Véritable ambassadrice de l'aïta marsawiya, Hajja Hammounia est une de ces pionnières de la musique populaire marocaine. Comme toute pionnière, sa vie, jonchée d'obstacles, est le reflet d'années de sacrifices et de souffrances au nom de son art. Elle est décédée ce 2 juillet à 76 ans, entourée de sa famille et de toute la famille de musiciens dont elle a réussi à s'entourer au fil de sa belle et riche carrière. Retour sur le destin d'une femme qui a exercé son art contre vents «des alizées» et marées «humaines»... Née dans les années 1930 à Douar Hamoun à Essaouira où elle a vécu avec son père après la mort de sa mère, Fatima El Kout doit son nom de scène «Hammounia» à son patelin d'origine. Mariée à l'âge de 12 ans, cette union aboutira vite au divorce, à croire que le destin en avait voulu autrement...Traumatisée par ce mariage expéditif, elle décide de se réfugier chez sa tante à Essaouira. Elle est sans ressources et se met à la recherche d'un emploi. C'est à ce moment-là qu'elle fait la rencontre de Cheikh Jilali, qui deviendra plus tard son mari et qui voit rapidement en elle une artiste. Il lui propose alors le métier de «Cheikha». «Je ne connaissais rien au métier, je voulais juste travailler. Cheikh Jilali m'a dit qu'il m'apprendrait les ficelles du métier et que j'avais tout déjà: la voix, la présence, etc. Il fallait juste travailler un peu», expliquait Hajja Hammounia lors de son témoignage à l'émission «Fi Dakira» («Dans les mémoires»), diffusée sur la TVM en 2012. Son complice l'accompagne et la coache car il croit en elle et en son talent. Très vite, elle apprend le métier et excelle; elle commence à être demandée dans les soirées. Sa réputation dans la ville est telle que même son père l'apprend. «Mon père était contre ce choix de carrière, il ne voulait pas que je fasse ce métier, synonyme de déshonneur», continue la chanteuse, certaine de vouloir faire de sa passion sa vie. La passion a été la plus forte: elle déménage à Regraga, dans les environs d'Essaouira, où elle va tenter sa chance loin du cocon familial. Elle se souvient même que son père avait tenté de la tuer en plein milieu d'un concert que la chanteuse donnait pour une occasion très spéciale. «Je chantais. Il y avait beaucoup de monde et plusieurs artistes défilaient. C'est à ce moment-là que mon père a surgi, armé, dans le but de m'ôter la vie», raconte la diva. Un coup dur pour la chanteuse qui n'a d'autre choix que de s'exiler à Safi dans les années 1970 avec son groupe. Elle persévère malgré les difficultés grâce à la foi en sa passion. «J'ai beaucoup galéré avant d'arriver et connu beaucoup de problèmes, tant financiers que personnels», raconte Cheikha Hammounia. En effet, être cheikha à l'époque n'est pas facile pour une femme car les amalgames poussent les gens à les associer au déshonneur et au vice. L'art était le seul leitmotiv de la «cheikha». C'est alors qu'elle se marie avec celui qui l'a toujours encouragée dans cette voix, Cheikh Jilali, qu'elle décrit comme dur avec elle, dans la vie personnelle comme dans la vie professionnelle. C'était la première artiste à l'époque à être «managée» par son époux, complice. Leur relation fusionnelle était visible même sur scène puisqu'elle était toujours à côté de lui. Ils commencent à deux et continuent leur ascension dans des petites villes du royaume. C'est lorsqu'une chanteuse du nom de Lghalia» quitte la scène que les projecteurs vont être braqués sur Hammounia. Elle interprète dès lors les plus célèbres titres du répertoire aïta et se constitue une belle réputation avec sa présence, son charisme et sa voix forte et percutante. Elle constitue une troupe et impose une tenue unique à ses chikhates, fonde des relations de respect et de protection avec elles. Une diva est née, et elle est respectée. Elle devient une école, inspires les nouvelles générations. En effet, intégrer la troupe de Hammounia est devenu un label de qualité. Elle commence à être connue, tourne à Rabat, Ouarzazate et même à Paris, au Danemark ou à Las Palmas. Elle fait même sensation avec un de ses chansons, composée et écrite par sa troupe sous l'œil attentif de Cheikh Jilali pour le roi Hassan II qui s'intitule «Moulay Hassan». Dotée d'un style unique et d'un empreinte vocale, Hajja Hammounia a séduit son public. Partout, Lhamounia séduit par sa voix puissante. «Sa voix était a la fois forte et sensible. Elle avait le rythme de l'aïta ancrée en elle. Elle ne ratait aucune mesure, elle en inventait même de nouvelles», dit d'elle Hajib, une figure de la chanson populaire, dans l'émission Fi Dakira. «Quant elle chantait Kharboucha, elle prenait son temps pour articuler les mots, contrairement à d'autres cheikhates, pour donner aux paroles toute leur dimension. Elle était unique. J'en avais des frissons», poursuit une chanteuse qui a travaillé avec elle. La chanteuse qui avait toujours un bijou de front commence à attirer les lumières plus que son mari. Emerge alors une autre dimension dans ce rapport passionnel dans son couple. «Une fois, racontent ceux qui ont connu la défunte, un spectateur demande à Cheikh Jilali d'arrêter de jouer au violon pour qu'il puisse écouter la voix de Lhamounia. Le mari, qui a visiblement mal pris la demande, casse son violon et, en colère, intime l'ordre à sa femme de chanter plus fort». De la jalousie? La surprise de voir que l'apprentie a dépassé le maître ? «Elle me disait qu'il était dur avec elle. Une fois le spectacle fini, il ramasse son matériel et elle avec. Pas de sorties. Retour à la maison!», se souvient Hajib. L'entourage raconte que son mari avait surtout peur qu'elle le quitte, mais la diva est fidèle et n'oublie pas qu'elle lui est redevable de son succès. Elle arrêtera même sa carrière en 2008, après la mort de son mari.