Alors que la vie de milliers de patients est en jeu, les opérations de don et de greffe d'organes se font au compte-gouttes. Les cris d'alarme se multiplient appelant à la mobilisation. Le Maroc est à la traîne en matière de don et de greffe d'organes. À l'occasion de la Journée mondiale du don d'organes, célébrée le 17 octobre de chaque année, le ministère de la Santé a révélé des statiques qui en disent long sur le retard accusé par le royaume en la matière. Ainsi, en tout et pour tout, à peine 3.927 opérations de greffe ont été réalisées depuis... 1990. Dans le détail, 460 greffes rénales en augmentation de 200 greffes sur la période 2010-2015, une seule opération de transplantation cardiaque, 13 opérations de greffes de foie, 63 implants cochléaires... Des progrès ont toutefois été réalisés pour la greffe de la cornée et la moelle osseuse avec respectivement 3.000 et 300 opérations. Cela reste néanmoins en deçà des attentes, d'autant plus que «tous les centres hospitaliers universitaires, et les hôpitaux militaires et les établissements habilités disposent des moyens techniques et compétences humaines nécessaires», déplore le ministère de tutelle. Réticences Le problème est que le besoin est énorme. «Chaque jour, des hommes, des femmes et des enfants meurent parce qu'ils n'ont pas pu être transplantés au moment opportun... Ils quittent ce bas monde alors que la médecine aurait été en mesure de les sauver», déplore l'Association Reins qui milite pour la promotion de don d'organes. Selon les chiffres de cette association, l'on compte près de 17.000 dialysés au Maroc. Pis encore, «les statistiques montrent que moins de 30% des personnes atteintes de maladies rénales chroniques en sont informées», avance l'association. Le gap entre les besoins et l'avancement des opérations de dons et de greffes et donc énorme. Les raisons de ce décalage ? «Elles sont multiples. Le cadre juridique n'a pas suivi les évolutions, il y a un manque cruel d'information et de sensibilisation, insuffisance des infrastructures et des ressources humaines dédiées, appréhensions et manque de confiance dans les institutions hospitalières....», détaille Amal Bourquia, présidente de l'Association Reins. Pour elle, la question est multidimensionnelle et nécessite l'intervention de plusieurs départements. «C'est dommage qu'il n'y ait pas de débat autour de cette question qui peut sauver plusieurs vies. Le nombre de patients qui décèdent par manque de donneurs croît sans cesse», regrette-t-elle. Changement d'approche La situation est donc délicate et les chiffres n'augurent rien de bon : moins de 1.000 Marocains inscrits au registre du don depuis 18 ans. C'est dérisoire malgré les efforts déployés jusque-là. En 2012, le ministre de la Justice et des libertés, Mustapha Ramid, a montré la voie en s'inscrivant dans le registre de don pour encourager les citoyens à faire pareil. Visiblement, son initiative n'a pas été suivie. Face au retard énorme qu'accuse le Maroc en matière de greffe d'organes en général et rénale en particulier, l'Association Reins appelle à changer d'approche. Elle vient de lancer un appel au gouvernement pour la modification de la loi, afin que tout le monde soit donneur, sauf ceux inscrits sur le registre du refus. L'association «voudrait mettre l'accent sur l'intérêt d'aller vers ce changement, une des meilleurs voies pour développer le don et la greffe d'organes. En évitant les procédures administratives, elle facilite la tâche aux citoyens et nous fera gagner des années de retard accumulé», explique-t-elle. Amal Bourquia Présidente de l'association «Reins» Les Inspirations ECO : Cela fait des années que vous militez pour encourager le don et les greffes d'organes. Quel bilan en dressez-vous ? Amal Bourquia : Malheureusement, l'activité n'arrive toujours pas à se développer. Les chiffres, approximatifs puisqu'il n'y pas de statistiques précises, sont dérisoires. Depuis les années 1990, seules quelque 400 greffes rénales ont été effectuées. En France, par exemple, 60% des interventions chirurgicales sont des greffes. On est donc loin du compte, sachant que le Maroc a été le premier pays au Maghreb à effectuer une transplantation rénale en 1986. Et depuis, les choses évoluent à pas de tortue. Quelles sont les raisons de ce retard, selon vous? Les raisons sont multiples. Tout d'abord, sur le plan juridique, la loi doit être modifiée pour accompagner les changements et encourager cette pratique salutaire pour notre pays. Il y a aussi un manque cruel d'information du grand public, ce qui nourrit les appréhensions. D'ailleurs, le ministère de tutelle aurait dû profiter de la journée mondiale pour lancer une campagne de sensibilisation. Il y a aussi un manque de confiance dans les établissements hospitaliers: commercialisation et trafic d'organes, qui en seront les bénéficiaires (les riches privilégiés?), etc. Il y a plusieurs craintes, et les pouvoirs publics ne font rien pour les dissiper.