Le Conseil de la Concurrence, organe garant de la compétitivité du tissu économique national et de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, peine toujours à trouver son indépendance. Placé sous tutelle de la primature, le Conseil brigue aujourd'hui un pouvoir décisionnel qui lui permettrait d'être efficace et de jouer pleinement son rôle d'arbitre alors que de fait, l'Etat, censé être régulateur, est perçu en tant que juge et partie. L'amendement de la loi 06/99 s'avère inévitable selon des sources proches du dossier : l'autorité de la concurrence devrait avoir les mêmes attributions que ses pairs dans les pays à niveau de développement similaire. Assurément, le Conseil de la Concurrence peine à trouver ses marques. Depuis la désignation de son président en août 2008 et la nomination de ses membres en janvier 2009, son champ et ses moyens d'action révèlent de nombreuses limites. Son président, Abdelali Benamour, confirme ce constat et dénonce la dimension bloquante du dispositif réglementaire régissant la liberté des prix et la concurrence au Maroc. Plusieurs anomalies tarissent actuellement la mission de cet organe qui reste purement consultatif. Cela va des limites de sa soumission à la tutelle de la primature, de l'absence de contact direct avec le monde économique (passage obligé par une association professionnelle), du manque de pouvoir décisionnel, d'indépendance et d'autonomie financière. Ce n'est pas tout, le Conseil, avec ses attributions actuelles, est dans l'incapacité d'avoir un pouvoir de sanction à même de lui permettre de jouer pleinement sa mission d'arbitrage et d'agir efficacement dans le paysage institutionnel et suivre ainsi l'évolution de l'environnement économique, juridique et social. Du coup, la confusion s'annonce être le mot d'ordre. On s'attendait à ce que 2010 soit l'année d'un bouleversement de taille en matière des attributions du Conseil de la Concurrence. L'attente fut longue et les perspectives à moyen terme non encore balisées. Même si une déclaration officielle d'un membre du gouvernement a fixé le timing de l'aboutissement de la réforme vers la fin de l'année 2011. C'est là une petite fenêtre qui commence à s'ouvrir nous dirait, avec optimisme mesuré, le président de l'autorité de la concurrence. Et de souligner, qu'une bonne gouvernance économique et une meilleure promotion de l'économie du marché, par le biais de la concurrence, requièrent l'élargissement des prérogatives du Conseil de la concurrence dans le cadre de la loi 06/99. L'objectif premier est donc de se doter d'une position d'instance décisionnelle et, partant, se conformer aux normes institutionnelles pratiquées en la matière. Mais avant il a fallu s'occuper de préparer les structures sur les plans humain et organisationnel. Autrement dit, nous confirme Benamour, le Conseil dispose aujourd'hui de l'ossature nécessaire pour pouvoir fonctionner normalement et surtout efficacement. Le bilan d'une année et demie d'exercice de cet outil consultatif au service du consommateur et de la compétitivité de l'économie, est à l'image de ses prérogatives. Au total, pas plus de 22 avis et saisines ont été reçus dont 12 jugés non recevables du fait de leur objet. Quatre seront étudiés au cours du mois de septembre prochain à l'occasion de la dixième session. Le reste est programmé pour plus tard. Dans tous les cas, ce premier bilan tient au fait que pratiquement même les saisines que peut recevoir le Conseil sont trop encadrées et ne peuvent être recommandées que par les représentations habilitées à le faire. Le comble est que les conditions de la concurrenciabilité font largement défaut dans la mesure où les deux piliers fondamentaux à toute décision du Conseil de la Concurrence, à savoir la sensibilisation et la sanction, ne sont pas réunis. La sanction doit être dissuasive. C'est comme dans le foot, tout débordement doit être sanctionné à sa juste valeur, estime Benamour qui conclut que sans la réforme, le Conseil sera boiteux. ***** Débats autour du Conseil de la concurrence Concurrence : Des organismes rentables pour l'Etat En France, l'autorité de concurrence est un véritable outil de sanction. C'est un organe destiné à la protection du consommateur. Et le comble, c'est qu' hors sa mission régulatrice du marché, elle devient une administration rentable pour l'Etat. Le rapport de 2009, présenté le mois courant, indique que la somme d'argent enregistrée, suite aux amendes infligées aux entreprises transgressant la loi, s'élève à 206, 6 millions d'euros. Une bagatelle qui pourrait permettre à l'Etat de renflouer ses caisses. Rappelons que l'année 2008, a été marquée par un record dans les annales des impôts en France, avec 631,3 millions d'euros. En fait, lors de cette année, 11 entreprises de la sidérurgie, dont trois filiales du groupe ArcelorMittal