La complexité du système économique, les grandes mutations de la technologie et la mondialisation imposent la mise en place d'instances capables de fixer certaines règles du jeu, de faire prévaloir certaines disciplines, de protéger certains intérêts (Chevallier, 2004)1. A cet égard, les autorités administratives indépendantes (AAI) ont surgi dans le dispositif institutionnel français à la fin des années 1970 (Commission nationale informatique et libertés, 1978). Et qui avaient été précédées dans le monde anglo-saxon par les Independent Agencies (B. Morrison, 1988)2. Nées dans l'incertitude, elles ont grandi dans la contestation, ce qui n'a pas empêché leur multiplication dans tous les domaines de l'action publique (Lamanda, 2010)3. Ces autorités ont vu le jour pour satisfaire le besoin d'adapter des moyens traditionnels d'administration de l'Etat dans plusieurs domaines de la vie sociale, et notamment dans trois grandes sphères pour lesquelles le rôle des autorités administratives indépendantes ne cesse de croître : la protection des libertés, le respect des garanties dans les relations administration-administrés, et enfin, la régulation économique (Calandri, 20084). Au Maroc, historiquement on trouve une trace très pâle de la régulation, (Alami Machichi, 2012)5. En fait le champ juridique marocain dans ce domaine est fortement influencé par le droit français aux niveaux normatif et institutionnel. Le nouveau cadre juridique marocain de la concurrence a renforcé davantage le rôle de l'entité régulatrice de la concurrence. Celle-ci veille, désormais, au libre jeu de la concurrence avec des compétences décisionnelles. On remarque que le législateur lui confère une mission de «régulation» du marché dans son sens le plus large. Si le terme est employé en son sens le plus strict de régulation sectorielle, il serait préférable alors de ne pas l'employer pour désigner une autorité chargée de l'application du droit de la concurrence fondamentalement distinct du droit de la régulation. Le premier, incluant notamment le contrôle des pratiques anticoncurrentielles, est destiné à réprimer ex-post des pratiques anticoncurrentielles au sein d'un marché. Le second a pour objectif de modeler, de façonner un marché souvent ex ante, afin de rétablir ou de maintenir les rapports de force internes et de prévenir les risques d'abus. Mais dans la mesure où la régulation oblige à la détention de beaucoup plus de pouvoirs que n'y oblige le droit de la concurrence, les autorités de la concurrence militent pour être reconnues comme des autorités de «régulation» (Nicinski, 2009)6; (Frison-Roche, 2014)7. L'instauration d'un Conseil de la concurrence décisionnel ne doit pas échapper au mouvement de réforme de l'Etat qui tend à le moderniser et à l'adapter aux attentes des différents acteurs. Si la création d'un régulateur unique en matière de contrôle de la concurrence peut paraître une question technique à certains, l'enjeu est important parce qu'il en va de la façon dont l'Etat lutte contre des pratiques anticoncurrentielles (ententes et abus de domination) et contrôle les concentrations. La dynamique que va apporter le Conseil de la Concurrence en tant qu'entité indépendante, à l'organisation et l'action administratives s'avère importante dans un système politique et économique marocain, dans lequel cohabite une administration «moderne» avec le Makhzen traditionnel. L'indépendance des entités de la régulation est généralement entendue comme la situation d'un organe public auquel son statut assure la possibilité de prendre ses décisions en toute liberté et à l'abri de toutes instructions et pressions. Cette indépendance poserait une «difficulté constitutionnelle majeure» dans la mesure où, à l'instar de l'ensemble des autorités administratives indépendantes, elle peut apparaître comme une offense aux schémas ordinaires de la démocratie représentative (Auby, 2010)8. En effet, le principe démocratique exige une soumission de l'administration au gouvernement, responsable devant le Parlement. C'est ce que rappelle l'article 89 de la Constitution de 2011 lorsqu'il énonce que le gouvernement «dispose de l'administration». Toutefois, Il est soumis au droit de regard du Parlement, devant lequel il est tenu au moins une fois par an de présenter un rapport sur son activité, qui fera l'objet d'un débat selon l'article 160 de la loi fondamentale. Le Conseil de la concurrence est soumis au contrôle du juge, puisque ses décisions peuvent faire l'objet d'un recours devant la chambre administrative de la cour de cassation concernant le contrôle des concentrations, et d'un recours devant la cour d'appel de Rabat pour ses décisions prises dans le cadre de la répression des pratiques anticoncurrentielles. L'examen de cette dernière compétence dévoile sa nature spéciale faisant de la juridiction judiciaire un juge spécial économique qui va trancher des décisions d'une institution indépendante de régulation, lesquelles sont par nature soumises en principe au contrôle du seul juge administratif. Il s'avère que le Conseil de la concurrence transcende les clivages habituels du droit et qu'il prend place dans un mouvement de «polycentrisme administratif». (Chevallier, 1986)9. B- Vers un perfectionnement du contrôle de la concurrence La plus grande partie des règles du droit de la concurrence sont en effet destinées à faire obstacle aux ententes, abus de domination, concentrations qui tendent à la suppression ou à la restriction de la concurrence entre les entreprises venant en compétition sur le marché. (Bienaymé et al. 2014)10. 1- Chevallier Jacques, «L'état régulateur», Revue française d'administration publique, no111, 2004. 2- B. Morrison Alan, How Independent Are Independent Regulatory Agencies?, Source: Duke Law Journal, Vol. 1988, No. 2/3, Nineteenth annual administrative law issue, Apr. - Jun., 1988. 3- Lamanda Vincent, Avant-propos d'un dossier consacré aux AAI, RFDA, 2010. 4- Calandri Laurence, Recherche sur la notion de régulation en droit administratif français, L.G.D.J., 2008. 5- Alami Machichi Mohamed Drissi, les autorités autonomes de régulation, conférence sous le thème «Innovations de la nouvelle Constitution et régulation», Haute autorité de la communication audiovisuelle, 2012. 6- Nicinski Sophie, l'Autorité de la concurrence, RFDA, 2009 7- Frison-Roche Marie-Anne, Marie-Stéphane Payet, les grandes questions du droit économique, PUF, 2005. 8- Auby Jean-Bernard, «Les autorités administratives indépendantes : une rationalisation impossible : Remarques terminales», RFDA, 2010. 9- Chevallier Jacques, Réflexions sur l'institution des autorités administratives indépendantes, La Semaine juridique Edition générale - 6 août 1986. 10- Bienayme Alain, Goldman Berthold, Vogel Louis, «Concurrence, droit», Encyclopedia Universalis [en ligne], consulté le 3 octobre 2014.