La loi marocaine prévoit une suspension qui ne dépasse pas les cinq séances; pourtant, plusieurs titres sont suspendus depuis des années et les actionnaires se retrouvent coincés, sans véritable issue. La loi reste muette sur cette question alors qu'on cherche à attirer davantage d'investisseurs. Décryptage. Vendredi dernier, la suspension de la Samir a été reconduite une énième fois. Le titre n'a pas été échangé durant plus d'une année, depuis sa première suspension le 6 août 2016. Pourtant, l'article n°12 de la loi 1-93-211 relative à la Bourse des valeurs stipule qu'«à défaut de publication au plus tard après cinq séances de suspension, la suspension est levée de plein droit». Autrement dit, les reconductions de suspension tout comme la suspension pour une durée indéterminée n'est pas un cas prévu par le législateur. Ce dernier s'est toutefois rattrapé dans la nouvelle mouture de la loi régissant la Bourse, qui est actuellement dans le circuit législatif, pour intégrer le cas des sociétés mises en liquidation judiciaire à l'instar de la Samir ou encore de Diac Salaf. Dans le détail, ledit projet de loi stipule que «pour les émetteurs faisant l'objet d'une liquidation judiciaire, ce délai (de 10 jours dans le nouveau texte, ndlr) ne s'applique pas et la suspension est maintenue jusqu'à la radiation du titre de la cote»! Le sort des petits porteurs n'est par ailleurs pas précisé; ils seront donc considérés comme actionnaires d'une société anonyme et devront se partager un boni de liquidation le cas échéant, chose qui n'est pas envisageable dans le cas de la liquidation de la Samir. Protéger l'investisseur Pour l'Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC), interpellée sur la question, «la suspension de la cotation d'un titre est une règle qui s'applique dans l'objectif de protection des actionnaires et des investisseurs en général, et sa durée varie en fonction de la nature de la situation ayant conduit à la suspension». On précise, chez l'AMMC, que celle-ci veille, à travers le mécanisme de suspension, «à garantir une diffusion équitable auprès du public de toute information de nature à avoir une influence sur le cours du titre et permettre ainsi l'observation de conditions normales de formation des prix sur le marché». Pour ce qui est du cas des entreprises en difficulté, plus particulièrement celles qui sont en liquidation judiciaire, comme c'est le cas de la Samir, «il est plus délicat car le processus est en général long et compliqué, et la levée de la suspension est tributaire de l'issue du processus. En général, lorsque la liquidation judiciaire est enclenchée, la cotation du titre reste suspendue jusqu'à la fin du processus. Cette pratique n'est pas propre au Maroc et s'observe dans d'autres marchés au niveau international (cas de Fadesa en Espagne, dont la valeur est restée suspendue pendant plusieurs années jusqu'à sa liquidation définitive)», explique-t-on chez l'AMMC. Laurent Sablé, avocat au cabinet Jeantet, rappelle à son tour que la suspension de la cotation d'un titre est un mécanisme qui permet de protéger le petit porteur parce qu'à partir du moment où il y a une information sur le marché susceptible d'avoir une forte influence sur le cours en Bourse, tous les actionnaires pourraient se mettent à vendre. «Aujourd'hui si on décide de rouvrir la cotation de la Samir, je ne suis pas sûr que cela protégerait les petits porteurs parce qu'aucun investisseur ne voudrait acheter le titre, et ce dernier se rapprocherait d'une valeur de zéro dirham assez rapidement. Pire encore, une fois la cotation rouverte, faute de trouver preneur, le titre sera réservé à la baisse et, par ricochet, suspendu de la cote», poursuit-il. Toutefois, certains petits porteurs préféreraient avoir la possibilité de vendre leurs titres pour récupérer ne serait-ce que 10% de leur investissement initial. Pour Sablé, le postulat selon lequel le petit porteur serait plus protégé avec une suspension dans l'attente que le liquidateur puisse trouver un repreneur qui pourrait ainsi émettre une OPA, plutôt que dans le cas consistant à lui permettre de céder ses titres de manière anarchique à des spéculateurs qui achèteraient à des prix faibles pour les revendre à des prix plus élevés aux repreneurs, n'a pas de réponse. Néanmoins, l'avocat trouve les deux thèses compréhensibles. Il estime par ailleurs que le système boursier marocain n'est pas efficient, n'a pas de profondeur, ni suffisamment de volume mais dispose néanmoins d'une réglementation aux standards internationaux. Les vrais sujets, pour lui, sont des sujets comptables et non de réglementation. «Il s'agit essentiellement de la qualité de l'information financière communiquée au marché. Ainsi, la véritable protection que l'on pourrait apporter se situe en amont. Autrement dit, l'AMMC doit pouvoir contrôler la qualité de l'information transmise au marché», conclut-il. Quid d'une OPR? Autrement dit, il n'y