M'hamed Harif : Directeur général de l'hôpital Cheikh Khalifa Ibn Zayd Al Nahyan Quel bilan tirez-vous à plus d'une année de l'ouverture de l'hôpital ? Après son ouverture en mars, l'hôpital a démarré son activité progressivement. Nous avons commencé par les activités ambulatoires, et les activités programmées, puis les activités d'urgence y compris les blocs opératoires. Ce processus a duré quelques mois. Il est intéressant de noter que l'hôpital a pu, plus d'une année après son ouverture, généré une activité très intéressante puisque nous avons enregistré plus de 90.000 admissions. Dans nos blocs opératoires, nous faisons pratiquement tous les types de chirurgie allant de la neuro-navigation à la chirurgie cardiovasculaire en passant par l'implantologie cochléaire. Aujourd'hui, l'hôpital se positionne comme l'un des premiers centres du pays dans cette dernière spécialité. Nous approchons la centaine d'implants après environ une année d'activité. Nous avons pratiquement toutes les spécialités qui sont au point aujourd'hui au sein de notre établissement. Il reste encore du chemin à faire, mais l'hôpital se positionne déjà comme une force médicale au sein de la ville de Casablanca et même au-delà, tant sur le plan national qu'international. Justement, quel est le profil type de ces patients internationaux ? Nous recevons des patients de l'étranger, y compris de l'Afrique subsaharienne où l'hôpital commence à avoir une certaine notoriété. Nous avons des patients de pratiquement tous les pays : le Sénégal bien sûr, mais aussi la Côte d'Ivoire, le Cameroun, le Niger, le Nigeria, etc. Nous avons aussi reçu des patients du Moyen-Orient ou d'Europe, qui étaient parfois de passage et qui avaient exprimé le souhait d'être soigné chez nous. Nous avons un service dédié aux patients internationaux. Nous organisons pour eux toutes les commodités afin qu'ils soient à l'aise. Ainsi, en plus de notre offre de soins, nous proposons une prestation assez complète en services. Nous pouvons par exemple accueillir ces patients à l'aéroport avec un SAMU ou encore s'occuper des détails concernant leur hébergement. Une telle offre de soin et un tel service nécessitent des ressources humaines de qualité. Quelle est votre politique de recrutement ? L'hôpital Cheikh Khalifa est un hôpital universitaire. La Fondation a créé à la fois l'hôpital et l'Université Mohammed VI des sciences de la santé qui viennent former et contribuer à l'échelle national à former plus de médecins, d'infirmiers, de gestionnaires, de techniciens, d'ingénieurs biomédicaux et de chirurgiens-dentistes. Nous sommes inscrits dans une approche complète de développement de l'offre de soins qui vise à nous placer aux meilleurs standards. Nous disposons aujourd'hui de ressources humaines de qualité mais nous avons besoin de plus. L'hôpital essaye non seulement d'avoir les meilleures ressources sur le plan national mais aussi sur le plan international. C'est pourquoi nous sommes en train de recruter des marocains résidents à l'étranger, contribuant ainsi au retour des compétences marocaines à leur pays d'origine. Vers quel modèle de gestion des hôpitaux vous tournez-vous ? Nous pensons notre activité comme un réel écosystème. Nous prônons une démarche dans laquelle nous avons la flexibilité de la gestion du privé, l'exigence d'un équilibre financier, tout en contribuant à des objectifs de l'Etat marocain moderne. Je vous avoue que c'est compliqué de gérer cette équation dans la mesure où nous sommes inscrits dans un système de santé en cours de mutation et d'individualisation. Mais cela demeure une très belle opportunité pour le pays. Le modèle que nous sommes en train de mettre en place intéresse énormément certains pays, notamment en Afrique subsaharienne, qui veulent s'en inspirer. Nous nous décrivons comme un complément aux efforts de l'Etat. Les objectifs en termes de système de santé sont ceux de l'Etat mais le mode opératoire n'est pas le même que celui des hôpitaux publics. Avec un tel modèle, est-il possible d'atteindre l'équilibre financier ? Atteindre l'équilibre est une tâche ardue. Nous nous sommes imposé une éthique de coût grâce à laquelle nous essayons de proposer des tarifs justes. Nous ne sous-facturons pas, nous ne trichons pas. Tout est transparent et détaillé. Nous proposons un soin au même prix que l'offre publique et privée actuelles mais de meilleure qualité, ce qui fait qu'en réalité, celui-ci nous coûte plus cher. Nous tentons de rééquilibrer tout cela, en intégrant une péréquation dans le coût et la qualité des services proposés. C'est ainsi que le patient qui dispose de moyens et qui cherche un confort supplémentaire pourra payer plus. Précisons que les soins demeurent pour leurs parts les mêmes, avec la même qualité de service, quel que soit le patient. Les différences dans les coûts s'inscrivent dans le cadre des services supplémentaires. Nous croyons que l'équilibre financier est possible et nous comptons beaucoup sur la confiance que nous sommes en train de gagner progressivement auprès des Marocains. Au regard du bilan après une année d'activité, pensez-vous réussir ce pari ? Nous n'avons pas encore atteint l'équilibre financier. Toutefois, nous sommes sur une activité de plus en plus importante. Toutes nos prestations sont en progression, ce qui donne confiance et nous confirme qu'il existait un réel besoin pour ce type de structures à Casablanca et dans le pays. Je pense qu'il est grand temps que l'activité de santé devienne une