Le commerce intra-africain demeure trop faible par défaut d'intégration des marchés régionaux, constate un rapport de la CEA-UN. La plupart des pays appartiennent à plus d'un groupement économique et se concurrencent eux-mêmes. 46 pays africains sont membres d'au moins deux communautés économiques régionales à la fois. Les acquis et réglementations diffèrent d'une région économique à une autre, ce qui complique l'intégration économique du continent. Le contexte international de conjoncture au ralenti est vu, sous tous les angles, comme une opportunité pour le continent de prendre son envol économique. Cette situation met cependant en lumière un grand bémol : «le commerce intra-africain demeure trop faible et l'Afrique continue de perdre sa part du commerce mondial», selon les récents constats d'un rapport de la Commission économique pour l'Afrique des Nations-unies (CEA-UN). Cette part se situe actuellement à environ 3,2% contre 5% au milieu des années 60... l'écart est important. Dans le détail de son rapport, l'organisme s'est livré à une comparaison des politiques et des régimes commerciaux des huit principales communautés économiques régionales (CER) du continent. L'idée est en effet de dresser un diagnostic détaillé de l'état actuel de ces CER, ainsi que de leurs capacités - ou incapacités - à servir à l'intégration économique continentale. Le premier constat global sur cette situation est très alarmant. «Ceci complique les efforts menés en vue de l'intégration, la plupart des pays africains appartiennent à plus d'un groupement et ces groupements ont souvent des mandats faisant double emploi, ou pis, concurrents», notent d'entrée les économistes de l'ONU. «Certains de ces pays sont membres de plusieurs CER et y sont dans des groupes qui poursuivent des politiques différentes». L'Afrique semble décidément être victime de sa propre balkanisation. Il faut en effet savoir que, bien que l'Union africaine (UA) reconnaisse officiellement l'existence de huit CER comme étant les éléments constitutifs de la Communauté économique africaine, l'Afrique compte au total 14 grands groupements économiques régionaux dotés de mandats qui se chevauchent largement. Six pays africains sont membres d'une CER, 26 sont membres de deux, 20 sont membres de trois et un est membre de quatre. D'une région économique à une autre, les règlements et réalités sont tous différents. Ces chevauchements font qu'il est extrêmement difficile d'intégrer plus intensément les marchés par des instruments de politique commerciale commune, tels que le tarif extérieur commun dans des unions douanières, pour la seule et unique raison «qu'un pays ne peut faire partie de deux unions douanières appliquant deux tarifs extérieurs communs», selon la CEA-UN. Circulation des biens Ce morcellement économique est d'autant plus marquant lorsqu'il est considéré sous des aspects bien précis liés à l'intégration économique. La libéralisation des droits de douane et le calendrier de mise en place des zones de libre-échange (ZLE) des CER, sont parmi ces aspects. Dans ce domaine, en effet, les progrès et les acquis des différentes CER varient d'une partie de l'Afrique à une autre. La communauté d'Afrique de l'Est (CAE), le marché commun des Etats d'Afrique de l'Est et d'Afrique Australe (COMESA), la communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et la communauté de développement d'Afrique Australe (SADC), semblent avoir réalisé les meilleures avancées sur ce dossier, ayant toutes réussi à installer leurs ZLE. Pour le cas précis de la CEDEAO - qui est par ailleurs, la zone économique subsaharienne la plus proche du Maroc en termes de volumes d'échanges - «le cadre directif, à savoir le plan de libéralisation du commerce de la CEDEAO - visait à éliminer les droits et les barrières non tarifaires frappant les biens en provenance des Etats membres», constate-t-on dans le rapport de la CEA-UN. Ce cadre directif reposait tant sur la libre circulation des biens non transformés, l'artisanat traditionnel et les taxes, que sur l'élimination progressive des droits et taxes sur les produits industriels en provenance de la communauté. Cependant, tandis que l'accès au marché des biens non transformés et de l'artisanat traditionnel est en général libre dans la CEDEAO, les produits industriels se heurtent à des règles d'origine compliquées, selon le diagnostic de l'organisme panafricain. En ce qui concerne la situation au sein du reste des CER étudiées, la CAE et le COMESA, en particulier, disposent, en plus d'une ZLE, de leurs propres