«Si vous voulez connaître l'état de l'architecture, de l'urbanisme et de l'aménagement au Maroc, regardez les villes marocaines». C'est le constat déjà connu et que confirme Rachid Benbrahim Andaloussi, architecte, urbaniste et ancien président de l'association Casamémoire. Il faut dire que le Maroc a accusé un déficit alarmant dans ces domaines. Fort de constat, le ministère de l'Habitat, de l'urbanisme et de l'aménagement de l'espace vient de lancer un appel d'offres pour la création d'un pôle de compétences en architecture, urbanisme et aménagement. L'objectif de cette initiative est la mise en place d'un pôle constitué d'un réseau de compétences pluridisciplinaires où cohabiteraient dans la même entité formation, recherche, développement et production de connaissances à travers l'invention de nouvelles structures et modalités d'action. Cela permettra également de répondre aux mutations fondamentales et rapides que connaît la société marocaine dans son ensemble. «Les écoles et instituts en charge de la formation et de la recherche en architecture, urbanisme et aménagement, doivent par essence être non seulement en phase avec le changement, mais y participer activement en cherchant une meilleure adéquation entre formation, recherche et développement», précise le ministère de tutelle. Dans cette optique, l'enseignement de l'architecture, de l'urbanisme et de l'aménagement se doit de chercher un réajustement structurel vis-à-vis du nouvel environnement économique, social et culturel de notre société par la mondialisation des compétences, la diversification et l'élargissement du champ d'exercice des architectes. L'éclatement de l'identité professionnelle des architectes, centrée actuellement sur le volet de la maîtrise d'œuvre, l'émergence de nouveaux profils professionnels à l'intersection de l'architecture, l'urbanisme et l'aménagement, la naissance de nouvelles expertises architecturales, urbanistiques et territoriales ainsi que celle d'organismes et de regroupements de compétences érigés en pôle de formation et de recherche, de métiers de l'architecture et de la ville, figurent au rang des objectifs qui président à cette nouvelle orientation stratégique du département de l'Habitat et de l'aménagement de l'espace. Ce réajustement devrait permettre à ces institutions de formation «une meilleure adaptation au contexte actuel, mais également une meilleure insertion face à la demande sociale et à la diversité des missions et profils de formation, pour lesquels ils sont de plus en plus sollicités», souligne pour sa part Abdelaziz Adidi, directeur de l'Institut national de l'urbanisme et aménagement (INAU). Cette démarche se concrétisera selon le ministère de l'Habitat par «des changements au niveau du contenu des formations, des profils à former et des missions scientifiques et culturelles des écoles et instituts en charge de l'enseignement de l'architecture, de l'urbanisme et de l'aménagement». Ces institutions réagiront par l'élargissement de leur champ de compétences, notamment dans le domaine de l'expertise et de la recherche. En effet, de nouvelles matières seront intégrées dans le programme des deux écoles ENA (Ecole nationale d'architecture) et INAU (Institut national d'aménagement et urbanisme), dès cette année. Parmi les priorités, la classification du paysage, la sauvegarde du patrimoine et de l'architecture, le droit et l'économie dans le domaine de l'urbanisme, comme l'explique Abdelaziz Adidi. Le directeur de l'INAU ajoute qu'«il est nécessaire qu'un architecte ait un bagage en urbanisme et aménagement, et cela reste valable également pour les urbanistes». C'est pour cette raison «qu'en plus de l'intégration des nouvelles matières dans le programme des écoles, le ministère nous a donné la possibilité de lancer des cycles de formation continue en commun», précise-t-il avant d'ajouter que «pour le moment, nous travaillons en collaboration avec l'ENA sur un projet de licence en urbanisme qui sera lancé dès la rentrée prochaine». En effet, l'un des objectifs du ministère est de renforcer et maximiser davantage les efforts de collaboration et de partenariat fournis par ces deux institutions publiques pour qu'elles puissent monter des projets de formation communs, et de réorganiser le secteur de la recherche-développement en renforçant ses performances et sa compétitivité. Cependant, la réalisation de ce projet ambitieux reste encore au stade d'intention, vu que le ministère n'a pas encore mis en place le budget de financement. Et même en cas de réalisation, «ses fruits n'apparaîtront qu'après des décennies», prévient Andaloussi. «Pour développer ce secteur, nous