Dans «Suburbicon», un des films les plus attendus de la Mostra, George Clooney s'empare de la caméra pour raconter une Amérique raciste, une histoire qui fait écho aux évènements récents de Charlottesville. Retour sur un polar à la fois dur et comique porté par un couple Matt Damon-Julianne Moore sordide. Le début du film est portant rassurant et coloré. Une voix off présente la banlieue «Suburbicon», une banlieue sûre des années 50 où tout Américain peut aspirer à l'American Dream. Un facteur distribue le courrier et se balade de maison en maison jusqu'à tomber sur une femme noire. Le facteur pense d'abord à une servante avant qu'elle ne lui apprenne qu'elle est la maîtresse de maison. S'en suit un bouche à oreille incroyable qui va pousser la ville entière à s'opposer à cette famille noire, qui est «forcément un danger pour la communauté». Le film s'inspire de faits survenus en 1957 à Levittown (Pennsylvanie), où William et Daisy Meyers devinrent les premiers habitants noirs de la commune. En parallèle, le film raconte l'histoire d'une famille blanche d'apparence parfaite qui va vivre un drame où Matt Damon et Julianne Moore enchaînent les situations à la fois tragiques et comiques. Un film enragé et engagé, qui montre un George Clooney plus en colère que jamais contre son pays, contre le monde. «Si vous venez aux Etats-Unis, où que vous alliez, vous entendez gronder une colère que je n'ai plus ressentie depuis le Watergate, il y a un grand nuage noir qui plane au-dessus de notre pays en ce moment», confie l'acteur-réalisateur pendant une conférence de presse sans langue de bois. «Quand on entend des discours sur le besoin de rendre à l'Amérique sa grandeur, tout le monde pense à l'ère d'Eisenhower dans les années 50 mais c'était formidable à condition d'être blanc, mâle et hétérosexuel», continue l'homme le plus sexy du monde qui précise qu'«il ne s'agit pas d'un film sur Trump», mais d'un film sur une Amérique qui n'a jamais abordé pleinement ses préjugés racistes nés de l'esclavage, où «des Blancs ont encore l'impression de perdre leurs privilèges». Un film co-écrit par les frères Cohen qui deviendra le porte-voix de l'actualité. Un film pourtant dans les tiroirs des frères réalisateurs depuis les années 90 et que George Clooney décide de ressortir pendant la campagne de Trump. En effet, coïncidence ou sixième sens, le film arrive juste au moment des évènements de Charlottesville où une manifestante s'opposant aux partisans de la suprématie blanche a trouvé la mort en août. Le réalisateur y ajoute même des fantasmes du «Président orange» quant au mur entre le Mexique et les Etats-Unis que les habitants de «Suburbicon» construisent pour séparer la maison de la famille noire des autres familles blanches. Une satire politique et sociétale effrayante portée par des acteurs triés sur le volet. Supposé joué le premier rôle, George Clooney préfère laisser Matt Damon camper le rôle de ce père de famille de plus en plus monstrueux que les péripéties de la vie vont rendre abominable. Un Matt Damon en méchant comme s'il était né pour ça. Convaincant à souhait, il donne la réplique à l'excellente Julianne Moore qui joue le rôle de deux sœurs : l'épouse décédée au début du film et la sœur qui essaie de récupérer la famille dont elle a toujours rêvée. Une palette d'émotions en peu de temps et une évolution du second personnage hallucinante en moins de 2h de film. «Pendant le tournage, on ne savait pas que les évènements de Charlottesville allaient se produire. Malheureusement, cela existe...Cela fait partie des privilèges des blancs de pouvoir circuler à vélo couverts de sang et de faire porter le chapeau aux noirs», intervient Matt Damon qui s'amuse à répondre à un journaliste qui aurait bien vu George Clooney président : «N'importe qui serait mieux que Trump». Derrière son image de genre idéal, George Clooney à l'allure lisse prouve qu'il a de la «noirceur» à exprimer. Son 6e long métrage derrière les caméras a donc toutes ses chances de remporter un Lion d'or lors de la 74e édition de la Mostra de Venise. La standing ovation de la fin de la projection du film en témoigne.