activité génératrice de ressources d'emplois et de devises. Nous avons une vraie option de développement de secteur. Nous voulons que le Maroc soit une vraie plateforme de soins pour les pays alentours. Nous avons des malades qui nous viennent aujourd'hui de pays différents, d'Afrique subsaharienne mais aussi de pays du Maghreb comme l'Algérie, la Libye ou l'Egypte. La fondation entend installer durant les prochains mois un laboratoire de référence. Quel est l'apport d'un tel projet ? Le constat actuel est qu'il existe beaucoup d'examens qui se font à l'étranger. Le Maroc perd des millions d'euros en sortie de devises par des examens qu'il fait en Europe ou aux USA. Les mêmes examens coûtent beaucoup plus chers au Marocains qu'aux étrangers en raison de la multiplication des intermédiaires et des coûts liés à l'envoi des données. Au niveau de la fondation, nous avons voulu parer à cela. L'idée a donc pris forme de mettre en place un véritable laboratoire de référence. Il ne s'agit pas de fournir des analyses routinières que la plupart des labos savent faire. Il s'agit de s'intéresser aux examens génétiques pointus, aux analyses biochimiques, au diagnostic prénatal et néonatal, etc. Nous sommes en train de monter ce type d'activités avec l'aide notamment de praticiens marocains résidants à l'étranger. Nous avons commencé par un petit laboratoire installé à l'hôpital Cheikh Khalifa. Nous avons profité de la plateforme de laboratoire existante au sein de l'hôpital pour s'y installer, mais nous installerons bientôt dans le cadre de l'université un grand plateau de laboratoire de spécialité. Celui-ci permettra d'autonomiser le pays en matière de tests médicaux mais il s'agira aussi de renforcer le rôle de l'hôpital comme hub d'exploration biologique pour la recherche et les examens d'Afrique subsaharienne. L'écosystème Cheikh Khalifa deviendra donc un véritable carrefour qui réacheminera ce qui allait auparavant à l'étranger vers le Maroc, que ce soit sur le plan des prestations, de la formation ou même de la recherche et de l'analyse médical. Cet objectif sera réalisé dans moins de 18 mois. Vous comptez également installer un centre de simulation d'une envergure sans précèdent... L'enseignement médical pose un problème éthique. Celui de savoir si un médecin peut apprendre sur un malade. La médecine a, jusqu'à aujourd'hui, toujours fonctionné ainsi. Cette manière de faire est en train d'être complètement révolutionnée. Les progrès de la technologie nous accordent la possibilité aujourd'hui de travailler sur des mannequins très sensibles qui nous permettent de simuler un acte chirurgical, un accouchement, une intubation, une prise de voie veineuse, etc. Du coup, il y a une révolution dans le mode de fonctionnement des facultés modernes de médecine. Les plus grandes universités défendent aujourd'hui le principe de «jamais la première fois sur un malade». Donc, tous les étudiants en médecine doivent d'abord bien maîtriser le travail sur le mannequin. Cela permet de simuler non seulement les gestes techniques mais parfois même les réactions et les comportements des patients. Il existe aujourd'hui des techniques pédagogiques qui permettent d'agir à ce niveau. Nous avons dans ce sens un grand investissement de prévu dans le cadre de l'Université Mohammed VI des sciences de la santé. Il s'agira d'un grand centre de simulation de près de 4.200 m2. Il s'agit d'un hôpital simulé avec tous les services possibles : urgences, spécialités, chirurgies, radiologie, etc. C'est le rêve de tout enseignant et de tout étudiant en médecine. Nous avons déjà commencé à déployer ce grand projet puisqu'au niveau de l'université du premier cycle, nous avons déjà un espace de 400 m2 en place. Il faut savoir que le coût de l'investissement est extrêmement important. La technologie utilisée est tellement développée et sophistiquée qu'un seul mannequin peut coûter jusqu'à 1,5 MDH. Quelles sont les autres projets sur lesquels vous travaillez ? Nous ne sommes encore qu'au début du processus et il nous reste encore beaucoup de chemin à faire. D'abord dans le déploiement de certains soins. Le programme greffe d'organes et de tissus n'est pas encore suffisamment développé. Nous venons d'être autorisés à exécuter ce programme au sein de l'hôpital Cheikh Khalifa et nous comptons bien nous y investir sérieusement. Beaucoup de spécialités, que ce soit en pneumologie, en chirurgie en endocrinologie, etc. devront également être intégrés. Il nous reste encore beaucoup de standards mondiaux à atteindre. Au-delà de la technicité de l'acte, nous travaillons aussi sur la certification internationale. Aujourd'hui, aucun hôpital au Maroc ne dispose de cette certification. Il s'agit d'un vrai défi qui implique non seulement la qualité de l'infrastructure et le mode de fonctionnement, mais également l'information et la sécurité des patients, l'accessibilité, l'éthique au sein de l'hôpital, etc. Nous avons démarré le travail sur ces questions en intégrant par exemple ce que nous appelons la check-list, une pratique recommandée par l'OMS et qui permet de réduire par des gestes simples et des vérifications préalables à l'acte chirurgical, significativement, le temps opératoire, la durée de l'opération et les risques pour le patient. C'est ce type d'innovation, qui n'est pas coûteuse, dont nous avons absolument besoin dans notre pays. Notre fondation veut initier cette pratique qui pourra ensuite être généralisée aux structures publiques et privées du système de santé.