«Nous avons récolté des résultats meilleurs qu'espéré. Les Marocains ont largement accordé leur confiance au Parti de la justice et du développement», entonne un Abdelilah Benkirane victorieux. Les militants venus nombreux au siège du parti reprennent des refrains tantôt à la gloire du parti, tantôt à celle de leur secrétaire général. 107 sièges, 81 sur les listes locales et 26 sur la liste nationale, les chiffres sont éloquents et c'est sur un ton taquin que le candidat au poste de chef de gouvernement s'est adressé, dimanche en fin d'après midi, aux journalistes nationaux et internationaux venus nombreux assister à la première conférence du PJD au lendemain de sa victoire aux élections. «Nous ne pouvons pas gouverner le Maroc en allant contre la volonté du roi», tient-il à éclaircir et «une fois pour toutes», avant de poursuivre : «le chef de l'Etat, c'est le roi». Toutefois, Benkirane ne cache pas sa volonté que l'action gouvernementale soit forte. Avec quel gouvernement et quelle majorité ? La question reste encore en suspens. Car, comme tient à le rappeler le candidat déclaré à la primature, il ne faut pas griller la politesse au monarque, et attendre qu'il désigne le nouveau chef du gouvernement. La possibilité de voir Saâd Eddine El Othmani ou encore Lahcen Daoudi nommés à sa place est une possibilité qu'il ne peut négliger en cette heure de gloire dans le siège du parti. En tout état de cause, comme lors de la campagne, c'est lui qui est sur le devant de la scène et c'est lui qui donne les grandes orientations du prochain gouvernement. Comme à son habitude, il joue cartes sur table et n'élude aucune question si ce n'est celle du vote sanction dont son parti aurait profité et qu'il préfère qualifier de vote de confiance. Revue d'effectif des positions du parti, selon son secrétaire général du parti et probable chef de gouvernement, sur les principaux enjeux de la période qui s'annonce. Les résultats Abdelilah Benkirane qui ne cache pas sa surprise devant l'étendue de cette victoire qui donne au parti une représentation complète au niveau national. La PJD a même fait des percées remarquables dans des régions, notamment dans les provinces du sud, où il n'avait jusque-là jamais décroché de sièges de parlementaire. Quant au timing de la publication des résultats, il estime qu'il est tout à fait logique avant d'expliquer : «Quand les choses se passent normalement, il n'y a pas de retard dans la publication des résultats». En clair, c'est parce qu'il n'y a pas eu de fraudes massives que les choses ont pri leur cours normal sans retard dans la publication des résultats. Le Roi «Personne ne peut gouverner le Maroc en allant contre la volonté du roi», tient à éclaircir le secrétaire général du PJD, une manière pour lui de lever toute ambigüité sur les relations du parti et donc du prochain gouvernement avec l'institution monarchique. Il explique toutefois qu'il faut arrêter de se murer dans une certaine appréhension quant à la réaction du monarque face au volontarisme gouvernemental. Pour lui, le respect dû à la personne et à l'institution royales ne doit pas empêcher le gouvernement d'imprimer la volonté et la force à l'action gouvernementale. Pour ce faire, il a raconté une anecdote sur Abdelhay Laraki, ancien Premier ministre dans les années 60, à qui le roi Hassan II avait expliqué que tant qu'il n'avait pas de veto royal, il pouvait aller de l'avant dans son entreprise gouvernementale. Pour conclure son propos à ce sujet, il rappelle en conclusion que «le chef d'Etat du Maroc, c'est le roi» Les alliances Pour pouvoir gouverner, le PJD devra se forger une majorité gouvernementale qui, selon la configuration actuelle, ne pourra émerger que d'une alliance. Pour le secrétariat général du parti vainqueur, la Koutla représente la priorité. C'est vers elle d'abord que le parti souhaite se tourner. Toutefois, si les choses semblent bien avancées avec l'Istiqlal, l'USFP pourrait être plus difficile à convaincre. Aussi, Benkirane a-t-il envoyé des appels du pied à la formation socialiste en louant les qualités de ses cadres et en expliquant qu'ils avaient en commun l'inimitié pour un parti qui a été créé pour juguler l'avancée du PJD, faisant référence au PAM. Toutefois, Benkirane souhaite bénéficier d'une majorité encore plus confortable et pour ce faire, il reste ouvert à d'autres partis qui pourraient rejoindre cette alliance gouvernementale. C'est le cas du Mouvement populaire dont le candidat à la primature a tenu à rappeler les liens historiques tout en regrettant son alliance avec le PAM. Même son de cloche pour le Rassemblement national des indépendant pour lequel la porte est encore ouverte dans le cadre d'une majorité élargie. Benkirane est cependant allé de son tacle à destination de l'actuel secrétaire général du parti, Salaheddine Mezouar, en qualifiant son prédécesseur, Mustapha Mansouri