De nouveaux régulateurs viennent de voir le jour et d'autres sont déjà dans le pipe. La multiplication de ces autorités administratives indépendantes (AAI) soulève quelques interrogations. Certains avancent un risque de «démembrement de la puissance publique», d'autres pointent du doigt le caractère budgétivore de ce genre d'organes. Déferlante des nouveaux organes de régulation. Autorité marocaine dumarché des capitaux (AMMC), Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (ACAPS) ou encore l'Autorité nationale de régulation de l'électricité (ANRE)... Plus rien ne semble arrêter la volonté de l'Exécutif de créer des Agences administratives indépendantes (AAI) chargées de réguler des secteurs économiques ou administratifs particuliers. Dotés d'autonomie et détachés des ministères de tutelles, ces organismes sont principalement chargés de la régulation technique de secteurs d'activité dont la charge revenait auparavant à l'un des départements ministériels ou d'une institution publique particulière (voir encadré). La plupart des autorités de régulation sont chargées du contrôle et de l'accompagnement d'un secteur économique, à l'instar de l'ANRT pour les télécoms ou de la HACA pour l'audiovisuel. Ces derniers mois, l'annonce de plusieurs nouvelles autorités qui ont vu, ou qui verront bientôt, le jour, n'a pas manqué de soulever quelques interrogations. «Ne serions-nous pas en train de dépouiller les pouvoirs publics de leurs attributions ?», s'interroge une source au sein de l'Autorité de la concurrence. Les inquiétudes fusent surtout en ce qui concerne un risque de «démembrement de la puissance publique». Cette question a récemment été soulevée dans le cadre d'un rapport soumis fin 2015 par une commission ad hoc au sein de la Chambre haute du Sénat français. Un exemple éloquent en l'espèce, vu les grandes similarités qui subsistent entre les mécanismes de régulation et de concurrence marocains et français. Selon le rapporteur de la commission d'enquête du Sénat sur les autorités administratives indépendantes, ces organismes empiéteraient sur les prérogatives des élus, sans être suffisamment contrôlés. Les rapports annuels, qu'ils sont censés publier pour rendre compte de leur gestion, s'avéreraient insuffisants. Par ailleurs, «ces organismes étatiques agiraient sans réel contrôle budgétaire, avec des missions à la pertinence parfois discutable». Si nous n'en sommes pas encore au niveau de la France, qui compte aujourd'hui plus de 50 autorités administratives indépendantes, il n'en demeure pas mois que les mêmes préoccupations demeurent de mise. Ce modèle de multiplication des AAI est aujourd'hui remis en question au sein de l'UE. Certains pays européens s'acheminent désormais vers une réduction du nombre de ces instances, à l'instar de l'Espagne ou encore de l'Allemagne qui compte près de 190 organes de ce type. Concernant le caractère budgétivore de ces instances, il faut préciser que leur budget est rattaché à celui du chef du gouvernement. Il est à noter que ces établissements dépendaient auparavant de la Cour royale. Leur transfert à la primature visait principalement à renforcer le contrôle du budget qui leur ait accordée. Pour ce qui est de leur contrôle, «un début de réponse est d'abord à rechercher au sein même de la Constitution de 2011 qui a insisté sur les principes de bonne gouvernance et de reddition des comptes», explique Hassan Ouazzani Chahdi, professeur de droit administratif à la Faculté des sciences juridiques économiques et sociales de Casablanca. Il ne faut pas oublier que ces instances, bien qu'indépendantes, demeurent ralliées, au moins en partie, au pouvoir exécutif avec parfois le chef de gouvernement ou bien le ministre de tutelle, comme membre du Conseil d'administration. La question des relations entretenues entre ces agences de régulation et d'autres institutions étatiques, notamment le Conseil de la concurrence peuvent soulever quelques inquiétudes. «Il existe aujourd'hui un vrai télescopage des compétences entre l'autorité de la Concurrence et certains régulateurs», affirme un responsable au sein du Conseil de la concurrence. Alors que cette institution attend encore la nomination de