Cette année encore, l'été et ses festivals ont révélé la dynamique culturelle qui gagne tout le Maroc. Au croisement de l'offre et de la demande, artistes et publics créent une économie de la culture, appelée à devenir un levier de croissance durable pour le royaume. Mais dispose-t-elle de tous les atouts pour y parvenir? C'est la question soulevée par le Conseil économique, social et environnemental, dans son rapport paru fin juin. Longtemps confinée à l'expression du folklore local, dans la tradition arabo-musulmane, la culture marocaine a pris un nouveau tournant depuis le début des années 2000. Grand ami des arts, le jeune souverain considère alors l'industrie créative comme une économie à part entière et crée les conditions de son développement : il libéralise l'environnement et permet l'éclosion de nouveaux canaux d'expression à la radio, dans les journaux, sur Internet. Face au vide de la politique culturelle gouvernementale, le roi lui-même subventionne des artistes et des événements. En 2006, il crée la Fondation Hiba, chargée de promouvoir le développement artistique sous toutes ses formes. La même année, il déploie Mawazine et lance le Festival international du film de Marrakech en 2011, deux manifestations phares qui font rayonner l'image du Maroc à l'étranger. L'élan insufflé par le souverain peine cependant à trouver un écho auprès du gouvernement. Mal aimée par les politiques, la culture reste très peu subventionnée (elle représente 0,23% du budget de l'Etat en 2012). Il faut attendre la fin de l'année 2014 pour voir enfin éclore une stratégie nationale qui lui soit dédiée. Rompant avec l'approche traditionnelle, celle-ci affiche clairement ses ambitions: faire de la culture un vecteur d'affirmation sociale et identitaire dans tout le pays ainsi qu'un véritable levier de croissance économique, porteur d'emplois et source d'attractivité pour le Maroc. À l'image des plans sectoriels lancés par le royaume, la nouvelle stratégie culturelle projette ses objectifs à l'horizon 2020. Elle comporte deux volets. L'un est dédié au patrimoine, à sa protection et sa valorisation, qui génèrent un retour sur investissement. L'autre s'attache à développer le marché culturel national, grâce au soutien institutionnel et financier accordé aux industries créatives. Aujourd'hui, les événements culturels se multiplient au Maroc. De nombreux acteurs privés, organisateurs et sponsors sont entrés dans la danse, signe que l'économie de la culture s'avère rentable. Mais est-elle pour autant pérenne ? La création, parcours du combattant Dans son rapport, le CESE fait état d'un environnement marocain qui ne protège pas suffisamment ses artistes. Si ces derniers jouissent actuellement d'une grande liberté d'expression, leur situation reste néanmoins précaire et fragilise l'offre créative : la saisonnalité des contrats, l'absence de couverture maladie, de pensions de retraite et de protection contre la perte d'emploi rend leur existence difficile. Par ailleurs, les droits d'auteur et de la propriété intellectuelle sont insuffisamment défendus par les pouvoirs publics contre le piratage. Cette situation prive les artistes d'une source majeure de revenus et nuit à leur épanouissement. L'enrichissement du paysage culturel marocain passe également par l'apprentissage des techniques, au sein de centres de formation spécialisés. Indispensables pouponnières d'artistes, de médiateurs et de gestionnaires d'espaces culturels, les écoles publiques artistiques ne sont pourtant qu'au nombre de trois dans tout le royaume. Pour que la culture vive et se développe, elle doit enfin trouver des sources de financement. Au-delà des subventions publiques, toutes les formes d'incitations réglementaires ou fiscales encourageant l'investissement du secteur privé sont les bienvenues: capital-risque, mécénat, parrainage, sponsoring, crowdfunding ou encore partenariats public-privé. Les configurations sont nombreuses. Vers l'éducation du public marocain Les moussems et les festivals gratuits de musique et de rue séduisent aujourd'hui un large public. Cependant, les amateurs seront-ils présents pour faire vivre les nouveaux temples de la culture tels que la Bibliothèque nationale, le Musée d'art contemporain, l'Institut supérieur de la musique et des arts chorégraphiques et les grands théâtres de Rabat, Casablanca et Fès, lancés par le souverain? C'est l'interrogation soulevée par le CESE, qui fait le constat amer d'un désintérêt grandissant des Marocains pour la lecture, le cinéma, le théâtre ou les arts plastiques, toujours réservés à une élite. Une étude du Haut-commissariat au plan rapportait qu'en 2004, on dépensait en moyenne 32,11 DH par an et par habitant dans la culture, signe du manque d'intérêt, voire de la méconnaissance des arts chez la plupart de nos citoyens. Pour le CESE, l'éveil à la culture doit se faire dès le plus jeune âge. Or, le théâtre et l'initiation aux arts plastiques sont absents des programmes scolaires. Dans les écoles, les bibliothèques rares et peu fournies n'incitent pas à la lecture. Il est temps de faire entrer la créativité et l'éveil artistiques dans l'éducation des enfants, de leur offrir cette opportunité d'expression que l'ouverture culturelle peut leur apporter ! l Alexandra Mouaddine business Partner RH au Maroc Tags: Economie de la culture festivals artistes Conseil économique social et environnemental