ont été rappelé à l'ordre, pour avoir s'être concerté sur la politique des prix. L'autorité de la concurrence a été mise sur pied le 13 janvier 2009, remplaçant ainsi le Conseil de concurrence. Par une telle instance, le législateur français vise à «assurer le respect de l'ordre public économique» Pour ce faire, elle est habilitée à prendre des injonctions et infliger des sanctions. Elle est considérée comme une autorité administrative indépendante. Quant aux Etats-Unis, l'instance chargée de réguler le marché est la Federal Trade Commission (FTC). A l'instar de l'autorité de concurrence en France, la loi la place en tant qu'agence indépendante du gouvernement des Etats-Unis. Sa mission principale est l'application du droit de la consommation et le contrôle des pratiques commerciales anticoncurrentielle tels que les monopoles déloyaux. Notons que la FTC n'est pas l'unique acteur en matière de lutte contre les pratiques déloyales. En fait, elle opère en concertation avec les autres organes de l'Union, dénommés «little FTC-Acts» Pour donner plus d'efficacité à son action, la FTC a mis sur pied deux autres organes. Il s'agit en l'occurrence d'un bureau spécial de la concurrence et un bureau séparé de protection des consommateurs. La mission du bureau spécial consiste à ester devant les juges administratifs de l'agence les violations invoquées, après dépôt d'une plainte par la FTC, ou chercher à obtenir, par la négociation, des ordonnances basées sur le consentement des parties, qui doivent être acceptées et publiées par la Commission. Il est à souligner que l'organisme de crédit hypothécaire Countrywide, racheté par Bank of America (BofA) en 2008, a été contraint de verser une amende estimée à 108 millions de dollars. La Commission fédérale du Commerce (FTC) l'avait accusé «d'avoir facturé des frais excessifs à des propriétaires immobiliers en difficulté» Cette amende a été l'une des plus élevées dans l'histoire des Etats-Unis. Khalid Darfaf ****** Un statut insuffisant Les sociétés entières sont d'accord pour dire que le meilleur moyen pour un marché économique donné de vivre et surtout perdurer dans le temps sans anomalies, est de surveiller la cadence de l'offre et de la demande mais surtout, veiller au respect des règles de la concurrence loyale. C'est dans ce sens qu'interviennent les instances chargées de garantir ce respect. Au Maroc, le Conseil de la concurrence est appelé à veiller au respect du libre jeu de la concurrence dans le cadre de l'économie de marché, afin de garantir la compétitivité du tissu économique national et assurer un bon rapport qualité/prix pour le bien être du consommateur. Informer et sensibiliser l'opinion publique sur toutes les activités organisées comme les colloques, les séminaires ou les conférences et étudier la concurrentiabilité dans différents secteurs et branches d'activité. Aussi, le conseil est tenu d'élaborer le rapport annuel et le soumettre au Premier Ministre et intervenir quand des pratiques anti-concurrence sont notées à savoir, des ententes anticoncurrentielles pouvant empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence à travers la fixation des prix, le partage géographique du marché et autres pratiques frauduleuses, les abus de position dominante ou de situation de dépendance économique à travers le refus de vendre un produit donné, réguler les concentrations économiques qui pourraient porter atteinte à la concurrence. Enfin, le conseil de la concurrence est consulté en permanence par le gouvernement mais aussi par les commissions permanentes du Parlement pour toutes les propositions de lois couvrant une dimension relative à la concurrence, par les Conseil de régions, les communautés urbaines, les chambres d'agriculture, d'artisanat, de pêches maritimes, les organisations syndicales et professionnelles et les associations de consommateurs reconnues d'utilité publique, et enfin, par les juridictions compétentes dans les affaires dont elles sont saisies sur les pratiques anticoncurrentielles. Liberté des marchés : origines et anomalies Le marché libre ou système d'autorégulation du marché, trouve ses fondements essentiels sur la loi de l'offre et de la demande. Néanmoins, cette loi n'a pas été sans crises ni période de forte chute. En effet, l'histoire a démontré que, par moment, le système dit de liberté du marché, a besoin en parallèle avec son système d'autorégulation, de surveillance à distance et de la machine étatique, afin de palier aux dysfonctionnements qui peuvent surgir, comme ce qui s'est passé il y a 71 ans de cela aux Etats-Unis et la crise économique mondiale que nous vivons depuis 2008 à ce jour, à cause de la perte de contrôle du marché. Malgré l'importance qu'occupe le conseil de la concurrence dans le champ économique national, cette instance ne dépasse pas le cadre des