Le secteur recèle un potentiel de développement important mais devrait également faire face à de nombreux défis. Les compagnies devront notamment maîtriser les taux de sinistralité et la volatilité des marchés financiers. Le secteur des assurances au Maroc recèle un potentiel de développement important, eu égard à la faiblesse du taux actuel de pénétration du marché (quand le taux de pénétration était à 3,1% du PIB, celui de la France culminait à 10% et celui de l'Afrique du sud à 12,9%). Un pays où l'assurance est développée doit faire état d'un minimum de taux de pénétration de 8%. Pour dire que le gap à rattraper pour atteindre le niveau de maturité requis est important. Néanmoins, dans un pays où se confirme l'amélioration du niveau de vie de la population ainsi que l'émergence d'une nouvelle classe moyenne moins réticente aux produits d'assurance, le secteur est amené à croître davantage surtout avec la signature de son contrat-programme. Le potentiel de croissance économique et de développement social que présente le Maroc est certain. Plusieurs projets sortent aujourd'hui de terre avec l'objectif de développer des secteurs tels que le tourisme, l'industrie, l'immobilier ou encore l'agriculture. Cette croissance économique a besoin pour son accompagnement de l'assurance, estiment aujourd'hui les professionnels du secteur. Cet accompagnement devra se réaliser à la fois à travers la protection de l'outil industriel ainsi que via son rôle d'investisseurs institutionnels. Tout reste à faire en Afrique L'autre atout dont profite le secteur réside dans la nature de la population marocaine qui reste jeune. Notons que 45% de la population marocaine a moins de 25 ans. «C'est un formidable gisement pour les années à venir en matière d'assurance de personnes, professionnels, automobiles, etc», nous explique un professionnel. Le taux d'urbanisation, lui, est en constante progression. Soulignons à ce titre que la population urbaine est passée de 44,9% en 85 à 59,2% en 2013 et le Haut-commissariat au plan projette un taux de population urbaine au Maroc de 63,5% en 2025. Cette population urbaine devra avoir un certain nombre de besoin en termes d'assurance et c'est autant d'opportunités pour le secteur de l'assurance dans les années à venir. L'Afrique représente à son tour un réel gisement pour les compagnies d'assurance marocaines. Aujourd'hui, le continent ne pèse pas plus de 1,21% de l'encaissement du marché mondial de l'assurance. Autre fait, l'Afrique du Sud, à elle seule, encaisse 75% des primes d'assurances de l'Afrique. Cela représente de bonnes perspectives de développement, car il est entendu que tout reste à faire dans l'assurance en Afrique. S'agissant des opportunités à moyen terme, celles du secteur de l'assurance sont contenues dans le contrat-programme, signé entre le gouvernement et les principaux acteurs. Ce dernier a, certes, tardé à se déployer eu égard aux changements qu'ont connus les différents départements avec la nomination du nouveau gouvernement, mais dès qu'il sera mis en oeuvre, il devra donner un nouveau souffle au marché. Pour mémoire, l'une des mesures phare de ce contrat concerne l'instauration de l'obligation pour un certain nombre d'assurances. Il s'agira d'abord de la garantie décennale et tous risques chantier. La Takaful devrait perturber les opérateurs Ceci dit, pour profiter de ces opportunités, des défis restent à relever par les acteurs du secteur. Tout d'abord, il faudra savoir maîtriser les taux de sinistralité et la volatilité des marchés financiers. En parallèle, les compagnies de la place devront poursuivre l'extension de leur réseau d'agents, intensifier leurs efforts en termes d'innovation, renforcer leur dispositif de gestion des risques et optimiser leurs synergies avec les partenaires financiers, notamment les banques auxquelles elles sont adossées. Autre défi, faire face à l'espérance de vie à la naissance des Marocains qui s'allonge. Pour mémoire, l'espérance de vie au Maroc s'est établie à 74,8 ans en 2010, alors qu'elle était de 71,7 ans en 2004. Cet allongement pose un nouveau challenge en matière d'assurance retraite et d'assurance «dépendance», une garantie qui permet d'accompagner les personnes âgées à partir d'un certain âge où ils ont besoin d'un certain nombre de ressources, au-delà de l'assurance santé. Une nouvelle venue devrait également perturber l'activité du secteur, à savoir le projet relatif à la finance islamique qui prévoit la création de compagnies d'assurance spécialisées dans le Takaful. Pour cause : l'importance de l'investissement que pourrait générer cette spécialisation risque de dissuader bon nombre de compagnies nationales à investir ce créneau, qui présente pourtant