Jalil Tijani, comédien Jalil Tijani est une «galerie» de personnages. Dans son spectacle «Jeux de société» qu'il rode à la salle Gérard Philippe à Rabat, il renoue intelligemment avec la tradition de Molière et propose 11 personnages hilarants, reflets d'une société un peu «schizophrène». Portrait d'une star montante de l'humour 100 % marocain. Il passe d'un personnage à l'autre avec une facilité déconcertante, propose un univers bien à lui riche de ses grandes inspirations, fait passer le message tout en faisant rire à en pleurer. Lui, c'est Jalil Tijani, un ovni de l'humour, un artiste à suivre. Celui qui est né à Amsterdam, qui a vécu au Canada et qui est arrivé à Rabat à l'âge de 10 ans s'est souvent refugié dans l'humour pour se protéger et s'intégrer. Une sorte de carapace qu'il a nourrit. «L'humour est quelque chose qui a toujours été en moi. Une manière distordue de voir les choses. Peut-être pour me protéger. Depuis que je suis gamin. J'ai vite que compris que l'humour avait cette faculté de détendre l'atmosphère, décrisper, dissoudre les tensions. Et de séduire aussi. C'est en faisant des études de théâtre que j'ai compris que je pouvais en faire un métier. Grâce à Molière, j'ai compris que l'humour c'était sérieux», confie celui qui a à son actif 3 ans à l'Ecole du jeu à Paris, où il a beaucoup travaillé le corps et la construction de personnages et où il s'imprègne des classiques comme Molière, Shakespeare ou la Fontaine. «Le divertissement n'est pas ma tradition humoristique. Il doit toujours avoir un fond et un propos. Très peu d'humoristes, aujourd'hui, ont quelque chose à dire. Pour moi, il y a la tradition de Molière et de la Fontaine avec une portée sociale derrière», continue l'humoriste qui se dit admiratif de la plume de Desproges, de Gad El Maleh pour la construction de personnages et le travail du corps et de Dieudonné : «Je ne m'en cache pas, j'admire sa puissance, on ne peut pas le réduire à ses dérapages vu la quantité de thèmes abordés, il a balayé tellement de sujets ! Il a du talent». Et voilà quelque chose qu'il a en commun avec ce dernier puisque Jalil Tijani a du talent ! Il aime puiser dans la rigidité des gens, pour rire et faire rire ! Il cite d'ailleurs une citation de Bergson qui dit : «Devient caricaturale toute personne qui a laissé s'immiscer en elle plus de mécaniques que de vie».«Dès qu'il y a un comportement rigide, quelqu'un qui a un rapport rigide à la vie, devient facilement caricatural. C'est ce qui me fait rire. L'humour est censé donner de la souplesse là où la rigidité est installée. Au Maroc, le corps social est rigide ! L'humoriste est censé y mettre un peu d'huile !», continue Jalil Tijani qui voit une cloison sociale rigide, des gens qui vivent dans leur quartier. D'ailleurs, dans son spectacle, un de ses personnages souhaite demander l'indépendance de son quartier ! Un humour fin et incisif où il pense ses personnages comme les classiques : le faux dévot ou le courtisan, des archétypes qui marchent toujours selon lui, ou encore Moul taxi qui est, selon l'humoriste, un mélange de sagesse populaire et d'obscurantisme qui traverse les quartiers toute la sainte journée. «Une voix peut m'inspirer, une anecdote, un visage, une rencontre. Un de mes personnages est né sur la terrasse d'un café où j'étais avec un ami et où j'entends une femme au téléphone qui remplaçait le nom de famille du mec par la marque de la voiture : «Hier, j'étais avec Hamid BM». Mon oreille d'humoriste s'est réveillée ! Elle, par exemple, est dans un comportement complètement rigide, elle a déshumanisé un être humain». Des personnages qui naissent selon une inspiration mais surtout selon un processus d'écriture construit. Il y a toujours un premier processus de recherche puis une partie que l'artiste qualifie «d'artisane» ou comment jouer avec les mots, peser chaque phrase pour voir si l'agencement des mots sonne juste. «C'est vraiment musical l'humour, il faut respecter la musicalité. C'est un travail de chirurgien !», continue celui qui rit de tout mais surtout des gens qui n'ont plus de recul sur ce qu'ils font ou ce qu'ils sont. «On court tous ce risque, d'ailleurs c'est pour cela qu'il est important de savoir se moquer de soi aussi. Je ne suis pas dans une démarche qui vise à regarder l'autre, à l'observer et à le juger en lui insinuant que je suis le seul à tout comprendre. L'humoriste est déphasé par rapport au réel. C'est ce qui lui permet de rire. L'humour est une vengeance sur une réalité qui ne me plaît pas !». À découvrir les 30 et 31 mars à la salle Gérard Philipe de l'Institut français de Rabat.