«Chaibia, la paysanne des arts» est le premier film de Youssef Britel qui raconte l'histoire d'une femme et d'une artiste extraordinaire, Chaibia Talal. Après 5 semaines de tournage avec Saâdia Azgoun, Mourad Zaoui, Mohamed Nadif, Driss Roukhe, Said Bey et Mohamed Khouyi, le jeune réalisateur raconte le parcours d'une combattante de l'art. Un hommage magnifique pour cette dame de l'art qui nous a quitté il y a 10 ans. Raconter la légende, le destin incroyable de talents marocains, cela ne se fait pas souvent et c'est bien dommage. Heureusement que Youssef Britel a eu la brillante idée de remonter dans le temps pour mieux comprendre. Il ne choisit pas n'importe qui, il s'attaque à une énigme : Chaibia Talal, la peintre marocaine incomprise chez elle et admirée sous d'autres cieux. Le réalisateur qui s'embarque dans son premier long-métrage, après une belle expérience dans les courts, se lance le défi de mieux connaître celle qui se faisait traiter de folle par les siens. Une idée de film qui s'est imposée d'elle même. «Pour mon premier long-métrage, j'ai longtemps cherché et cogité sans tomber sur la bonne histoire. Je voulais faire une biographie sur un personnage marocain. Ma fille avait une période peinture, et une fois un ami à moi regarde un dessin de ma fille et dit : «On dirait Chaibia», ça a résonné en moi comme un écho, son nom au ralenti est resté gravé dans ma tête. J'ai tout de suite su que je voulais faire mon film sur elle», confie Youssef Britel, qui a dès lors commencé un travail de fond pour creuser sur un parcours atypique, une vie pleine de passion. «Après des recherches, j'ai contacté son fils El Houcine Talal, qui m'a beaucoup aidé à raconter et à rester fidèle à l'histoire de sa mère. J'ai découvert une histoire extraordinaire». Une histoire qu'il décide de traiter depuis sa naissance en 1929 jusqu'au début de son succès, en 1986. «Le film commence en 2029, dans une belle maison de Rabat, chez une famille bourgeoise dont la fille questionne sur un tableau qui orne la maison, celui de Chaibia. Le père se met à raconter l'histoire et moi je raconte du point de vue de la petite fille qu'est restée Chaibia, avec son art que l'on décrit comme naïf mais que je préfère qualifier de brut, tout simplement. Oublie la technique, les études pour garder l'enfant que l'on a en soi !», explique l'acteur-réalisateur-animateur persuadé que c'est Chaibia qui l'aurait choisi et non le contraire. «C'est un personnage original, de par son physique, ses vêtements, son accent. C'est un personnage shakespearien, un personnage avec tous les critères. Une femme analphabète, pauvre, qu'on traitait de folle». Elle peint pourtant ses premières toiles à la main, après un rêve qu'elle aurait fait, où on lui disait que son destin était dans la peinture. Pourtant, dans le film, Chaibia a un attrait pour l'art depuis petite. C'est un mariage prématuré, vers l'âge de 13 ans avec un homme de 60 et un premier enfant à l'âge de 14 ans, qui a mis ses rêves aux oubliettes. «Dans le film, depuis petite, elle joue avec les coquillages, elle est attirée par les couleurs, il y a avait quelque chose avec l'art depuis toujours. Elle était tellement en décalage qu'on l'appelait «Mamouna Hamqa» ou «Mamouna la folle». Ensuite, elle part chez son oncle, tombe enceinte à 14 ans et se consacre à son fils et à lui offrir un meilleur avenir. Il fait des études, devient peintre sûrement grâce à elle. Elle lui volera même un peu la vedette le jour où son fils présente son travail au grand public». C'est ainsi que commence une des carrières les plus mythiques de l'histoire de l'art marocain. Elle devient une icône dans le monde et pourtant, dans son propre pays, elle n'est pas reconnue à sa juste valeur, de son vivant. «Elle a toujours été outsider des médias, elle n'a jamais fait la couverture d'un féminin alors qu'elle était la première ambassadrice du caftan marocain dans le monde. Même à Berverly Hills, devant un Spielberg ou un McEnroe qui sont venus acheter ses toiles, elle n'a jamais changé, elle est restée fidèle à elle-même». À rôle d'envergure, grande responsabilité Et cela a été le destin de l'actrice Saâdia Azgoun de porter l'histoire d'une grande dame. Celle qui s'est fait connaître grâce à la pièce de théâtre adaptée en série de «Lalla Menana», incarne une Chaibia, paysanne de l'art jusqu'au bout des ongles. «C'était difficile de trouver une actrice qui ressemblait physiquement à Chaibia. C'est drôle, mais je connais très bien la série Lalla Menana pour l'avoir moi-même adapté à la télévision, mais je n'avais jamais eu l'occasion de rencontrer ou de travailler avec Saâdia Azgoun. J'ai la télévision qui marche avec internet, un soir, en sortant de la cuisine avec la télévision en fond, je me rends compte qu'elle bloque sur l'image de Saâdia Azgoun dans «Lalla Menana». «C'est une révélation pour moi», explique Youssef Britel qui a déjà à son actif plus de 10 courts-métrages comme «Sellam, centre d'accueil» (2007), «Floue»(2008) et «Courmétragique» (2009). Sa carrière est lancée en 2004 lorsqu'il rapporte le premier prix du Festival du court-métrage de Rabat. «Lorsque je l'ai contacté pour lui proposer le projet, elle me répond en m'imitant Chaibia et me révèle que c'est un personnage qu'elle s'amusait à imiter au conservatoire». Un choix qui s'est donc fait de lui-même et que le jeune réalisateur a su alimenter par un casting incroyable. «C'est un film modeste, pas à grand budget. Quand je me suis rendu compte que je ne pouvais faire un film riche, je me suis encore plus concentrer sur l'importance de la direction d'acteur, d'où l'avantage de jouer avec des acteurs confirmés. Ils savent où aller, ils sont maniables et comprennent». L'acteur-réalisateur s'est alors entouré de Mourad Zaoui, Mohamed Nadif, Driss Roukhe, Said Bey, Mohamed Khouyi ou encore Latifa Ahrare entre Casablanca, Rabat, Berrechid, Marrakech et Paris afin de rester le plus fidèle possible à l'histoire. «Raconter une histoire, la transmettre pour dire, même si vous n'êtes rien et que vous croyez en vous, la réussite est possible. Elle est morte il y a 10 ans zr on en parle encore». Il en parle encore dans son film en effet, une façon de la ressusciter, en espérant que l'on parlera longtemps du premier long-métrage de Youssef Britel qu'il présente dans de nombreux festivals avant la sortie nationale prévue pour juin 2015. Il souhaite livrer un film fidèle à une légende pour mieux la comprendre à travers ses toiles ou pour mieux apprendre de ses toiles à travers elle, une façon de lire ses œuvres depuis ses yeux ....tout en sachant qu'«elle est partie heureuse parce qu'elle a laissé quelque chose».