propositions ce qui affaibli considérablement son action. D'où la nécessité de revoir le statut de ce conseil afin qu'il puisse relever les défis qui sont les siens et mener à bien les missions qui lui sont confiées. Mohcine Lourhzal ******* Dr Bouazza Kherrati : “Le consommateur marginalisé” Le Dr Bouazza Kherrati, président de l'Association marocaine pour la protection du consommateur, estime que le Conseil de la concurrence est encore au stade des balbutiements et cherche à se frayer un chemin dans la jungle des Lobbys. Et de déplorer la marginalisation du principal acteur qui est le consommateur. Les propos. Al Bayane : Le rôle du Conseil de la Concurrence est-il suffisamment joué pour protéger les consommateurs à propos des pratiques anticoncurrentielles ? Dr Bouazza Kherrati : Le 6 janvier 2009, le conseil de la concurrence a été mis en place pour promouvoir une concurrence saine et loyale au Maroc en vue de protéger le pouvoir d'achat du consommateur par le jeu de la diversification de l'offre. Lors de la réception organisée par le Premier ministre, tous les membres étaient présents sauf le concerné, à savoir le consommateur. Ainsi, protéger le consommateur et rendre l'économie nationale plus compétitive par l'ignorance du principal acteur économique qui, sans lui, aucune activité n'aurait pu avoir lieu. Au sein de l'Association marocaine pour la protection des consommateurs (AMPOC), nous estimons qu'il s'agit d'un mauvais départ pour un conseil dont les Marocains attendaient beaucoup pour l'assainissement du champ commercial truffé de pièges dont le seul pigeon reste le consommateur dénudé de tout droit par l'absence de loi de protection du consommateur. Le conseil de la concurrence est au stade des balbutiements et cherche à se frayer un chemin dans la jungle des lobbys. Pensez-vous que les attributions actuelles du Conseil de la concurrence lui permettraient-elles d'intervenir efficacement ? Le conseil de la concurrence a un rôle purement consultatif. Ses pouvoirs sont très restreints et il ne jouera vraiment pleinement un rôle efficace que s'il est doté d'un pouvoir de sanction et de dissuasion. Sans ces derniers, les opérateurs ne lui accorderont aucun poids et aucun crédit. Qu'est-ce qui a changé sur le terrain depuis la mise en place de ce Conseil de la concurrence ? Pratiquement rien. C'est un constat. Les consommateurs ne voient aucun changement sur le terrain. Au contraire, le monopole se confirme de plus en plus et les accords entre concurrents deviennent de plus en plus flagrants. Alors quelles sont vos doléances par rapport à la représentativité au sein du Conseil et à ses attributions ? L'absence de la représentativité du consommateur au niveau du conseil n'est pas justifiée. La loi sur la liberté des prix et de la concurrence exige des associations de protection du consommateur, la reconnaissance de l'utilité publique pour pouvoir ester en justice et non pour admission au sein du conseil. On pourrait admettre comme handicap à leur représentativité, leur foisonnement et non pas la reconnaissance de l'utilité publique comme le clamait le président lors des ses tournées de sensibilisation. Propos recueillis par B. Amenzou ****** Moyens et champ d'action du Conseil Le Conseil de la concurrence est doté des missions suivantes : • Veiller au respect du libre jeu de la concurrence dans le cadre de l'économie de marché, afin de garantir la compétitivité du tissu économique national et assurer un bon rapport qualité-prix pour le bien être du consommateur. • Agir, à son initiative, pour - informer et sensibiliser l'opinion publique et les acteurs économiques et sociaux - étudier la concurrentiabilité de différents secteurs et branches d'activité. - élaborer le rapport annuel et le soumettre au Premier Ministre. • Intervenir, quand il est saisi, en cas : - d'ententes anticoncurrentielles pouvant empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence (fixation des prix, partage géographique du marché...) - d'abus de position dominante ou de situation de dépendance économique (ventes liées, refus de vente,...) - de concentration de nature à porter atteinte à la concurrence. • Par qui est-il consulté ? • Par le Gouvernement pour toute question concernant la concurrence, • Par les commissions permanentes du Parlement pour toutes les propositions de lois couvrant une dimension relative à la concurrence, • Par les juridictions compétentes dans les affaires dont elles sont saisies sur les pratiques anticoncurrentielles, • Par les Conseils de régions, les communautés urbaines, les chambres d'agriculture, d'artisanat, de pêches maritimes, les organisations syndicales et professionnelles et les associations de consommateurs reconnues d'utilité publique. Les réponses du Conseil se limitent uniquement à des avis sur des questions de principe.