! Rappelons juste à ce propos que les réserves de change sont une propriété collective de la nation et reviennent de droit à toute la société pour payer d'abord nos importations alimentaires et énergétiques et en biens d'équipements. Le citoyen pénalisé ? La libéralisation des changes au Maroc est une fausse solution pour un problème que l'on peut tâcher de résoudre autrement. Une fausse solution parce qu'une dévaluation, comme je l'ai dit précédemment, suffirait pour faire l'affaire même s'il faut dire que la valeur du dirham est déjà suffisamment dépréciée avec son niveau actuel, et sa dépréciation pénalisera gravement les investissements marocains à travers la hausse du prix des équipements (capital productif) qui sont tous importés de l'étranger. Et elle pénalisera également le gouvernement en augmentant la dette et le déficit budgétaire publics, et appellera davantage d'austérité et de mesures procycliques enfonçant l'économie nationale dans la crise. Et au final, elle pénalisera le citoyen. Un problème que l'on peut tâcher de résoudre autrement car nous disposons de moyens pour atténuer les pressions exercées sur nos réserves de change. Pour commencer, essayons de rétablir quelques restrictions de change que l'on a démantelé au cours des dernières années, et tâchons d'adopter quelques mesures d'ordre fiscal en vue de faire en sorte de lutter contre la dilapidation des réserves de change nationales dans des achats de consommation ostentatoire par l'importation de toutes sortes de produits de luxe destinés à une infime minorité de marocains (voitures luxueuses, bijoux...). Par quel genre de mesures pourrons-nous réduire l'hémorragie des devises induite par la consommation de ce type de produits sans pour autant faillir à nos engagement internationaux, notamment ceux pris dans le cadre de l'OMC ? Nous ne pouvons pas augmenter les droits de douane au-delà des niveaux déjà consolidés mais nous pouvons bien jouer sur la TVA et autres taxes indirectes pour les produits qui sont exclusivement importés de l'étranger. Nous pouvons taxer ces produits à 100% ou à 500% et il y a aucune législation internationale qui nous l'interdirait. Certes la clause de la nation la plus favorisée nous impose de réserver le même traitement aux produits importés qu'à ceux fabriqués localement, y compris en matière de fiscalité, mais à ma connaissance nous ne produisons pas à ce jour aucune Porsche ou Lamborghini au Maroc ! Pareil pour d'autres produits de luxe. Système éducatif : réforme urgente Mais le terrain gagnant bien entendu demeure celui de la réforme profonde et structurelle de notre économie. Une réforme qui passera forcément par la sortie de la rente et de la corruption, par une véritable réforme de notre système éducatif, et par un retour plus prononcé du rôle de l'Etat pour compenser les faiblesses de notre secteur privé en investissant dans les activités peu concurrentielles ou carrément absentes de notre économie (nous continuons encore à importer les boites métalliques utilisées dans nos conserves !). Une politique d'import-substitution ciblée et intelligente serait là d'un grand secours. Forcément pas l'import-substitution tel que conçu dans le cadre du paradigme cépalien dominant dans le tiers monde durant les années 50-70, et qui souhaitait monter l'échelle industrielle en un seul pas et aller directement vers la production des machines-outils, mais en montant progressivement dans la chaine de valeur comme on monte un escalier et comme le fait déjà si merveilleusement la chine. L'Etat pourrait à nouveau créer des entreprises productives et prévoir des sorties du capital dans un horizon temporel, en vendant une partie du capital au personnel de ces entreprises et une autre partie sur le marché boursier marocain qui souffre déjà énormément de son étroitesse. La valeur du dirham est déjà assez dépréciée comme cela, et les conséquences en matière d'érosion du pouvoir d'achat du marocain sont fort visibles pour celui qui veut voir la réalité en face. Au-delà de la question du cours de change, les ingrédients d'un soulèvement populaire généralisé sur plusieurs régions sont déjà en train de germer et il suffirait d'une flamme pour actionner l'explosion. Nul besoin alors de mettre l'huile sur le feu et ouvrir la voie à une dépréciation plus prononcée du dirham (cumulée sur les jours) en étendant la bande de fluctuation de sa parité de change, et en laissant aux banques le soin de le presser vers le bas avec la spéculation qui s'installera avec le temps (elle sera inévitable), ce qui induira un renchérissement du coût de la vie des marocains. L'indice des prix à la consommation senti par le marocain moyen quand il va faire ses courses au quotidien ne ressemble en rien à celui calculé par le HCP mais c'est une autre histoire. Un peu de rationalisme et de bon sens sont de rigueur. Nous sommes tous sur ce navire qu'est le Maroc, et nous n'avons nullement envie de vivre l'hiver arabe à notre tour, car il sera décidément plus glacial et plus agité chez nous. A bon entendeur !