Invitée par HEM Casablanca, Samira Sitail, directrice générale-adjointe de la chaîne de télévision 2M, revient sur le financement de la chaîne, sa programmation et son conflit avec Abdelilah Benkirane. Verbatim. Dès le départ de la rencontre organisée mercredi dernier à HEM Casablanca, dont elle était l'invitée, la DGA de 2M TV a promis à l'audience un débat «sans tabou». Samira Sitail a défendu bec et ongles le business model de la chaîne. Elle considère que les réalisations financières et la part d'audience de la chaîne sont des «exploits» comparés aux moyens mis à sa disposition. «Mon salaire est payé par Coca-Cola» Le chiffres d'affaires (CA) 2014 de 2M était de 648 MDH, en progression de 6,1% par rapport à l'exercice 2013. «Mon salaire est payé par Maroc Telecom, Tide ou Coca-Cola. Les recettes publicitaires représentent 95% de notre chiffre d'affaires. La contribution de l'Etat s'est limitée en 2015 à 35 MDH», lance d'entrée de jeu Sitail. C'est le paradoxe de cette chaîne publique au financement privé. Pour résoudre cette équation, la chaîne a choisi une programmation «commerciale» capable de drainer une forte audience. En effet, de grosses productions comme Master Chef, Jazerat el kenz, Rachid Show ou encore Studio 2M attirent annonceurs et publics. Les résultats succès télévisuels ont permis de stabiliser le budget de la chaîne après une période de crise du marché publicitaire. «30% de parts d'audience» Pour Sitail, les chiffres ne mentent pas : «Les Marocains captent 1.500 chaînes via la parabole. Malgré cette concurrence agressive, 2M arrive à se positionner comme chaîne la plus puissante et la plus regardée du Maghreb. Nous figurons au Top 30 des 1.500 chaînes les plus regardées dans le classement d'Eurodata». Avec 30% de parts d'audience au Maroc, en progression de 9% par rapport à 2008, 2M devance le groupe SNRT (8 chaînes) qui totalise 15% de parts d'audience, dont 10% réalisées par Al Oula. 2M est suivie par 14 millions de Marocains sur les 19 millions qui regardent les chaînes nationales. «Vu le fractionnement mondialisé des audiences des télés généralistes, c'est un exploit», souligne Sitail. Pour étayer son propos, elle énumère les parts d'audience des chaînes publiques de la région : Algérie (9%), Egypte (13%) ou le Qatar (10%). «On fait aussi de l'alimentaire» Lors de la rencontre, la programmation de nombreuses séries étrangères, spécialement turques et mexicaines, a été critiquée par une partie du public. Sitail répond par les chiffres d'audimat, expliquant la nécessité de répondre à la demande du public. «Les Marocains, en grande majorité, regardent la télé pour les séries étrangères et le sport. Les chaînes étrangères les plus regardées sont Zee Alwan, MBC 2 et 4 et ensuite BeIN», affirme-t-elle. Le choix de passer ces séries est motivé par des raisons budgétaires. «Les productions marocaines sont très prisées par le public. Or, produire un épisode d'une série marocaine coûte 100.000 DH, alors qu'un épisode d'une série turque coûte 800 dollars», compare la DGA de 2M. Et de reconnaître : «On fait de bonnes et de mauvaises choses, mais on est obligé de faire aussi de l'alimentaire pour garantir le salaire de nos employés à la fin du mois». Rappelons que l'interminable feuilleton turc Samhini a réalisé le meilleur taux d'audimat en 2015 avec 7.430.000 téléspectateurs. Et même si les émissions d'information «ne font pas d'audience», Sitail rappelle «les engagements d'antenne de 2M avec des programmes comme Moubacharat Maâkoum ou Des histoires et des hommes en prime time». «On ne recrute plus» Avec amertume, Sitail partage un fait: «2M ne recrute plus depuis sept ans». La faute à qui ? «C'est une obligation de l'Etat», ajoute la DGA de la chaîne. Le nombre d'employés a même baissé de 15% ces dernières années. Une vague de départs volontaires a été enclenchée pour compresser la masse salariale. «Quand une entreprise ne recrute plus, c'est un signe qu'elle ne se développe pas et qu'elle n'avance plus», regrette Sitail. Cette tendance n'est pas prête de s'arrêter. Dans la loi de Finances 2016, le plan d'actions de l'entreprise prévoit «la poursuite de la rationalisation des charges». Avec Benkirane, «c'est une confrontation» Sitail est revenue sur ses rapports tendus avec le chef de gouvernement. La chaîne a en effet été accusée par Abdelilah Benkirane de «réserver un traitement inéquitable à ses activités». Cette accusation est balayée d'un revers de la main par la DGA qui occupe également le poste de directrice de l'information de la chaîne. «On m'a reproché de n'avoir passé que 30 secondes d'une allocution intégrale de Benkirane qui dure 7 minutes. Même pour les discours de sa majesté, nous ne diffusons qu'une synthèse. La différence, personne ne nous appelle pour nous faire des reproches», assène-t-elle. Et d'enfoncer le clou : «Le climat politique est marqué par une confrontation quasi-permanente. Cette ambiance pourrait être un signe de vitalité et de débat démocratique. Or, ce débat est combattu». «Qui recule, la société ou 2M ?» Lancée en 1989, 2M reste la chaîne de télé qui a libéralisé le paysage audiovisuel mais aussi la parole dans le contexte d'une ouverture politique et économique. Beaucoup reprochent à 2M sa frilosité à traiter les grandes questions sociétales et politiques. Sitail renvoie la balle à la montée du conservatisme de la société. «En 1992, nous avons diffusé une enquête choc sur la prostitution au Maroc, se souvient-elle. Si on diffusait un tel contenu aujourd'hui, je vous laisse imaginer les attaques dont 2M aurait fait l'objet». La DGA de la chaîne lance donc la question «Est-ce la société qui recule ou c'est 2M?». À ce titre, Sitail semble avoir un élément de réponse: «Nous ne sommes que le miroir de la société», a-t-elle estimé. Tags: HEM