ses nouveaux membres, la multiplication de ce genre d'organismes commence à constituer une sérieuse menace. Cela, surtout que la révision de la loi sur les postes et télécoms avait entériné en 2014 les prérogatives de l'ANRT, censée disposer de pouvoirs purement techniques, concernant ses missions en matière d'application des dispositions de la législation relative à la liberté des prix et de la concurrence. Une prérogative dont l'agence dispose depuis 2005, alors que le Conseil de la concurrence n'était pas encore une institution constitutionnelle. Or, les choses ont bien changé depuis, et l'article 166 de la Constitution de 2011 a consacré le conseil en tant qu'autorité administrative indépendante dans ce domaine. Nombreux sont ceux qui s'inquiètent aujourd'hui de voir ce même schéma reproduit avec certaines autres autorités, ce qui contribuera à vider l'autorité de la concurrence de toute sa substance. Raison d'être Plusieurs motifs peuvent être à l'origine de la création d'agences de régulation. La technicité d'un secteur peut conduire le législateur à créer une autorité administrative indépendante pour en assurer la régulation. Le législateur a par ailleurs créé des autorités administratives indépendantes pour assurer, en dehors du cadre administratif traditionnel et avec des garanties d'indépendance, des fonctions de médiation et de protection des droits fondamentaux. C'est le cas notamment du Médiateur au Maroc. Les autorités administratives indépendantes disposent d'une organisation et d'une autonomie de gestion qui peut leur conférer une réactivité supérieure à celle observée dans des administrations centrales. Les règles de fonctionnement simplifiées des AAI leur permettent de trancher les litiges plus rapidement. Aussi observe-t-on qu'un nombre croissant d'autorités administratives indépendantes sont dotées de pouvoirs de sanction pécuniaire. Les nouveaux régulateurs se profilent ANRE : Un voltmètre pour le secteur électrique Attendu depuis plus d'une décennie, le projet de mise en place d'une Autorité nationale de régulation de l'électricité (ANRE) prend forme. Après de multiples reports, sans doute liés à la complexité du dossier, un projet de loi est actuellement en cours d'examen au sein de la Commission des secteurs productifs de la Chambre des représentants, marquant une étape importante dans le processus de libéralisation du secteur de l'électricité. Il fixe l'organisation et le fonctionnement de la nouvelle autorité et précise les règles à respecter en matière de transport de l'électricité et de gestion des réseaux électriques de moyenne tension. La principale mission de cette instance est de surveiller la relation entre les opérateurs publics (ONEE et les différentes régies publiques de distribution) et le secteur privé, composé à la fois des concessionnaires producteurs (Taqa Morocco ou encore Théolia), des distributeurs (Lydec, Redal, Amendis) ainsi que d'autres auto-producteurs (Lafarge, Ciments du Maroc...) et les producteurs privés (Nareva, UPC Renewables, etc.). Devant une telle multiplication des intervenants, la mise en place de cette autorité est venue unifier la régulation qui était jusque-là morcelée entre plusieurs départements ministériels. L'ANRE sera une entité indépendante et non plus un établissement public ayant pour principale mission la détermination du tarif d'utilisation du réseau électrique national de transport et des tarifs d'utilisation des réseaux électriques de moyenne tension. AMMC : Un vrai «gendarme» des marchés de capitaux Exit le CDVM, il faudra désormais parler de l'«AMMC» : Autorité marocaine du marché de capitaux. Une entité plus indépendante et aux prérogatives renforcées. L'autorité de régulation est dotée de la capacité de prendre des mesures et d'appliquer des décisions sans influence extérieure. La direction de l'institution a été récemment confiée à Nezha Hayat. Une fonction dont le mandat est de quatre ans, renouvelable une seule fois. La tutelle gardera un œil sur les activités de l'AMMC puisqu'un commissaire du gouvernement sera nommé pour s'assurer et veiller au respect des dispositions législatives régissant l'autorité. Toujours dans le cadre du