Lahcen Daoudi a profité de l'occasion qui lui a été donnée pour donner sa vision des faits de l'état actuel dans lequel se trouve l'enseignement supérieur marocain. Au-delà de l'université, il a abordé plusieurs problématiques qui minent le système éducatif marocain, à travers une intervention sans concession qui a provoqué un débat surchauffé avec l'auditoire. En filigrane, les déclarations de Daoudi laissent transparaître la vision politique du PJD par rapport à plusieurs sujets qui ont fait dernièrement polémique au sein de l'opinion. Education : Les causes profondes du mal Selon le constat dressé par le ministre du département de l'Enseignement supérieur, le problème de l'université prend, aujourd'hui, sa source à la base, c'est-à-dire au niveau de l'éducation nationale. «On demande aujourd'hui à la Fac de corriger ce qui a été raté, ce qui n'est pas facile, surtout que les universités elles-mêmes, ne sont pas bien préparées à faciliter l'intégration des diplômés aux exigences du marché du travail», fait observer le ministre. L'exemple illustratif, c'est le taux, assez élevé, des étudiants dans les Facs de lettre ou des sciences sociales. «Aucune économie au monde ne peut absorber des taux aussi élevés comme c'est le cas au Maroc», a ajouté le ministre pour qui il faudrait une vraie réforme du système éducatif dans son ensemble, en prenant compte du contexte marocain. L'une des alternatives que propose le ministre, au-delà de la réforme pédagogique, c'est d'investir dans les branches scientifiques et la recherche. Dans ce cadre, le ministre a pris exemple sur le cas de la coopération sectorielle avec l'OCP pour renforcer la recherche dans les phosphates où les perspectives sont assez prometteuses. L'objectif, selon le ministre, c'est d'atteindre 50% des brevets de l'OCP qui doivent sortir du Maroc à l'horizon 2030. Dans l'ensemble, le ministre, qui a estimé que le pays n'a pas investi significativement dans l'éducation, doit renverser la tendance. Le défi aujourd'hui, c'est, selon le ministre, de disposer d'une stratégie d'ensemble, étalée sur plusieurs années, comme le texte en préparation et qui va atterrir bientôt au Parlement pour les 15 prochaines années. «Jusque-là, on n'a fait que bricoler des solutions à la marge et chaque gouvernement refile la patate chaude au suivant». Le ministre Daoudi a profité pour revenir sur le débat relatif aux langues et qui a particulièrement défrayé la chronique, il y a quelques semaines. Pour l'ancien économiste en chef du PJD, «c'est un faux-débat, car le problème de l'éducation n'est pas un problème de langue». Universités privées et grandes écoles étrangères «L'offre que nous avons, aujourd'hui, ne suffit pas et ne répond pas aux aspirations du marché», selon le ministre de l'Enseignement supérieur qui s'appuie sur le fait que des milliers d'étudiants marocains préfèrent partir à l'étranger parce qu'ils ne trouvent pas la formation qui correspond à leurs besoins. Plus de 35.000 étudiants marocains sont inscrits en France, et même dans des pays comme l'Ukraine (1.300), ou la Roumanie (4.000). Avec plus de 55.000 étudiants à l'étranger, c'est aussi une question de sortie de devises, «au moment où le pays en a plus besoin». En 2011/2012, c'est plus de 1,2 MMDH qui sont sortis du Maroc, au titre de payement de frais d'inscription et chaque année, c'est entre 4 et 5 MMDH qui sont consacrés au paiement des frais d'inscription à l'étranger. C'est pourquoi, le ministre a déployé une stratégie visant à «attirer des grandes écoles de renommée internationale afin de renforcer l'offre et de rapprocher les familles». Selon le ministre, l'ouverture de ces écoles étrangères au Maroc, ainsi que ceux des différentes fondations, s'inscrit dans le cadre d'un partenariat aux objectifs bien définis. Elles doivent, par exemple, réserver au minimum 20% de leurs étudiants aux boursiers, car «on ne crée pas des universités pour les riches». La formule marche bien, puisque, selon le ministre Daoudi, certains de ces établissements qui ont dernièrement ouvert, justifient d'un taux de plus de 30% de boursiers. Ecoles privées : Fin du laisser-aller L'un des points, qui a le plus cristallisé les débats, c'est celui des écoles privées avec la présence de plusieurs chefs d'établissements, présents dans la salle, pour justement entendre la vision de Daoudi. À ce niveau, d'ailleurs, le ministre a persisté et signé : les écoles privées doivent s'adapter ou fermer dès cette année 2016, puisque des délais leur ont été accordés. «Nous sommes prêts à accompagner les écoles privées, et même voir comment prolonger le délai pour qu'ils s'adaptent aux nouvelles normes, mais les écoles dans des appartements ou des villas, c'est fini à partir de cette année», a clairement laissé entendre Daoudi. En plus de la question des infrastructures ou des équipements, chaque école privée doit disposer, au moins, de 60% de ses propres enseignants si elle veut la reconnaissance du ministère. «Les écoles privées ont plus de facilités à s'adapter que l'Etat», a expliqué Daoudi pour qui si les universités publiques sont en train de s'adapter, les écoles privées devront en faire de même. La qualité de la formation, qu'elles dispensent, sera également suivie avec attention, à travers l'Agence d'évaluation de la qualité de l'enseignement supérieur, au sein du Conseil d'administration dans laquelle siégeront les représentants des écoles privées. «Il nous faut assainir le secteur dans son ensemble avec plus de transparence», a laissé entendre Daoudi pour qui l'Etat est prêt à accompagner les écoles privées pour qu'elles se mettent aux normes nationales et aux standards internationaux. DECLARATIONS CHOISIES «Ce n'est pas une critique, mais un constat : nous n'avons pas beaucoup investi dans la jeunesse alors que l'avenir se prépare. On essaie jusque-là de bricoler des solutions à la marge, à attendre l'arrivée des multinationales pour former les profils». «Les Facs de lettres causent problème puisqu'elles ne font qu'augmenter le taux de chômage du Maroc, car l'Etat ne peut pas absorber le nombre de diplômés qui sortent des facultés des lettres ou des sciences sociales». «Des chômeurs ont été recrutés de la rue et envoyés pour former nos enfants, donc, nous avons créé les conditions d'un niveau bas dans nos écoles qu'on veut rattraper à la Fac». «La réalité est têtue : la vérité, c'est que la moitié des étudiants ne sont pas préparés à intégrer l'université». «C'est dramatique, mais il faut le dire aussi, les écoles privées forment aussi des chômeurs, ce qui est paradoxal». «La gratuité ne conduit pas forcément à l'excellence et quand j'ai dit qu'il faut que les riches paient, c'est au nom de la justice sociale».