Brahim Fassi Fihri Président de l'Institut Amadeus Les ECO : Comment appréciez-vous le positionnement du royaume aujourd'hui sur la scène continentale ? Brahim Fassi Fihri : Le royaume est aujourd'hui parmi les premiers investisseurs en Afrique de l'Ouest et devrait continuer à consolider ce positionnement. Cette région est un prolongement géographique naturel pour les investissements de notre secteur privé. Seulement, aujourd'hui, il faut bien aller au-delà. La véritable croissance sur ce continent est portée par des pays comme le Kenya, le Ghana, le Rwanda ou encore la Tanzanie. Nous devons donc pouvoir être en mesure de porter notre offre au-delà des marchés traditionnels de l'UEMOA et de la CEMAC. Il faudrait que nous diversifiions nos terrains d'investissements, en dépassant évidemment l'ensemble des obstacles linguistiques, culturels et même politiques, s'il cela s'avère nécessaire. À quel type de rupture appelez-vous ? Et politique, c'est extrêmement fondamental. L'objectif de cette étude est de réunir des benchmarks internationaux d'économies avancées ou émergentes déjà présentes en Afrique, mais aussi de définir et pointer du doigt des erreurs et lacunes, il faut aussi faire en sorte de pouvoir créer des outils de coordination. Nous avons modestement essayé de pouvoir proposer des recommandations pour coordonner la présence africaine en Afrique, en se basant sur une cartographie de plus en plus large des actifs marocains en région subsaharienne, les défis de cette approche ainsi que les obstacles ou limites de ces expansions. Quelle critique apportez-vous à l'approche marocaine du Sud-Sud ? Il faudrait éviter de commettre les mêmes erreurs que celles des puissances économiques qui nous ont précédé sur le terrain. Le Maroc devrait davantage insister sur le co-développement, l'établissement de relations de partenariats win-win, où toutes les parties y trouvent leur compte. Nous devons éviter la logique de la ruée vers l'Eldorado. Cela pourrait provoquer des effets contraires à nos objectifs. La véritable force du Maroc, aujourd'hui, c'est qu'il est porté par une vision royale, ce qui a permis de mettre en place un solide socle de diplomatie économique auprès de nos partenaires subsahariens. Toutefois, en deçà de cette vision royale, il n'y a encore aucune coordination qui se fait. Les entreprises font du coup par coup, dans une logique purement business. Il est pourtant certain que nous ne pourrons construire rien de durable sur cette base avec nos partenaires subsahariens. On ne peut pas leur en vouloir, mais si le Maroc veut jouer un rôle plus important, il faudra que les stratégies soient coordonnées. Le Maroc a aussi un atout de hub international à faire valoir... Nous souffrons aujourd'hui d'une non-intégration dans la région maghrébine. Le Maroc a pourtant de nombreux atouts à faire valoir à l'international, en particulier sur le continent. Notre pays se positionne en un important hub de coopération triangulaire du type Nord-Sud-Sud, des économies européennes ou américaines aux économies africaines, ou Sud-Sud-Sud, des économies émergentes du Golfe et de l'Amérique latine aux pays africains. Ces pays s'appuient de plus en plus sur le royaume pour mettre en place leur stratégie africaine à travers des joint-ventures et autres partenariats avec des entreprises marocaines, notamment en Afrique occidentale. Cela s'est déjà concrétisé dans les télécoms et les TICs, par exemple et bien d'autres secteurs de services au niveau desquels le royaume dispose de bonnes expertises. Ces pays sont des partenaires ou des concurrents ? Tout à fait. Vous savez que le continent est devenu la convoitise de toutes les puissances économiques, des plus avancées à celles en émergence. Vous constatez que de nombreux forums et plateformes d'échanges ont été mis en place. (Le dernier en date est le forum Etats-Unis-Afrique, qui devrait se tenir dans les prochaines semaines, ndlr). La plupart des économies du monde sont en train de concentrer leur attention sur le continent, qui est en train de devenir un terrain extrêmement concurrentiel et où les parts de marché sont devenues éclatées. Il faudrait maintenant que le Maroc sache capitaliser sur son image de marque, sans tomber, bien entendu, dans de mauvais écueils qui pourraient très vite contrarier ses ambitions panafricaines.