avons besoin d'une stratégie nationale qui englobe la restructuration de la formation et des établissements», précise-t-il. Pour rappel, le pays ne dispose encore que de deux instituts de formation, au moment où les pays voisins comme l'Algérie, la Tunisie et l'Egypte comptent plus d'une dizaine d'écoles chacun. Conséquence immédiate : le nombre des architectes ne dépasse pas les 3.000 au Maroc, alors que l'Algérie, à titre d'exemple, compte plus que 5.000 inscrits à l'ordre. De plus, «bon nombre de ces architectes marocains ne sont pas des produits nationaux», souligne Rachid Andaloussi. Pour lui, la formation reste la pierre angulaire du développement architectural d'un pays. Du coup, l'Etat doit s'investir davantage dans la formation ou ouvrir la porte à des investisseurs dans l'enseignement privé qui peuvent développer cette discipline. Un avis que rejette totalement Abdelaziz Adidi, qui fait remarquer que les professionnels de l'enseignement supérieur public en architecture, urbanisme et aménagement ne peuvent accepter que la formation pour un tel métier soit sous la houlette du privé. S'agissant des nouveaux établissements de formation, Adidi nous confie que leur préoccupation actuelle est de «créer un établissement public qui associe les formations d'architecture, d'urbanisme et aménagement, d'ici les prochaines années». Point de vue: Rachid Ben Brahim Andaloussi, Architecte et urbaniste Le Maroc est un pays très jeune en matière d'architecture, d'urbanisme et d'aménagement. À traves cette initiative du ministère de l'Habitat et de l'urbanisme, nous sommes en train de dessiner notre histoire dans ce domaine. Il faut savoir que nous n'avons pas une culture d'architecture moderne. Depuis une trentaine d'années, date de création des deux écoles nationales spécialisées, il n'y a eu aucune mise à jour de la formation. Jusqu'à présent, nos écoles ne sont pas reconnues à l'échelle internationale. Ces changements doivent en premier lieu être axés sur la spécialisation. Le marché a besoin de lauréats spécialisés par secteur d'activité. En effet, il est inadmissible qu'un architecte travaille sur différents projets sans être spécialisé. D'ailleurs, aujourd'hui, les architectes qui ont choisi de se spécialiser dans un secteur, sont soit les produits d'universités étrangères, soit ils ont fait leur armes sur le tas. Du coup, le gouvernement doit penser sérieusement à une stratégie globale, car les solutions de bricolage ne peuvent pas donner le résultat espéré. «De nouvelles filières seront créées»: Abdelaziz Adidi, Directeur de l'Institut national d'aménagement et d'urbanisme Les Echos quotidien : Qu'entend-on par pôle de compétences ? Abdelaziz Adidi : La notion de pôle de compétences n'est pas une invention du ministère de l'Habitat, de l'urbanisme et de l'aménagement de l'espace. Elle a été introduite par le texte de loi 01/00, plus exactement l'article 37. Ce dernier précise que les établissements d'enseignement supérieur public se regroupent en ensembles cohérents de pôles polytechniques organisés sous forme d'établissements publics multidisciplinaires dont les instances, les modalités d'organisation et de fonctionnement, sont similaires à celles des universités. Ces regroupements obéissent aux mêmes conditions législatives et réglementaires que celles qui président à la création des universités. Quel est l'objectif de la création de ce pôle de compétences ? L'objectif de ce projet est, en premier lieu, la mise à jour de la formation afin de l'adapter au contexte actuel, d'autant qu'aujourd'hui, le plus grand problème qui se pose est la qualité de l'enseignement. Il y aura une sorte de complémentarité entre les établissements de formation, une démarche qui nous permettra de créer d'autres filières, dans le but de répondre aux besoins du marché en termes de qualité et de quantité. Il faut savoir que les grands pourcentages des promotions d'architectes et planificateurs sont souvent recrutés par les agences urbaines ainsi que les ministères et établissements. Concrètement, comment se décline ce programme ? La première étape dans ce projet est la mise en place d'un modèle pédagogique organisé sur le cycle LMD, par système semestriel et modulaire. Egalement, grâce au budget que va nous consacrer le ministère de tutelle, nous allons procéder à la création de nouvelles formations pour tous les niveaux, licence, master et doctorat, afin de former nos lauréats à différents métiers et spécialisations. Toutefois, une bonne partie de ces futures formations sera conçue en collaboration entre l'Ecole nationale d'architecture et l'Institut national d'aménagement et d'urbanisme.