Mohamed Wail Aaminou : Directeur général d'Al Maali Consulting Group, Maroc Le lancement de l'activité d'Al Maali Consulting Group au Maroc en 2012 a coïncidé avec la genèse de la finance islamique (FI) au Maroc. Entre-temps, ce marché a connu une grande évolution surtout avec la nouvelle loi bancaire et les nouvelles dispositions qui régissent la FI. Dans cet entretien, Mohamed Wail Aaminou explore les principaux recoins de cette évolution. Les ECO : L'environnement de la FI a évolué depuis le lancement de votre activité au Maroc en 2012... Mohamed Wail Aaminou : Le plus grand changement s'est effectué sur le volet réglementaire. Dans le cadre de la nouvelle loi bancaire, il y a une partie dédiée à la FI et aujourd'hui les circulaires sont en train de mettre en place ce qui reste du dispositif légal. Nous avons actuellement une réglementation dédiée au Takaful dans le nouveau Code des assurances et une loi sur les Sukuks dans le catalogue de la titrisation. Les blocs réglementaires essentiels ont donc déjà été mis en place. D'un autre côté, les opérateurs ont fait les premiers pas à travers des partenariats locaux : le Groupe Al Baraka avec BMCE Bank, Qatar Islamic International Bank avec CIH, Guidance International avec BCP et l'Islamic Corporation for the Development of the Private Sector (ICD) avec CAM. Ces partenaires ont tous déposé des demandes pour avoir une autorisation et les dossiers sont en cours. 2012 était l'année de la genèse du secteur, aujourd'hui, nous sommes arrivés à une phase de concrétisation. Vous avez bien évidemment suivi cette évolution... Au départ, nous ne connaissions pas le marché local mais les missions que nous avons réalisées pour des clients nationaux et internationaux nous ont permis de mieux le comprendre. Il est primordial de saisir les contours de cet univers et ces particularités pour pouvoir proposer des solutions adaptées à nos clients. Nous sommes aujourd'hui bien positionnés pour mener à bien cette mission. Peut-on citer quelques particularités du marché marocain ? Dans la région, le marché marocain de la FI est le plus mature. C'est un marché qui est également orienté vers l'international. Les groupes banquiers marocains cités sont donc des pionniers, non seulement au Maroc mais dans toute la région. La réglementation marocaine est également distincte, par rapport aux pays du Golfe, dont certains sont précurseurs dans le domaine. À titre d'exemple, le Maroc a fait le choix d'avoir un Comité de charia centralisé, ce qui n'est pas le cas dans les pays du Golfe, où chaque banque dispose de son propre comité. Vous pensez que c'est un avantage ? Oui. Les banques proposeront, d'une certaine manière, des produits conformes d'un point de vue charia. Nous n'aurons pas d'avis divergents par rapport aux produits proposés par les différentes banques. Mais avoir un Comité charia central peut avoir un inconvénient. Ce comité sera sans doute très sollicité au départ par les banques et les compagnies d'assurances. La question à poser est donc la suivante : est-ce que ce comité aura la réactivité nécessaire pour prendre en charge toutes ces demandes à temps ? Plusieurs études ont été réalisées par les cabinets spécialisés en FI. Parmi les conclusions de ces études est-ce que la FI constitue un segment qui ne concurrencera pas la banque traditionnelle ? Ces études ont mis en exergue plusieurs constats. Premièrement, le marché dispose d'un grand potentiel et il y a une réelle appétence par rapport aux produits de la banque participative. Or, ce potentiel est brut et il faudra le transformer en business compte tenu du fait qu'il y a plusieurs obstacles à cette transformation, notamment les contraintes liées aux pricing. L'engouement exprimé vis-à-vis de ces produits ne sera pas suffisant si les prix, la qualité de service et la proximité aux clients ne suivent pas. Ce n'est donc pas uniquement une question de conformité à la charia. Par ailleurs, je ne pense pas que l'entrée de la FI bouleversera le marché. En tout cas, nous ne pouvons faire que des estimations quant à la réussite ou non de ces produits. La réalité du marché sera connue le jour où l'offre des banques sera prête. Nous aurons ainsi une idée sur la concurrence entre ces banques et avec les banques conventionnelles. Pensez-vous que la cherté des produits islamiques sera un facteur décisif dans la décision d'achat des clients ? Dans certains marchés, le prix de ces produits est similaire aux produits des banques conventionnelles. Au Maroc, il est possible que les prix soient également chers. Nous ne sommes pas sûrs car ça dépendra des stratégies marketing des banques. Théoriquement, chaque banque qui démarre a des frais structurels considérables, un nombre limité de clients et ne bénéficie pas d'économie d'échelle. Cela est évident. Or, nous ne savons pas de quelle manière cela impactera ces banques participatives, sachant que leurs politiques de tarification n'auront pas une marge de manœuvre très large. Est-ce qu'il y a une différence entre les termes «participatif» et «islamique» ? Une des caractéristiques de la FI est le principe de partage des profits et des pertes. Certains produits comme Moudaraba ou Moucharaka sont un exemple de ce principe qu'on ne trouve pas dans la banque conventionnelle. Cela dit, il n'y a pas de différence entre les deux termes. Dans certains pays, comme la Turquie ou le Maroc, on a opté pour le premier. Ce sont des choix d'appellation qui ne changent en rien le business model et la nature des produits.