17% de l'investissement du Maroc en Afrique a été réalisé par des entreprises installées à CFC. L'environnement instable dans la région est un motif de plus pour venir au Maroc où l'environnement est propice. C'est la conception législative qu'il faudrait sans aucun doute repenser. Les ECO : L'ambition de positionner Casablanca comme un centre financier en Afrique prend de plus en plus forme. Quel est votre bilan à fin 2015 ? Saïd Ibrahimi : Nous avons réussi à installer sur le plan international l'idée que Casablanca Finance City est la plateforme idoine pour les entreprises qui ont des visées sur l'Afrique en totalité ou en partie, faisant de CFC un hub économique et financier opérationnel. C'est ainsi que de plus en plus d'entreprises internationales prennent naturellement attache avec nous. Par ailleurs, nous avions annoncé en début d'année un objectif de 100 entreprises à fin 2015. Ce pari est réussi et nous terminons l'année avec 100 entreprises ayant le statut CFC, et qui se projettent en Afrique à partir de Casablanca. Chemin faisant, nous avons rencontré des succès de plus en plus substantiels tels que le fonds «Africa50» de la Banque africaine de développement (BAD), qui est domicilié à CFC. Nous avons également eu le premier groupe asiatique chinois, Huawei, qui installe son siège pour l'Afrique francophone à Casablanca. Ce sont plusieurs dizaines de cadres qui se redéploient vers Casablanca. En janvier 2016, nous annoncerons une grande banque chinoise. CFC est également aujourd'hui présent dans le classement des places internationales «GFCI», et nous sommes reconnus comme la deuxième place africaine. Nous avons des atouts certains et nous avons réussi à installer notre positionnement tel que nous le voulions au départ: devenir une plateforme incontournable pour l'Afrique, avec un écosystème complet s'articulant autour de 4 catégories d'entreprises: les entreprises financières, les prestataires de services professionnels, les sièges régionaux et internationaux de multinationales et les sociétés holdings. Avez-vous mesuré d'autres indicateurs jaugeant l'évolution de Casablanca Finance City ? Je vous citerai un seul autre indicateur de l'évolution de CFC que je trouve particulièrement révélateur. Les statistiques de l'Office des changes à fin octobre 2015 font ressortir que 17% de l'investissement du Maroc en Afrique a été réalisé par des entreprises installées à CFC. Le marché africain étant de plus en plus attractif, des pays voisins ont également des projets de création de centres financiers. Quels sont les axes de votre stratégie pour conserver votre longueur d'avance ? Nous avons en effet une longueur d'avance. Nous sommes déjà opérationnels, et la proposition de valeur est réelle. Les entreprises peuvent la vérifier et l'utiliser. D'ailleurs, nos meilleurs ambassadeurs sont aujourd'hui les entreprises ayant obtenu le label CFC. Et ce n'est pas parce qu'il est annoncé un projet de création d'un centre financier qu'il a vocation à être opérationnel réellement ! Aujourd'hui, nous avons l'avantage du «first-mover». Nous bénéficions aussi -et surtout- des avantages intrinsèques du Maroc. La stabilité politique est un atout considérable. Notre stabilité macro-économique est également un avantage de taille. Avoir un taux d'inflation à moins de 2% pendant plus d'une dizaine d'années, contrairement aux autres pays africains, rassure les investisseurs. Nous avons un cadre réglementaire robuste. Nous avons de solides infrastructures. Nous avons une connectivité aérienne qui est aujourd'hui d'une qualité supérieure. En effet, le meilleur réseau aérien sur l'Afrique centrale et de l'Ouest est à partir de Casablanca. Ces atouts intrinsèques du Maroc nous donnent donc une longueur d'avance indéniable. Certes, le Maroc est un pays stable, mais il est dans une région affectée par de fortes turbulences sociopolitiques et sécuritaires et une montée du risque terroriste. Ce contexte a-t-il un impact sur l'attractivité de CFC ? La place financière de Casablanca n'est pas un îlot isolé du reste du monde. Les conditions macroéconomiques s'imposent à toute la région. Au contraire, les phénomènes que vous citez mettent en relief les grands atouts et la stabilité politique dont jouit le Maroc. Il faut bien garder en tête que les groupes internationaux regardent l'Afrique. Ce n'est pas parce que les matières premières baissent ponctuellement que le regard se détourne. Si le taux de croissance, qui était à 5%, a peut-être baissé à 4% sur l'Afrique, cela n'empêchera le fait pas que les grands investisseurs s'y intéressent. Ce faisant, ils ont besoin de trouver des places pour se déployer sur le continent. L'environnement instable dans la région est un motif de plus pour venir au Maroc où l'environnement est propice. À côté de ces avantages intrinsèques de notre pays, CFC a, en outre, mis en place une proposition de valeur des plus attractives. Dans sa stratégie, CFC mise énormément