d'interlocuteur de qualité. Le gouvernement Abdelilah Benkirane ne cache pas sa volonté de présenter un gouvernement plus ramassé. Certains parlent d'une quinzaine de portefeuilles ministériels. À ce propos, il indique que certains départements pourraient se suffire de secrétariats d'Etat. Le candidat à la primature a aussi clairement signifié qu'en tant que parti largement vainqueur, il pouvait briguer certains ministères prioritaires avant de nuancer en expliquant : «Nous ferons passer la compétence et l'intégrité avant l'appartenance au parti». Cependant, s'il affirme que son gouvernement sera éminemment politique, il n'exclut d'ailleurs pas la possibilité du recours à des ministres technocrates, mais sans avoir à user du maquillage politique de circonstance. Au sujet des fameux ministères de souveraineté, Benkirane avance une réponse de normand en affirmant que tous les ministères sont de souveraineté et que la chose allait être discutée, mais qu'il fallait attendre que le roi nomme le chef du gouvernement pour éclaircir les choses. La presse «La presse n'a pas besoin des autorités pour lui montrer les limites à ne pas dépasser», affirme Benkirane à un parterre de journalistes venus pour la première fois en nombre au siège du parti. Le secrétaire général du PJD entend en tout cas nouer une relation bâtie sur la confiance et le respect mutuel avec le quatrième pouvoir. En ce qui concerne l'emprisonnement de Rachid Nini, l'ancien directeur de publication d'Al Massae, Benkirane a expliqué que tous les recours étant usités, il ne reste que la grâce royale. Aussi, a-t-il promis, de tenter un recours dans ce sens, s'il est porté à la tête du gouvernement. Le PAM «Il y a un an de cela, nous étions dans une situation très inconfortable, notamment à cause d'un certain parti né pour nous combattre», rappelle sur un ton moqueur Abdelilah Benkirane et d'enchaîner : «Le printemps arabe nous a donné plus de force pour contrer ce péril». Le secrétaire général du PJD ne mâche pas ses mots concernant le Parti authenticité et modernité, même s'il prend la précaution de ne jamais citer son nom. Il en fait d'ailleurs la seule ligne rouge dans le jeu des alliances qui s'ouvre. L'inimitié est affichée et elle prend tout son sens quand pour signifier la possibilité de rapprochement avec l'USFP, Benkirane en fait un ennemi commun aux deux formations tout en allant de ses moqueries quant à un PAM qui se voyait déjà aux manettes du pouvoir exécutif. Mouvement du 20 février «Les militants du 20 février sont nos frères et nos enfants. D'ailleurs, mon propre fils est sorti avec eux», explique sur un ton conciliant celui qui aura peut-être bientôt à faire face aux premières manifestations de ce mouvement contre son gouvernement. Il s'est en tout cas dit ouvert au dialogue et qu'il prendrait en compte tout proposition du mouvement du 20 février qui coulerait de source. Il explique toutefois que son parti a choisi de ne pas aller vers la rupture avec les autorités et que les urnes lui ont donné raison en ce soir de victoire électorale. Al Adl Wal Ihsane «Al Adl Wal Ihsane sont nos frères et nous avons beaucoup de respect pour eux, notamment Abdessalam Yassine. Nous partageons beaucoup de valeurs communes», affirme Abdelilah Benkirane avant de nuancer en expliquant qu'ils n'étaient en désaccord que sur l'attitude de rupture vis-à-vis des autorités. Aujourd'hui, il les invite à revoir leur position à la lumière de la large victoire du parti justice et développement qui tend à recridibiliser la scène politique marocaine. Les libertés individuelles «Nous nous engageons dans l'action gouvernementale avec des priorités claires. Il n'est donc pas de notre ressort de remettre en cause les libertés individuelles», explique-t-il avant d'y aller de sa boutade : «Si nous arrivons à régler, si ce n'est qu'en partie, les grands problèmes du Maroc, les buveurs trouveront moins de raison de boire de l'alcool». Plus sérieusement, il a tenu à signifier clairement qu'il n'a pas pour objectif de remettre en compte les libertés individuelles et que chacun est libre de faire ce qu'il veut dans les limites de la loi. Les relations internationales «Nous avons des relations philosophiques et historiques avec l'Europe et l'Occident en général. Elles ne peuvent donc aucunement être remises en cause», affirme-t-il avant d'expliquer : «Toutefois ces relations gagneraient à être rééquilibrées en faveur du Maroc». En ce qui concerne l'Afrique, pour lui, il faut pousser la collaboration avec les pays de notre continent et même si cela nous coûte de l'argent aujourd'hui, nous en retirerons le bénéfice dans le futur. Benkirane souhaite rehausser le niveau des relations avec les pays arabes surtout dans le contexte actuel. Enfin, pour la Turquie, il estime que les relations sont bonnes et qu'elles ne pourraient que s'améliorer après l'accession du PJD au pouvoir.