renforcement de l'indépendance de l'institution, est institué un collège de sanctions, structure indépendante au sein de l'autorité chargée d'instruire tous les dossiers pouvant faire l'objet d'une sanction par cette autorité ou susceptible d'être transmis à la justice. Le collège des sanctions est indépendant vis-à-vis du Conseil d'administration qui est déchargé de la fonction de prononciation des sanctions. Le collège des sanctions est présidé par un magistrat. Il remplace l'ancienne commission d'examen qui est chargée de l'instruction des faits sans pour autant être indépendante du CDVM. En plus de sa mutation d'un établissement public à une personne morale dotée d'une certaine autonomie, l'AMMC élargit également son champ de contrôle. Comme son nom l'indique, l'Autorité marocaine du marché des capitaux est chargée de la supervision du marché des capitaux, contrairement au CDVM dont le champ de contrôle était restreint aux «valeurs mobilières» alors qu'en pratique le champ de contrôle de cette autorité s'étend à l'ensemble du marché des capitaux. HYDROCARBURES : Marché libéralisé cherche régulateur Le marché de la distribution des produits pétroliers est désormais libéralisé. Une transition de près d'une année a été nécessaire avant l'application, le 1er décembre dernier, de la libre concurrence entre les pétroliers du royaume. Un cap a été franchi mais certaines craintes demeurent toutefois bien présentes, en raison notamment de l'absence d'un régulateur du secteur. Le texte de loi relatif à l'établissement d'un organe de régulation suit toujours son processus d'adoption. Sa création est incontournable pour garantir le respect de la qualité du carburant, l'application des prix affichés, la qualité de service et bien d'autres paramètres essentiels. Le futur organe régulateur devra surveiller tant les relations entre pétroliers que celles entre les producteurs et leurs distributeurs. Il veillera également à ce que les règles de compétition soient respectées tout comme la qualité offerte aux consommateurs. Un tel organe devrait également permettre de se prémunir de toute hausse des prix sans lien avec les cours internationaux. La question de l'institution d'un tel régulateur est toujours à l'étude. À en croire les professionnels, une telle mission pourrait être remplie par l'Autorité de la concurrence, mais encore faut-il que celle-ci soit libérée de sa léthargie, imposée par le retard de nomination de nouveaux membres. ACAPS : Mutation réussie pour la DAPS Le cas de l'ACAPS est également celui d'une direction rattachée au ministère de l'Economie et des finances qui s'est muée en une agence de réglementation autonome. L'ex-Direction des assurances et de la prévoyance sociale (DAPS) est devenue l'Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale, depuis la nomination de son président, Hassan Boubrik. La mise en place de cette autorité permet d'opérer un véritable saut qualitatif dans la régulation et la supervision des secteurs des assurances et de la prévoyance sociale au Maroc. L'ACAPS jouit naturellement de plus d'indépendance, inscrite de manière institutionnelle et conforme aux standards internationaux et aux principes de l'Association internationale des contrôleurs d'assurance (AICA). Cette indépendance, en plus de la capacité de disposer d'un cadre budgétaire et d'une organisation plus flexible, lui permettra, entre autres, de mieux adapter son organisation, ses procédures, ses modes opératoires et ses ressources à l'évolution rapide du secteur. Le marché marocain étant le troisième plus vaste du monde arabe, après les Emirats Arabes Unis et l'Arabie Saoudite. «Les autorités de régulation sont indispensables» Hassan Ouazzani Chahdi Professeur de droit public à la faculté de droit de Casablanca. Les Inspirations ECO : Dans quelle mesure pouvons-nous considérer les Autorités de régulation comme des autorités indépendantes ? Hassan Ouazzani Chahdi : Lorsqu'on parle d'Autorités administratives indépendantes (AAI), le terme indépendant ne veut pas dire que ces organes peuvent faire ce qu'ils veulent. L'indépendance est surtout concrétisée dans leurs relations avec les pouvoirs publics. Ce sont des autorités qui n'ont