À travers son dernier roman graphique, «Fawda», Hicham Lasri raconte le chaos de la ville blanche à travers les yeux d'un enfant qui traverse Casablanca. Dessous d'une bande dessinée atypique. L'originalité de Hicham Lasri n'a pas de limites. Le réalisateur au style bien trempé et à la vision qui ne met pas d'accord tout le monde revient avec une deuxième bande dessinée en un an. Après «Vaudou», il signe un roman graphique sur le chaos casawi, une ville qui l'inspire depuis toujours. «Ce qui m'intéressait, c'était comment raconter une ville mais pas d'un point de vue pédagogique. Raconter des sensations, l'absence d'humanité, il y a beaucoup de décors qui sont vides. J'ai vidé la ville pour mieux la contempler», explique le réalisateur qui a préféré raconter une histoire sans mots, une bande dessinée sans bulles, histoire de laisser libre cours à l'imagination. «L'histoire est une incitation au voyage et non à la lecture. Chaque planche plonge vers un monde, des horizons qu'il faut explorer et où il est nécessaire de s'arrêter pour chercher des détails. Des détails que j'ai pris le temps de dessiner pour qu'ils soient suffisamment foisonnants. Parfois, des textes servent d'indicateurs de direction, d'autres racontent des choses en contrepoint didactique, avec des dialogues et même des pages de texte. Cependant, le texte n'est pas traité comme étant narratif, mais plutôt avec des idéogrammes. Sans lire le texte, on peut parcourir les pages et lire les images», continue le dessinateur hors norme qui préfère ressentir plutôt que se voir imposer de l'émotion. Tel un voyage sensoriel qu'il refuse d'intellectualiser, Hicham Lasri revient au dessin, son premier grand amour. En effet, avant le cinéma, le dessin était omniprésent, mais le 7e art a fini par prendre le dessus. «J'ai toujours story-boarder les films, j'ai toujours beaucoup dessiné mais je ne me suis jamais posé pour trouver un sens à des dessins. C'est comme quand on fait un film, on est dans le réel. Le mélodrame me fatigue. Comment raconter une histoire atypique avec une écriture très solide ? Avec une maîtrise dramaturgique, un vrai savoir». Avec des films décalés et marquants comme «The End», «C'est eux les chiens», «Starve you dog» ou encore «Headbang Lullaby», le réalisateur impose une touche «art et essai» qui ne plaît pas à tout le monde. Et pour cause, Hicham Lasri ne veut pas fédérer. «Fédérer les gens au Maroc, dans les pays arabes, c'est facile. On commence par la religion, on finit par la politique ou vice versa ! Ça ne m'intéresse pas. Je préfère bousculer, les rendre agressifs mais pas les agresser. C'est une aventure personnelle, un risque des fois. Je préfère que les choses soient difficiles à atteindre comme un amour impossible», confie celui qui est le seul réalisateur marocain, jusqu'à présent à avoir été sélectionné dans un festival de catégorie A. «Headbang Lullaby» a représenté le Maroc et le cinéma marocain le 12 février dernier dans la catégorie «Panorama Special». «Le cinéma de genre ne m'intéresse pas, c'est cloisonnant», rassure Hicham Lasri. C'est ce qui lui permet sûrement de toucher le monde avec cette vision à la fois singulière et absurde du monde qui nous entoure. Celui qui n'hésite pas à parler des années de plomb, du printemps arabe et de s'attaquer aux sujets tabous, gêne sans jamais manquer de respect pour mieux toucher. «Quand on devient cinéaste du monde, on s'achète une liberté. Je ne suis pas dans la polémique ! Ce qui m'intéresse, c'est l'œuvre qui reste après la poussière ! Si je gêne c'est que je fais bien mon travail !». Le réalisateur et bourreau de travail est convaincu que toutes les occasions sont bonnes pour créer enchaînent projets cinéma, télévisions, capsules internet et bandes dessinées. Entre plusieurs projets qui bouillonnent dans sa tête, il travaille sur son prochain long-métrage «Ici, on noie les chiens», troisième volet de sa trilogie des chiens après «C'est eux les chiens» et «Affame ton chien», qui devrait sortir en 2018. Hicham Lasri prépare sa troisième bande dessinée qualifiée de plus colorée et «civilisée» chez les éditions Le Fennec. Le secret du succès ? Le travail et l'endurance bien sûr : «Ce qui est à la fois passionnant et dur dans le cinéma c'est qu'il faut 20 ans pour être au niveau. J'ai travaillé dur pendant 20 ans pour être un cinéaste à la hauteur, c'est-à-dire un cinéaste qui a une vision singulière».