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Al Hoceïma : Le «stress-test» gagnant ?
Publié dans Les ECO le 19 - 06 - 2017

Il se maintient dans les rues, dans les salons, sur les réseaux sociaux et dans l'esprit de tout un chacun. De nombreuses et de nombreux compatriotes, citoyens lambda, intellectuels, journalistes, étudiants, sociologues, universitaires, politiques n'ont pas hésité à tremper leur plume dans la sueur du Hirak pour exprimer leur soutien, leur solidarité et leur désarroi pour ces populations incomprises, stigmatisées... mal-récompensées par l'histoire. D'autres, au contraire, ont crié à l'imposture et à la traitrise. Conspirationnisme, agression envers l'étendard, attaque à la nation...Au final, invectives et louanges caractérisent et cristallisent le Hirak. C'est l'âme du pays qui se révèle dans toutes ses contradictions, ses peurs et ses doutes. Entre temps, sur le plan institutionnel, hommes politiques, hommes de pouvoirs, hommes d'autorité... peu importe le titre, s'éparpillent et s'ingénient à des solutions d'urgence, aussi peu crédibles qu'efficaces, à l'image de cette goutte d'eau qui déboussole une poignée de fourmis. Raison et émotions, sagesse et passion, bruit qui pense et silence qui en dit trop...Le Hirak a ouvert la boîte de pandore. Certaines vérités tranchantes ont coupé le bois de nos langues. Tant d'analyses, tant de conjectures, tant d'hypothèses...notre jugement s'interroge, se réfugie parfois dans le simplisme ou s'aventure de temps à autre dans la complexité. Tout a été dit. Rien n'a été fait...du moins pas encore.
Il est difficile d'ajouter autre chose ou de s'ériger comme porteur d'une idée nouvelle, ingénieuse et profitable au débat. Et pourtant...dans toutes ces éruptions «socio-magmatiques», je me trahis à ressentir une forme de sérénité, parfois même, avec circonspection, une sorte de satisfaction quant au déroulement des choses. Pourquoi donc ce sentiment confus ? Je tenterai une explication, ou plutôt une analogie, étonnante à certains égards, mais suffisamment imagée pour me permettre, à moi-même avant tout, de comprendre le fonds de ma pensée. J'évoquerai ici le phénomène plus connu en sciences médicales qu'en sciences sociales de l'excitation des «émonctoires». Ce dernier terme, assez barbare, définit tout organe qui permet à l'organisme d'éliminer ses déchets, ses sécrétions surabondantes ou nuisibles. Ce mécanisme se produit souvent lors des périodes de jeûne, durant lesquelles notre corps, stressé par l'absence de nourriture, renforce ses capacités immunitaires et ses aptitudes d'auto-guérison. La privation pousse «génétiquement» notre corps à auto-identifier les dysfonctionnements et les nuisances de notre organisme, soit pour nettoyer, soit pour expulser. Nul besoin de médecins ou d'intervention extérieure, notre corps agit en bonne intelligence avec ses besoins de vie. On dit qu'il s'autolyse.
Clairement, où veux-je en venir ?
Inutile d'en faire la démonstration : nous, citoyens, institutions, organisations et système de valeurs, sommes un corps social obéissant aux mêmes principes de fonctionnement qu'un organisme vivant. Si ce corps, subitement, volontairement ou involontairement, était mis en situation de stress à travers une privation temporaire de toute nourriture, on dira ici, économique, sociale, politique, etc, pourrait-ton imaginer, à dessein, la concrétisation d'une forme d'«autolyse sociale» ?
Alors je m'interroge : pourrait-on imaginer le Hirak comme l'expression voulue d'un long processus de réparation et de nettoyage ?
N'est-il pas l'heure de diagnostiquer la solidité de nos fondamentaux, puis de purger notre société des tissus tumoraux qui la gangrène ? Dans le macrocosme politique, actuellement assez douteux et en perte de crédibilité, n'est-il pas temps de distinguer les hommes de confiance des hommes de circonstances ? À l'heure où le Maroc prend des virages conséquents sur le plan géopolitique, n'est-il pas bienvenu d'analyser les indicateurs de loyauté et de fidélité à nos valeurs les plus profondes ? Au lendemain d'élections laborieuses et déchirantes, n'est-il pas légitime de décrypter et décortiquer, puis comprendre sur qui et/ou sur quoi est orientée la colère des Marocains ? À la veille de choix politiques majeurs sur l'organisation du territoire national, n'est-il pas temps de disposer d'un baromètre qui soupèse, avec justesse, nos inquiétudes et nos angoisses identitaires ? À l'heure où la lutte contre le terrorisme et la protection de notre intégrité territoriale sont les hautes priorités nationales, n'est-il pas temps d'éliminer tous les parasites de la nation qui se nourrissent de corruption, de duperie et de tricherie ? Répondre à toutes ces questions apporterait une dimension salvatrice et sanctifiante au mouvement Hirak. Un mouvement immunitaire qui, à son apogée, certes dans la douleur et au prix de certains sacrifices, aura purgé notre société de maux structurels. Machiavel aurait vite imaginé les enjeux et jeux de pouvoir qui sous-tendent ce type de mouvement social : lorsque le changement par le haut devient difficile ou complexe, sciemment et brillamment, le haut apporte le changement par le bas. Le Maroc d'aujourd'hui vit à deux vitesses. Non celle de la pauvreté versus celle de la richesse, mais plutôt à la vitesse d'un monarque impatient de changements, de réformes et de progrès versus une société conservatrice gangrénée par une élite repliée sur elle-même, sourde aux silences de la misère, et par une constellation de cartels politiques privatisés et hostiles aux changements. Pour reprendre ma métaphore initiale, notre royaume serait un homme, à la tête pensante agile, vive et visionnaire... enfermée dans un corps en métastase. Dans cette configuration, Zefzafi (un inconnu zélé qui serait passé entre les filets des meilleurs services de renseignements au monde, dit-on ?) n'aura jamais été un problème, mais la solution. Une solution prometteuse pour notre pays qui, depuis quelques années, semble sombrer progressivement dans une sorte de léthargie économique et sociale. Si certains attendent impatiemment l'intervention de notre roi, qu'ils sachent que le roi est le peuple, et du peuple vient le changement.
Hatim Benjelloun
Directeur associé de PASS (Public Affairs & Services)


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