C'est parti pour les législatives anticipées ! Officiellement, la campagne électorale n'est pas encore ouverte et d'ailleurs, même les nouvelles lois électorales n'ont pas bouclé leur marathon législatif pour entrer en vigueur. Toutefois, à moins de deux mois de la date de l'échéance, et au vu des multiples enjeux dont est porteur le scrutin du 25 novembre, les partis sont entrés de plain pied dans la bataille. Cela peut du reste paraître prématuré, car aucun parti n'a encore jusque là rendu public son nouveau programme électoral ou la liste de ses candidats. Dans les coulisses, cependant, les choses s'activent et viennent de prendre une nouvelle tournure avec l'annonce, mercredi dernier à Rabat, de la Coalition pour la démocratie, un bloc de huit formations politiques issues de divers bords idéologiques et regroupées autour du pôle libéral porté par le RNI, le PAM, l'UC et le MP. Si la rationalisation du champ politique et, par la même occasion, sa recomposition, étaient attendues depuis l'adoption de la nouvelle Constitution, la composition de la coalition n'a pas manqué de surprendre. Réactions de l'ombre L'effet d'annonce ne s'étant pas encore complètement dissipé que les observateurs politiques et les autres formations s'accordaient à reconnaître qu'il s'agissait là, avant tout, d'un signal ayant de forts relents électoraux. Mohamed El Khalifa, membre du comité exécutif du parti de l'Istiqlal, reconnaît que son parti «n'a pas encore évalué l'impact de cette nouvelle alliance, mais il est clair que ce mélange de partis est caractérisé par le fait que son pouvoir de décision n'est pas totalement autonome». D'ailleurs, c'est à un rejet en bloc de toutes les critiques qui n'ont pas manqué de fuser dès l'annonce du bloc qu'on a assisté de la part des «nouveaux coalisés». Ces derniers insistent pour dire «que cette alliance n'est dirigée contre aucun parti politique ou groupe de partis et n'est pas à visée électoraliste», dixit Salahedinne Mezouar, président du RNI et chef de file du bloc, qui s'en tient à la plate-forme d'engagement commune, servant de serment d'allégeance à la coalition. Mais l'alliance est là, et l'un de ses plus grands mérites c'est, d'ailleurs, d'avoir pu provoquer le débat et, plus encore, de donner le ton de la prochaine campagne. Au PJD, on estime même qu'il s'agit «d'un non évènement», à en croire Lahcen Daoudi, pour qui la nouvelle entité partisane «n'est pas arrivée à distinguer entre l'aspect tactique et celui stratégique voulu par les initiateurs de cette alliance». Cette attaque en bonne et due forme peut se comprendre aisément, au vu de l'animosité qui existe entre le parti de la lampe et le PAM, l'un des «majors» au sein de l'Alliance des démocrates. Le PJD, qui a fixé une ligne rouge contre «toute alliance où se retrouve le PAM», estime même que la nouvelle alliance est dirigée contre lui. La nouvelle alliance avait pourtant affiché ses grandes ambitions dès la rentrée politique, en présentant des propositions communes pour l'ensemble des projets de lois organiques qui ont été votés pour la mise en œuvre de la nouvelle Constitution. L'une des attentes majeures des citoyens à l'égard de la classe politique, dans le cadre des réformes en cours, c'est justement cette rationalisation du champ politique, afin de donner plus de visibilité aux citoyens. C'est, d'ailleurs l'un des points positifs que n'ont pas manqué de soulever les responsables politiques de plusieurs formations à l'époque de la gestation «du pôle libéral». Cependant, le nouvel aréopage porté en même temps par des partis conservateurs, libéraux et socialistes, risque de jouer en défaveur de la coalition des démocrates et, peut-être, de porter un coup dur au processus de rationalisation du champ politique. Pour Abdelkrim Benatiq du Parti travailliste, c'est justement là que se trouve le plus grand mérite de cette alliance. «Nous voulons sortir du clivage traditionnel et des schémas classiques pour apporter aux Marocains les réponses concrètes à leurs légitimes attentes». Mezouar complète ce point en relevant «qu'il n'y a pas de problématique de gauche, de droite ou de centre au Maroc, mais celui du défi de la société marocaine». Il reste à savoir comment sera traduite cette alliance sur le terrain, dans l'hypothèse d'une victoire aux prochaines élections ou même de décliner un projet de société commun. La réponse de Mohamed El Ouchari, secrétaire adjoint du parti Travailliste ne se fait pas attendre: «c'est effectivement une grande alliance, qui a été constituée et qui n'a pas de visée purement électoraliste, mais qui veut s'inscrire dans la durée. Chaque parti conservera l'autonomie de sa décision et on n'ira pas aux prochaines élections avec des candidats