a pas de solution miracle pour sauver l'épargne des petits porteurs coincés dans des titres de sociétés en difficulté. Pire encore, «l'AMMC n'a pas de pouvoir coercitif et ne peut, dans ce cas particulier (celui de la liquidation judiciaire de la Samir, ndlr), obliger l'actionnaire à lancer une OPR. Le cas des problèmes de gestion ou même celui de la liquidation judiciaire ne sont pas prévus par la loi régissant les offres publiques sur le marché boursier».Du côté de l'autorité, on rappelle que le lancement d'une offre publique est une obligation légale, sous certaines conditions, prévue par la loi relative aux offres publiques sur les titres cotés. Parmi les faits générateurs du dépôt d'un projet d'offre publique existe la radiation du titre de la cote, issue inévitable pour toute société arrivée à la liquidation judiciaire. «Toutefois, pour les sociétés qui se retrouvent en procédure de liquidation judiciaire, se pose la problématique du prix auquel l'offre publique pourrait être réalisée. Ce prix résulte de l'exercice de valorisation de la société. Or, lorsque la société est en situation de liquidation judiciaire, sa valorisation est généralement nulle ou négative, auquel cas le lancement d'une offre publique ne présente pas d'intérêt», précise-t-on auprès de l'AMMC, avant d'ajouter que «concernant le cas particulier de la Samir, l'AMMC suit de près la procédure en cours et, en fonction de l'évolution de celle-ci, elle veillera à la préservation des droits des investisseurs de la manière la plus appropriée». Le précédent Mediaco S'il y a bien eu un précédent avec Mediaco, l'autorité estime que les deux situations ne sont pas comparables. Dans sa réponse, l'AMMC précise que «la SAMIR est entrée en liquidation judiciaire sur la base d'une décision de justice. Dans le cas de Mediaco, la justice avait considéré, aussi bien en première instance qu'en appel, qu'il n'y avait pas lieu de prononcer de redressement judiciaire ni de liquidation judiciaire. Par la suite, l'actionnaire majoritaire de Mediaco avait pris volontairement la décision de radier le titre de la cote et a donc eu l'obligation de lancer une offre publique de retrait au préalable. Ainsi, la société Mediaco avait fait l'objet d'une évaluation qui, tout en tenant de ses difficultés financières, avait permis d'aboutir à un prix de l'offre non nul». Une publication en ruine Les déboires que connaît la Samir ont induit la non publication de ses états de synthèse depuis l'année dernière, une situation qui pourrait faire office, pour l'AMMC, de brèche pour recadrer la société, comme ce fut le cas en Tunisie où le Conseil du marché financier (CMF) -équivalent de l'AMMC- a obligé Syphax Airlines à lancer une offre publique de retrait, en raison du manquement de la société à ses obligations en matière de publications, et notamment en ce qui concerne ses états financiers 2013, qui ne reflètent pas la situation réelle de la société (chiffre d'affaires, charges et endettement), ce qui n'est certes pas le cas de la SAMIR. Pour l'AMMC, «les émetteurs qui ne publient pas ou qui publient tardivement leurs états financiers font systématiquement l'objet de sanctions. Le montant des sanctions pécuniaires dépend du nombre de jours de retard qui s'écoule entre la date limite de publication des comptes et la date effective de celle-ci. Le barème adopté précédemment prévoit un montant de 1.000 DH par jour de retard. La loi sur l'Autorité marocaine du marché des capitaux a quant à elle prévu des pénalités de retard pouvant aller jusqu'à 5.000 DH par jour de retard. En outre, l'AMMC peut accompagner les sanctions pécuniaires ou les pénalités de retard de sanctions disciplinaires tels que l'avertissement ou le blâme». Le gendarme de la Bourse souligne par ailleurs que le cas des sociétés en liquidation judiciaire pose néanmoins un certain nombre de problématiques communes à toutes les places financières. D'une part, ces sociétés sont dans des situations financières déjà compromises. Aussi, leur appliquer des sanctions pécuniaires ne ferait qu'aggraver davantage la situation et réduire les possibilités de récupération des investisseurs. D'autre part, l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire se matérialise notamment par la désignation d'un syndic judiciaire qui vient se substituer au management de la société et qui doit assumer les responsabilités qui en découlent. Toutefois, avant de pouvoir arrêter les comptes de la société et les publier, le syndic doit préalablement établir un diagnostic précis de la situation et procéder à l'évaluation des actifs et passifs de la société selon une approche liquidative et non plus selon l'approche de continuité d'exploitation. Ces étapes indispensables nécessitent des délais parfois importants en fonction de la taille de la société et de la complexité du secteur dans lequel elle évolue. Une situation et un cheminement que suit de très près l'autorité marocaine.