sur les partenariats. Ces derniers ont-ils vocation à se développer davantage ? Les partenariats ont forcément vocation à continuer. Chacun des partenariats a des visées particulières. Il faut noter qu'un centre ne peut être isolé. Nous avons besoin d'être reliés aux autres centres. Nous le sommes à travers les partenariats. L'objectif est que ces relations deviennent des liaisons avec des flux financiers et d'affaires. Nous avons des partenariats avec des grandes places internationales, mais nous développons aussi des partenariats d'une nature différente avec des pays du continent. Cette année, nous avons noué des partenariats avec des agences de promotion des investissements de différents pays africains pour faire en sorte que ces agences puissent soutenir localement nos entreprises. Ces agences sont un relais pour nous, pour accompagner ces entreprises dans leurs démarches, faciliter leur installation et les aider dans leurs projets. Parallèlement à cela, ces agences peuvent venir promouvoir les opportunités que chacun des pays peut offrir. Nous sommes à la base des promoteurs des opportunités africaines et nous jouons pleinement ce rôle. Aujourd'hui, nous avons quelques réussites exemplaires, encore jeunes, certes. En dehors du fonds «Africa 50», nous avons au sein de CFC un groupe qui est en train de se positionner comme producteur majeur d'énergies hydroélectriques sur le continent. Début décembre, nous nous sommes vus attribuer un prix, par la revue anglaise qu'est le «Global Banking & Finance Review», du meilleur promoteur de l'investissement dans le grand Nord-Ouest africain. CFC impliquait aussi de faire évoluer la réglementation du marché des capitaux... En effet, la problématique des marchés de capitaux reste toujours posée. En trois ans, 9 textes de lois relatifs au marché des capitaux ont été adoptés. Ces neuf textes de loi nécessitent 50 textes d'application. Tant que ces derniers ne sont pas mis en place, nous ne pouvons pas avancer en matière de marché des capitaux. Le travail législatif est donc fait, mais son application prend du temps. Après, on peut aussi se poser la question de savoir pourquoi on a besoin d'autant de textes. Dans d'autres pays comme la Turquie, la Malaisie ou Singapour, un texte de loi et un texte d'application régissent l'ensemble du marché des capitaux. C'est donc la conception législative qu'il faudrait sans aucun doute repenser. Votre rôle est de promouvoir l'investissement africain. Comment procédez-vous, sur le terrain ? C'est un travail très vaste. Cela va de la réflexion sur des aspects réglementaires à la stratégie commerciale. Aujourd'hui, nous entamons d'ailleurs une nouvelle réflexion pour projeter CFC à l'horizon 2025. Sur le plan opérationnel, nous avons des cibles par catégorie d'entreprises. Nous faisons un travail d'analyse qui prend en compte, d'une part, la notoriété de l'entreprise et son positionnement sur le continent africain. Nous allons donc regarder des entreprises qui ont des sièges ou des opérations en Afrique. Les différents stades de développement de CFC ne sont pas comparables. Au départ, il était important d'avoir les premières entreprises. Il fallait donc ratisser large. Ensuite, il a fallu avoir une représentation équilibrée de nos trois cibles initiales: les entreprises financières, les prestataires de services professionnels et les sièges de multinationales. C'est après que nous avons commencé à regarder la représentation géographique. Nous nous sommes rendu compte du fait que nous avons eu, sur les trois premières années, des entreprises d'Europe, d'Amérique, d'Afrique, mais pas d'Asie. Nous nous sommes alors tournés vers ce dernier continent. Nous sommes aussi présents dans un certain nombre de forums où nous exposons notre proposition de valeur. Quelle sera donc votre stratégie 2016 pour attirer de nouvelles entreprises ? En 2016, nous souhaitons capitaliser sur nos acquis et réalisations. À partir du moment où la base des entreprises ayant le statut CFC s'élargit, nous bénéficions d'un effet d'entraînement très favorable, c'est le principe du cercle vertueux ! Nous voulons aujourd'hui marquer un positionnement clair de CFC sur quelques lignes de métier. C'est un centre où il y a une expertise en matière d'infrastructures. Nous avons aussi des secteurs d'activité africains qui vont se développer tels que les énergies hydroélectriques. J'espère que nous aurons demain un leader en énergie solaire. Nous voulons élargir davantage la représentation géographique des entreprises. Nous souhaitons avoir un focus asiatique, continuer à travailler également sur l'Europe, l'Amérique du Nord et l'Afrique, mais aussi explorer l'Amérique du Sud. Nous sommes dans une réflexion sur des perspectives à 10 ans. Nous allons donc mettre en place une stratégie viable, solide, performante, mais surtout qui réponde aux plus hautes aspirations d'une place financière définitivement installée sur l'échiquier international.