communs, mais chacun pour soi». Prudence encore L'annonce de la nouvelle alliance n'a donc pas manqué de titiller les autres partis, même si la plupart des responsables politiques que nous avons contactés s'en défendent. Si au stade actuel, seule la nouvelle alliance a affiché ses ambitions, le jeu politique est encore loin de se clarifier, en attendant la suite des évènements qui ne manqueront pas d'apporter plus de nouveautés. «Il n'y a pas énormément d'hypothèses au sein de ce nouveau repositionnement des partis», explique à juste titre Aziz Chahir, enseignant chercheur en sciences politiques au sein de l'Université Hassan II. «Le parti vainqueur aux élections devra toujours chercher l'appui du PJD s'il veut obtenir le vote de confiance. Dans l'autre hypothèse, c'est un véritable raz-de marée électoral qui devra être réalisé par la formation prétendant au pouvoir». Les observateurs voient aussi dans cette nouvelle redistribution des rôles d'autres objectifs, qui découlent des données des nouvelles lois électorales et des modes de scrutin. L'heure est donc encore à la prudence des deux côtés. D'autres surprises ne sont pas à écarter dans les prochains jours, des deux parties. Mezouar a d'ailleurs confirmé que «l'Alliance reste naturellement ouverte», alors que d'autres négociations en coulisses sont en train d'être menées entre d'autres formations politiques pour de nouveaux blocs. Ce qui est sûr, confie Najib Mouhtadi, professeur de sciences politiques, c'est qu'«on assistera à une sophistication du jeu politique»... En attendant la Koutla Dès l'annonce de la Coalition des démocrates, les regards se sont portés vers la Koutla démocratique. Entre agonie et réveil, les consultations se poursuivent encore. Va-t-elle enfin annoncer son grand retour comme l'attendent, impatiemment, ses militants ? L'alliance historique constituée de l'Istiqlal, du PPS et de l'USFP continue à alimenter le suspense, alors que la plupart des militants appellent de leurs vœux, «un signal fort». Cet appel risque d'être amplifié par la récente sortie des huit formations de la coalition pour la démocratie qui ont «eu le mérite et le courage de s'assumer et de prendre une initiative allant dans le sens de la clarification du jeu politique», comme le proclame un militant de la coalition. Cette léthargie commence, d'ailleurs à inquiéter certains militants sur la réelle capacité des trois partis à prendre le risque de régénérer une «alliance qui a déjà fait ses preuves». «Vous savez, souligne désespérément un membre du Comité central de l'un des trois partis, la Koutla est devenue comme un produit mis dans le frigo, on ne l'utilise que quand on en a besoin». Or, justement, à l'étape actuelle du processus, la nécessité se fait impérieusement sentir. Du côté des principaux responsables de la Koutla, on y croit encore. «Les consultations se poursuivent encore et nous avons mis des mécanismes dans ce sens», nous a confié un dirigeant de la coalition. Pour le moment, seul le PJD reste encore l'inconnu de l'équation de la carte électorale. Le parti de la lampe continue, en effet, de soutenir que les alliances ne sont pas tellement stratégiques à ce stade du processus électoral. Cette position peut se lire d'un autre angle, car le PJD, confiant en ses chances de remporter les élections, sait qu'il a des arguments à faire valoir. La campagne électorale a bel et bien commencé... Un scrutin très indécis Le verdict attendu des urnes le 25 novembre prochain pourra-t-il reconduire les mêmes «performances» enregistrées il ya 4 ans? L'état des lieux actuel dresse un tableau plutôt optimiste pour l'Alliance pour la Démocratie au sein de la future Chambre des représentants. L'alliance disposera, dès l'ouverture de la session d'automne vendredi prochain, de 160 sièges, répartis entre le PAM et le RNI qui comptent à eux seuls 87 députés, soit plus de la moitié de l'assise électorale de la nouvelle coalition. La Koutla, pour sa part, ne semble plus disposer de la longueur d'avance qui l'avait amenée au pouvoir, avec 116 sièges, y compris ceux du FFD, toujours fidèles au compromis trouvé en 2007 pour former le gouvernement de Abbas El Fassi. La hausse du nombre des sièges à 395 va certainement compliquer davantage l'équation. Le PJD, qui dispose actuellement de 46 députés, jouera l'arbitre s'il reste cantonné dans ses calculs actuels, sans pour autant résoudre la grande question relative à l'identité du futur président du gouvernement, qui doit ressortir des rangs du parti ayant remporté les élections et non d'une coalition. Tous les espoirs sont donc permis pour l'ensemble des partis lors du prochain scrutin, qui s'avère être parmi l'un des plus difficiles à pronostiquer depuis le premier Parlement de 1962.