L'un des thèmes qui sera assurément au cœur de la prochaine campagne électorale est celui de l'emploi. À ce sujet, les promesses et surenchères ont déjà commencé. La grosse interrogation, dont les réponses semblent pour le moment, aussi éparses qu'évasives, est celle de la voie à suivre pour absorber le déficit des diplômés qui intègrent chaque année le marché du travail. C'est un aspect pourtant crucial pour répondre aux attentes formulées par les multiples mouvements de revendication, portés majoritairement par les jeunes et qui, sous d'autres cieux, a conduit au fameux «printemps arabe». «La création d'emplois a toujours été un problème aigu au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et le printemps arabe a replacé cette question en tête des priorités des politiques de développement de la plupart des pays de la région». C'est ainsi qu'Elena Ianchovichina, experte à la Banque mondiale, résume la situation que traverse la région et qui intéresse tout particulièrement le Maroc à la veille de l'examen de la loi de finances et des législatives anticipées. L'institution mondiale vient, en effet, de s'intéresser à la question de l'emploi et de la croissance des revenus dans la région MENA, dans un rapport fraîchement publié et qui passe au crible les différentes politiques publiques menées au niveau des pays de la région. Le document analyse de même les contraintes et les limites des approches mises en avant et préconise surtout des pistes de solutions pour faire face aux multiples défis de l'emploi dans la zone, qui enregistre untaux de chômage élevé, surtout pour les jeunes diplômés. S'il fallait résumer la situation au regard de l'état des lieux dressé par la Banque mondiale, le constat est plus qu'effarant. «La région MENA doit, de toute évidence, créer davantage d'emplois. Au cours des dix dernières années, à peine 3 millions de nouveaux emplois ont été proposés chaque année, bien loin des 6 à 7 millions requis pour remédier aux principales difficultés», fait remarquer Ianchovichina, qui a dirigé l'équipe d'experts ayant rédigé le rapport. Bombe à retardement Pour le Maroc, le problème se pose avec beaucoup plus d'acuité. D'après les évaluations des experts et en se basant sur une propension à créer des emplois similaire, «la croissance économique régionale devra s'accélérer et passer au moins à 6% dans les prochaines décennies, contre 4,8% enregistrés dans les années 2000, pour pouvoir régler les problèmes quantitatifs de l'emploi». Si bien sûr, cette quantification fait référence à la situation au niveau régional, il va sans dire qu'elle se décline au même niveau pour les pays régions. Cela confirme les prévisions déjà annoncés par plusieurs experts au niveau national et reprises dans le cadre de la Vision 2020 de la CGEM. Le Maroc devrait atteindre une croissance économique moyenne au delà de 6% pour espérer résorber le déficit en matière d'emploi. Or, et c'est là que l'équation se complique, les prévisions pour les prochaines années ne sont guère reluisantes. Dans les scénarios les plus optimistes, le taux de croissance estimé pour les deux prochaines années, en tout cas, pour 2012, ne table que sur une moyenne en deçà de 5% ! De quoi donner des sueurs froides au prochain gouvernement, qui sera très attendu sur la question, surtout que les pistes permettant de renverser la tendance ne sont pas légion, au regard de la situation de l'économie nationale et des contraintes qui pèsent lourdement sur les perspectives de croissance. La gouvernance publique pointée du doigt Le rapport de la Banque mondiale se distingue sur un autre aspect, par des conclussions assez surprenantes. «Les difficultés d'emploi de la région ne peuvent pas être uniquement imputées à la lenteur de la création d'emplois par rapport à la croissance économique», dévoile le document, qui relève en outre que «si l'on se base sur l'élasticité de l'emploi enregistrée en moyenne dans les années 2000, on voit que le pays-type de la région MENA a une propension à créer des emplois plus forte que celle des autres pays à revenu intermédiaire». L'institution pointe du doigt les lacunes de la gouvernance des politiques publiques mises en œuvre dans ces pays. Le Maroc est particulièrement concerné, car les réponses conjoncturelles apportées au problème de l'emploi risqueraient d'assombrir davantage les perspectives de sortie de crise (voir encadré). La Banque mondiale appelle par conséquent à une réorientation des efforts vers les secteurs plus productifs en matière de création d'emploi. «Quand un pays est bien gouverné, les investissements publics tendent à amplifier les investissements privés, car ils fournissent les réseaux énergétiques, routiers, logistiques et les moyens de communication dont les entreprises ont besoin pour produire», fait observer Caroline Freund, économiste en chef pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord à la Banque mondiale. Dans le cas inverse, ajoute-t-elle, «ils auront tendance à évincer les investissements du secteur privé en captant des ressources que ce dernier aurait pu utiliser, sans occulter le fait qu'il se peut que l'investissement public ne stimule pas la croissance, puisqu'il est consacré à des actifs non productifs qui ne profitent qu'à des groupes d'intérêt particuliers». «Les services et l'industrie manufacturière, c'est là que les choses bougent», fait valoir, pour sa part, Elena Ianchovichina, qui souligne que le secteur des services a été une source de solidité, tant pour le revenu que pour l'emploi, en termes aussi bien de volume que de croissance. L'illustration pour le cas du Maroc est donnée par le secteur touristique, lequel a bien résisté à la crise dans la région, puisque le Maroc a été l'un des seuls pays à ne pas être durablement touché, en termes de valeur ajoutée financière et d'emplois sauvegardés, notamment. Selon la Banque mondiale, l'investissement privé dans les services et l'industrie manufacturière est un moteur d'emplois et de croissance des revenus dans la région. La preuve en est que, selon les statistiques, le gros des Investissements directs à l'étranger (IDE) apporté à la région est absorbé par l'immobilier et les hydrocarbures, alors que la plupart des emplois en rapport avec les IDE sont en fait créés dans le secteur manufacturier. C'est là une piste de réflexion assez intéressante, que nos politiciens feraient bien de prendre en compte. Consultez le rapport de la Banque mondiale dans notre section Documents utiles Alerte à l'horizon Les perspectives de l'économie nationale notamment pour ce qui est de la question de l'emploi et de la croissance des revenus a été passée au crible par les experts de la Banque mondiale. Ces derniers sont revenus sur les mesures prises cette année pour contenir les revendications sociales. Selon la Banque mondiale, «l'expansion des programmes sociaux en réponse aux manifestations populaire a eu lieu au détriment des programmes d'investissement public». Augmentation des salaires et des pensions, recrutement dans la fonction publique et dépenses de compensations, ces contraintes devront engendrer un coût total pour 2011, estimé à 508 millions de dollars et qui devrait grimper à 760 millions de dollars en 2012 où plus de 20.000 postes sont annoncés dans la prochaine loi de finances. La Banque mondiale fait remarquer qu'en l'absence d'un régime fiscal solide, cela s'est traduit par «une coupe significative des dépenses et investissements publics». Et de conclure que «dans la mesure où l'investissement public est complémentaire à l'investissement privé, cette stratégie n'est pas de bon augure pour la croissance future du pays». Seul bon point, au Maroc, la part des services publics dans l'emploi est plus petite que sa part dans la valeur ajoutée totale, ce qui implique que le secteur des services publics est plus efficace par rapport à celui d'Algérie et de l'Egypte, où c'est le contraire.