un gisement indéniable pour la croissance du secteur. Nous risquons de voir une concentration sur ce marché. Bachir Baddou Directeur de la Fédération marocaine des sociétés d'assurances et de réassurance (FMSAR) «Les compagnies réfléchissent aux produits Takaful et à leur mécanique» S'il est difficile de mesurer le potentiel de l'assurance islamique au Maroc, les compagnies affûtent tout de même leurs armes afin de pouvoir offrir ce service dès que le marché sera prêt. Les ECO : Le Maroc s'apprête dans un avenir proche à enrichir son système de financement et d'assurance en s'inspirant du modèle islamique conforme à la Sharia. Une réglementation dédiée est en cours de préparation avec l'implication de toutes les parties prenantes. Quel en est son état d'avancement ? Bachir Baddou : Il faut avant tout un cadre réglementaire pour faire de l'assurance Takaful. Nous avons travaillé avec la Direction des assurances et de la prévoyance sociale (DAPS) pour arrêter un cadre réglementaire dédié. Le texte a été validé, il est aujourd'hui au Secrétariat général du gouvernement (SGG). Une fois que ce texte sera passé au niveau du Parlement, il faudra ensuite créer des compagnies d'assurance dédiées au Takaful. Ce ne sont pas les compagnies d'assurance qui proposent aujourd'hui les assurances classiques, qui commercialiseront les produits Takaful. Celles-ci créeront certainement des sociétés dédiées pour pouvoir dérouler le process «islamique». Il faut savoir que pour qu'un produit soit considéré «chariâa compliance», il faut qu'il soit séparé de l'activité des produits classiques. Avez-vous mesuré le potentiel de Takaful ou assurance islamique au Maroc ? Quel sera son rôle dans le développement du secteur de l'assurance au Maroc ? Il est très difficile de mesurer le potentiel de l'assurance islamique ou de la finance islamique de manière générale au Maroc. Nous pouvons en revanche apprécier son évolution dans des pays similaires. À titre d'exemple, au niveau de la Tunisie, ça n'a pas été l'euphorie. Il existe dans ce pays des compagnies Takaful, mais le marché évolue doucement. Il y a, très probablement, un marché pour ce type de produits, suite notamment à une demande émanant des personnes souhaitant souscrire à une assurance vie labélisée «islamique». Il est à noter qu'il est également prévu de mettre en place un comité Sharia Board central indépendant qui supervisera les activités d'assurances comme les activités bancaires. Il aura pour mission principale le contrôle de la conformité de tous les produits offerts au public. Mise à part la création de filiales dédiées, comment les compagnies d'assurances se préparent-elles à la mise en œuvre de la nouvelle réglementation ? Les compagnies attendent aujourd'hui le cadre réglementaire. Une fois que ce dernier sera mis en œuvre, il faudra faire des demandes d'agréments, créer des sociétés dédiées à la commercialisation de l'assurance Takaful, mettre en place les systèmes d'informations, etc. En attendant, les compagnies ont créé des laboratoires internes qui réfléchissent aux produits Takaful et à leur mécanique. Je pense que dès que la loi sera prête, l'offre viendra rapidement. À cet effet, quelle sera, selon-vous, la stratégie commerciale des compagnies d'assurances Takaful ? Nous pouvons imaginer voir les compagnies d'assurances Takaful adopter le même modèle que celui utilisé aujourd'hui par les compagnies d'assurances classiques. Il y aura des agents et des courtiers qui proposeront exclusivement des produits Takaful. De la même manière, la banque islamique devra user de son réseau pour commercialiser les produits d'assurances Takaful. La mise en place d'un cadre réglementaire pour l'assurance Takaful va certainement créer une rude concurrence. Certains groupes financiers étrangers ont manifesté leur intérêt de se positionner sur le marché marocain. Comment faire face à cette concurrence ? Aujourd'hui, il est important de protéger le marché marocain de l'assurance, compte tenu de sa taille et des acteurs qui y opèrent. Si l'on ouvre l'accès à la concurrence étrangère, de très gros opérateurs de l'assurance Takaful viendront s'installer sur le marché. Cette situation risque de compromettre les équilibres qui existent aujourd'hui sur notre marché. Le marché n'est pas encore mature tant que nous ne sommes pas à des taux de pénétration de 8%. Nous sommes persuadés au niveau de la Fédération et de l'autorité de supervision, qui est en accord avec nous, qu'il faudra laisser d'abord le temps aux opérateurs marocains de se structurer, de se développer et peut-être de devenir des champions régionaux. Ce n'est qu'à ce moment là qu'il faudra autoriser les acteurs étrangers à accéder au marché marocain.