Marrakech accueille, du 12 au 14 octobre, une conférence de haut niveau portant sur les modes de financement innovants pour la transformation de l'Afrique. L'évènement, organisé par la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (CEA), a servi de plate-forme de partage des connaissances et a été le théâtre de débats ciblés sur les mécanismes de financement novateurs. Panorama des principales alternatives qui s'offrent au continent pour la prise en charge de son propre développement. Mécanisme 1 Mobilisation des ressources nationalesProblématique La mobilisation des ressources nationales, internes comme externes, constitue un défi de taille pour les économies africaines. Si, à l'évidence, une mobilisation accrue des ressources intérieures aide les pouvoirs publics à atteindre les objectifs de développement à long terme, le constat est que les pays africains ont jusqu'à présent eu du mal à mobiliser suffisamment de ressources internes pour satisfaire leurs besoins d'investissement. Le taux d'épargne par rapport au produit intérieur brut (PIB) en Afrique a ainsi chuté, ces dernières années, passant de 24,3% du PIB en 2008 à 16% en 2011. Les données font également ressortir que, depuis 2008, le taux d'épargne intérieure brute de l'Afrique a été inférieur au taux d'investissement intérieur brut. Avec un déficit de financement actuellement estimé à environ 6% du PIB, la mobilisation de ressources suffisantes, stables et prévisibles pose toujours un vrai problème dans le continent. Selon la CEA, les estimations des besoins annuels de financement du continent sont, par exemple, de l'ordre de 90 milliards de dollars pour combler le déficit d'infrastructure. Enjeux Ainsi, bien que les recettes fiscales soient la plus grande source de ressources intérieures en Afrique, les impôts recouvrés en part du PIB n'ont augmenté que de façon marginale, de nombreux pays affichant encore un coefficient fiscal inférieur à 10%. C'est ce qui explique le recours important à l'emprunt extérieur pour combler le déficit de financement et ainsi financer l'investissement intérieur, en dépit de la croissance positive de l'investissement direct étranger (IDE) ou des envois de fonds et de l'aide publique au développement (APD). Les facteurs qui expliquent cette situation handicapante sont légion. Il s'agit notamment du faible niveau des taux d'épargne, de la mauvaise qualité de l'administration fiscale, d'une assiette fiscale limitée ou de la fraude fiscale commerciale à grande échelle. D'autres problèmes ont aussi été identifiés par les experts et ont trait à une mauvaise gouvernance du secteur public à laquelle s'ajoute une planification médiocre. Perspectives De ce fait, il ressort des différents échanges que, pour améliorer la gestion des ressources intérieures en Afrique, les autorités doivent s'engager à prendre des mesures dans un large éventail de domaines. Il s'agit, entres autres, d'opérer une réforme ciblée des cadres fiscaux et de la politique budgétaire, de renforcer les marchés financiers pour mieux répondre aux besoins des particuliers et des entreprises privées ainsi que de viser davantage la mise en place de cadres réglementaires et des mécanismes d'exécution nécessaires pour mieux exploiter les formes non traditionnelles de financement, et assurer une discipline dans la gestion des finances publiques. Mécanisme 2 Flux financiers illicites Problématique À l'évidence, et au vu du stade actuel d'évolution des pays de l'Afrique, il ressort que le financement des efforts de développement de l'Afrique s'avère coûteux, obligeant ainsi le continent à dépendre de sources extérieures. Cette aide au développement est, malheureusement, souvent inégalement répartie, non soutenable et même, dans certains cas, nuisible aux économies nationales sur le long terme. L'Afrique doit par conséquent miser davantage sur ses ressources actuellement non exploitées ou mal gérées. C'est dans ce sens qu'il devient impératif de juguler les flux financiers illicites et de faire de ces fonds un puissant moyen d'améliorer la mobilisation des ressources intérieures, ce qui sera un moyen de contribuer au développement du continent. Les flux financiers illicites sont des flux de capitaux non comptabilisés provenant de plusieurs opérations frauduleuses qui vont du pot-de-vin à l'évasion fiscale ou au blanchiment d'argent, en passant par le produit d'activités criminelles. Enjeux Les estimations de plusieurs études récentes, dont celle intitulée «Financing Africa's Post-2015 Development Agenda», montrent que, entre 1970 et 2008, les flux financiers illicites ont fait perdre à l'Afrique entre 854 et 1.800 milliards de dollars. Le dernier rapport du Groupe de haut niveau sur les flux financiers illicites en provenance d'Afrique, publié par la CEA en 2013, estime le montant moyen perdu annuellement entre 50 et 148 milliards de dollars. Les multinationales, à travers la fraude fiscale et les prix de transfert, sont à l'origine de la plus grande partie de ces flux. Le manque à gagner dû aux flux financiers illicites «fragilise la génération de revenus et réduit les retombées positives des activités économiques, notamment le secteur des industries extractives et compromet également la capacité