Des autocars fourmillant d'Espagnols prennent la direction de la France. Non, il ne s'agit pas de touristes en quête de farniente mais de saisonniers espagnols recrutés pour les besoins de la saison des vendanges en France. Un décor qui n'est pas sans rappeler un passé supposé révolu, où les Espagnols trouvaient refuge dans les exploitations hexagonales pour fuir la misère et la famine. Trois décennies plus tard, les Espagnols reprennent le même chemin emprunté par leurs parents et ce, en l'absence de tout projet porteur d'emplois sur le sol ibère. Il s'agit de familles entières qui postulent pour décrocher un contrat de saisonniers dans la prochaine campagne viticole. Si auparavant les postulants jouissaient d'une expérience dans le secteur agricole pour y avoir travaillé, aujourd'hui leurs profils sont hétéroclites. Les sans-emplois issus des métiers les plus touchés par la crise, à l'exemple de la construction, se ruent sur cette activité temporaire en attendant des jours meilleurs, lesquels tardent à venir. Et il n'y a pas que les jeunes qui tentent leur chance pour ces campagnes de récolte, des seniors, la soixantaine entamée, espèrent aussi se faire embaucher. Tout cela pour une campagne d'une durée ne dépassant guère 20 jours. Mais pour ces désespérés de la crise, le déplacement en vaut la chandelle. Le vendangeur touche 9 euros de l'heure, s'y ajoutent des avantages importants et des heures supplémentaires généreusement rétribuées, au moment où en Espagne la rémunération dans le secteur agricole ne dépasse guère six euros de l'heure. Dans les années 70 et à l'approche de la saison agricole, environ 80.000 personnes mettaient le cap sur cette région. Certes, de nos jours leur nombre a diminué, mais il reste tout de même alarmant et reflète la férocité de la crise espagnole. En 2007, ils étaient environ 10.000 journaliers à se rendre dans les champs français. Cependant, le chiffre connaîtra une hausse soutenue à partir du déclenchement de la crise en 2008. Ils sont à présent 14.500 selon la centrale syndicale UGT, soit une hausse de 45%. À ceux-là s'ajoutent environ 5.000 personnes s'affairant dans la cueillette de la cerise, la pêche et la fraise. Ce qui explique d'ailleurs la pression exercée sur la Fédération des travailleurs étrangers à Huelva, l'entité qui chapeaute le dossier de la main-d'œuvre temporaire. Le gouvernement local de Huelva a menacé de ne plus recourir aux saisonnières marocaines durant la période de la culture de la fraise dans la région andalouse. À titre de rappel, seules 5.335 saisonnières marocaines ont font le déplacement à la Mecque de la fraise pour la cueillette, alors qu'elles étaient 13.000 en 2008. Ce chiffre risque de se réduire davantage durant les prochaines saisons comme l'a laissé entendre le gouvernement local de Huelva. En effet, le gros lot du contingent des saisonniers espagnols se rendant en France provient des terres andalouses. Devant la profusion de la main-d'œuvre espagnole prête à se retrousser les manches dans les exploitations agricoles, le gouvernement français ne compte pas rester les bras croisés. D'ailleurs, les Français ont déjà fait savoir qu'ils n'accepteraint plus de nouveaux arrivants espagnols, vu que le quota est amplement atteint. Les syndicats estiment que les demandes ayant essuyé un refus oscillent entre 1.500 et 2.000. De ce fait, tout porte à croire que les menaces du gouvernement local de Huelva de ne plus faire appel à la main-d'œuvre marocaine seront mises à exécution. Le seul espoir qui reste à ces petites mains marocaines est la saison de collecte, car si le débat est tranché pour la culture de la fraise, la collecte pourrait changer la donne. Mais ce n'est pas gagné d'avance, car devant la morosité du panorama économique espagnol et l'abondance de la main-d'œuvre locale, le suspens pourrait comprendre la saison de la collecte qui commence en février. Le gouvernement local de Huelva, présidé par un édile du Parti populaire, sera appuyé à ce moment-là par le futur gouvernement central, lequel n'hésiterait pas à mettre un terme à cette forme d'immigration circulaire, ou du moins la restreindre de manière drastique. À noter que la récession économique commence à opérer de profonds changements dans la structure sociale espagnole. Pour la première fois dans l'ère post-dictature, l'émigration a dépassé l'immigration en Espagne. En d'autres termes, les Espagnols quittant le pays sont plus nombreux que les immigrés qui s'y installent. Un constat qui ne s'est pas produit depuis la période de la guerre civile. Selon les démographes, la longue durée de la récession est la principale cause de cette fuite des Espagnols vers des cieux plus cléments.