pas de ministère de tutelle, qui ne dépendent d'aucun département, ce qui leur accorde une marge de manœuvre dans la régulation de leurs secteurs respectifs. Certes ces autorités dépendent de l'Etat au niveau budgétaire, mais sur le plan fonctionnel, ils jouissent de cette indépendance qui leur accorde plus de souplesse. Prenons l'exemple de l'ACAPS : Cet organe était auparavant une direction au sein du ministère de l'Economie et des finances. Une situation qui alourdissait le processus de prise de décision vu que les actions de la direction devaient être validées par le ministre lui-même. C'est le cas de plusieurs autres autorités qui n'agissent pas forcément dans le secteur économique, comme l'institution du médiateur par exemple. L'indépendance se manifeste également à travers la procédure de nomination de leurs présidents... Le législateur a voulu accorder à ces autorités plus d'indépendance en faisant en sorte que leurs présidents soient nommés directement par sa majesté. La loi sur les nominations a fixé les prérogatives du chef du gouvernement et du souverain concernant cette question. Le chef du gouvernement est chargé de la nomination des hauts responsables au sein de l'administration centrale (directeurs, secrétaires généraux, etc.). D'autres nominations relèvent des pouvoirs du roi et c'est le cas des directeurs et présidents de ces agences de régulation qui sont nommés sur proposition du chef de l'Exécutif. Ceci leur accorde donc un peu plus de poids et de valeur en face des autres institutions. Nous constatons durant ces derniers mois une certaine prolifération de ces organes de régulation. Faut-il s'en inquiéter ? Cette question de régulation est une tendance généralisée. Pour des secteurs névralgiques qui nécessitent pour leur gestion beaucoup de souplesse, des procédures allégées et de l'indépendance sur le plan décisionnel, ces autorités indépendantes sont indispensables. Non seulement cela permet de mieux maîtriser les dossiers particuliers qui concernent le secteur, mais aussi de disposer d'une grande autonomie dans le contrôle et la surveillance de certaines activités économiques. Certains affirment que la multiplication de ces instances risque d'affecter grandement le budget de l'Etat ? Il faut préciser que les questions de bonne gouvernance et de gestion du budget relèvent des prérogatives du chef du gouvernement. Les budgets de ces organes sont répartis en fonction de leurs missions, des objectifs fixés et des spécificités des secteurs qu'ils régulent. Le principe constitutionnel de la bonne gouvernance doit être respecté par ces instances. Parmi les indicateurs de cette bonne gouvernance : l'évaluation et l'obligation de rendre compte. C'est pourquoi ces autorités sont obligées de rendre des rapports annuels dans lesquels ils précisent le détail de leur activité. Et c'est là que le chef du gouvernement doit absolument vérifier si les objectifs sont bien réalisés et si l'autorité, de par ses missions, justifie le budget alloué. Faut-il se préoccuper de l'élargissement des prérogatives de certaines de ces instances, comme l'ANRT, qui viendraient empiéter sur celles d'autres organes à l'instar de l'Autorité de la concurrence ? Le cas de l'ANRT est particulier, car bien qu'elle fasse partie des autorités de régulation, elle demeure dans le giron du chef du gouvernement. Un problème a d'ailleurs été soulevé au moment même de la création de l'agence : Toute la question était de savoir s'il s'agissait d'une agence de réglementation ou bien d'une agence de régulation. La question de savoir si cette agence disposait du pouvoir réglementaire avait fait couler beaucoup d'encre, le pouvoir réglementaire étant une prérogative du chef du gouvernement. Il faut donc que l'appellation de l'ANRT change pour se dénommer désormais Agence de régulation des télécommunications. Pour ce qui est des interférences entre cette institution et l'Autorité de la concurrence, ou une toute autre instance, ce sont là aussi des arbitrages que le chef du gouvernement doit gérer. Sans oublier les textes d'application et les règlements intérieurs de ces organes qui doivent bien définir la nature des relations entre les instances.