de l'Afrique de mobiliser les ressources créées par ces secteurs pour financer la réalisation des objectifs de développement». Ces sorties de capitaux sont facilitées par la mise en place de systèmes financiers parallèles tels que les paradis fiscaux, les juridictions opaques, les sociétés fictives, les comptes fiduciaires anonymes, les fausses fondations, les politiques de manipulation des prix et les techniques de blanchiment d'argent. De plus, il a été démontré que les flux financiers illicites sont néfastes pour le secteur privé parce qu'ils sont à 60% le fait d'entreprises multinationales et privées et, d'autre part, parce qu'ils étouffent les affaires et l'entrepreneuriat, freinant ainsi considérablement la transformation structurelle et la diversification économique. Perspectives Il apparaît donc évident que les flux illicites réduisent la marge de manœuvre budgétaire en Afrique et privent les systèmes financiers et les pouvoirs publics de la possibilité de recourir à des systèmes de mobilisation des ressources internes. La fraude fiscale est à l'origine d'une part importante des flux financiers illicites. C'est pourquoi, pour les experts, il convient impérativement d'enrayer les flux financiers illicites et de combattre la corruption et les paradis fiscaux de manière à garantir l'usage efficace et rationnel des ressources et le financement interne à long terme. L'argent des flux financiers illicites devrait ainsi rester sur le continent, et il pourrait être investi, épargné ou utilisé. L'essentiel de ces fonds pourrait être taxé de manière adéquate pour fournir aux Etats des recettes fiscales supplémentaires pour alimenter leur budget, souvent en déficit, ce qui constitue un moyen efficace de dynamiser les efforts de mobilisation des ressources internes. Pour ce faire, recommandent les experts, l'Afrique a besoin de s'appuyer sur des conclusions solides au sujet des mécanismes et stratégies qui prouvent, de manière claire, les effets des flux financiers illicites sur les différents secteurs d'activité économique. De ce fait, la lutte contre les flux financiers illicites pourrait devenir un mécanisme privilégié de mise en œuvre d'un développement durable. Toutefois, cette lutte exige une action concertée tant des pays sources des fonds illicites que des pays de destination. Mécanisme 3 Le capital-investissement en Afrique Problématique Les résultats satisfaisants enregistrés ces dernières années par le continent, notamment des taux de croissance moyens de 5% et des taux d'inflation inférieurs à 10%, ainsi que le caractère de plus en plus prévisible de l'environnement économique et politique, a considérablement réduit les risques pour les investisseurs. L'Afrique est depuis quelques années sous le feu des projecteurs parce qu'elle offre de formidables opportunités aux investisseurs, comme en témoigne l'évolution des actifs mobilisés sur la même période. Cependant, cette nouvelle donne est à relativiser puisque les pays du continent continuent à faire face à de nombreuses difficultés pour capter davantage de flux financiers. Le marché du capital-investissement offre une autre source de financement, sauf que les obstacles à son développement sont encore multiples. Enjeux Selon les experts, un des plus grands défis pour de nombreux pays africains consiste à trouver des ressources financières suffisantes pour le secteur du capital-investissement. En conséquence, il est urgent d'étudier les moyens par lesquels les pouvoirs publics pourraient faciliter l'afflux de capitaux dans le secteur. Les Etats africains ont un rôle essentiel à jouer pour promouvoir le capital-investissement comme source potentiellement importante d'investissements en faveur de la croissance et du développement de leur pays, et de la transformation de l'Afrique en général. Les décideurs politiques ont à leur disposition une multitude de leviers qu'ils peuvent actionner pour faire de l'Afrique une destination de choix pour le capital-investissement par rapport à des régions concurrentes, en améliorant l'attractivité du continent. Perspectives Les pays africains ont tout intérêt à améliorer la disponibilité des fonds pour le secteur du capital-investissement. L'objectif est d'atténuer les difficultés persistantes relatives à l'obtention de financement en Afrique, à travers des moyens par lesquels les Etats peuvent faciliter l'afflux de capitaux dans le secteur du capital-investissement. À ce sujet, plusieurs alternatives s'offrent aux pays africains. C'est le cas de l'utilisation des fonds de pension ou de la réalisation d'opérations de cofinancement et de partenariat avec des investisseurs de capital-investissement, notamment pour le financement d'infrastructures. Aussi, afin de pouvoir favoriser davantage d'investissements ayant des retombées positives, directement ou indirectement, sur le bien-être des populations, le rôle des pouvoirs publics devrait être renforcé. L'enjeu est de permettre aux sociétés de capital-investissement d'élargir leur portefeuille d'investissements et de placer leur argent dans des secteurs clés tels que l'agriculture. Ainsi, cela permettra d'encourager le capital-investissement dans les PME, qui sont celles qui créent le plus d'emplois.