unions douanières. Quant à la communauté économique des Etats d'Afrique Centrale (CEEAC) et l'Union du maghreb-arabe (UMA), le rapport indique qu'elles ont enregistré «des progrès lents» dans la création d'une ZLE et l'établissement d'une union douanière. Protection du commerce Sur ce registre, les acquis des différentes CER du continent sont bien assez fournis. En effet, la plupart d'entre elles disposent, dans les accords de coopération, de leurs propres clauses qui préconisent des mesures correctives commerciales en cas de dommages causés par le commerce déloyal. Au sein de la COMESA par exemple, les textes réglementaires internes précisent «qu'en cas de graves perturbations de l'économie d'un Etat membre, suivant l'application des dispositions du protocole, tout Etat membre peut prendre les mesures de sauvegarde nécessaires, à maintenir en vigueur pendant une année». Ces mesures peuvent toutefois être prorogées si besoin en est. Pour exemple, au niveau de la CAE, il est permis de mettre en place «des mesures antidumping, des mesures compensatoires ainsi que des mesures de sauvegarde, pour couvrir les dommages matériels causés à l'industrie et à l'économie de l'Etat membre importateur». Le discours est également quasiment le même auprès des économies membres de la CEEAC, dont l'article 34 du traité de Constitution «permet aux Etats membres d'imposer des restrictions après des difficultés de balance des paiements et de protéger des industries naissantes ou stratégiques». Quant à la CEDEAO, il est précisé dans les règlements statutaires «qu'en cas de graves perturbations, tout Etat membre prend les mesures de sauvegarde nécessaires», là où la SADC déclare que «les mesures de sauvegarde ne peuvent s'appliquer que lorsque les importations causent ou menacent de causer de graves dommages à l'industrie nationale». Pour cette même CER, l'article 21 du Protocole ayant fondé l'union économique fait par ailleurs observer que «les membres peuvent suspendre des obligations afin de promouvoir des industries naissantes». Au finish, il est bien clair que s'il y a au moins un secteur dans lequel toutes les CER du continent semblent s'accorder, ce serait bien celui de la défense commerciale et de la protection économique. Barrières non tarifaires... véritables boulets C'est l'un des plus grands obstacles au commerce intra-africain. Elles sont aussi importantes que les mesures de sauvegarde, mais jouent un rôle contraire dans la promotion du commerce. Dans la plupart des CER, en effet, les barrières non tarifaires constituent les principaux obstacles au commerce intra-régional, selon la CEA-UN. Pour l'organisme, elles représentent un sujet croissant de préoccupation. «Les barrières non tarifaires ont une portée étendue en ce sens qu'elles entravent le commerce intra-régional et servent la cause du protectionnisme. Ces obstacles reflètent aussi la lenteur des progrès des accords d'intégration régionale», selon la même source. Laissées à elles-mêmes, les barrières non tarifaires réduiraient les avantages d'une plus grande ouverture du marché. Si globalement la lutte contre ces types d'entraves au commerce est de plus en plus prise au sérieux, il n'en reste pas moins qu'elles constituent les plus grands freins à l'intégration commerciale. Les exemples sont nombreux sur le continent, à travers les politiques appliquées au sein des CER. Le traité du COMESA, par exemple, déclare que «chaque Etat membre s'engage à éliminer immédiatement toutes les barrières non tarifaires existantes à l'importation dans ledit Etat membre de biens originaires des autres Etats membres, et à s'abstenir ultérieurement d'imposer toutes autres restrictions ou interdictions». Le Conseil des ministres du COMESA s'est d'ailleurs déclaré «préoccupé de constater que la ZLE du COMESA en particulier et le régime commercial en général aient été minés par les barrières tarifaires de certains Etats membres, sous la forme de mesures lourdes d'octroi de licences et d'autres mesures administratives», rapporte-t-on dans le rapport de la CEA-UN. Au niveau de la CAE, également, la politique interne relative à l'union douanière précise que «chaque Etat partenaire s'engage à éliminer, avec effet immédiat, toutes les barrières non tarifaires existantes à l'importation dans son territoire des biens originaires des autres Etats partenaires et, ultérieurement, à ne pas en imposer de nouvelles». À l'instar du COMESA, la CAE a également mis au point un mécanisme servant à identifier les barrières non tarifaires et à en suivre l'élimination.