YSL de retour à Marrakech ! Gaspard Ulliel interprète divinement le grand couturier. L'acteur qui était au festival du film de Marrakech raconte comment il est entré dans la peau de Saint Laurent. Gaspard Ulliel Acteur français Les ECO : Comment avez-vous trouvé le niveau de la compétition cette année, et que voyez-vous en premier dans un film ? Gaspard Ulliel : Je n'ai pas de référent pour le comparer aux années précédentes, je ne peux pas vraiment vous dire ce qu'il en est. C'est la première fois que je participe à un jury de courts métrages issus d'écoles de cinéma, donc, forcément, le niveau est plus faible que celui des courts métrages professionnels. En revanche, j'ai trouvé que c'était assez encourageant dans l'ensemble. Il est vrai que, dans ce genre d'exercice, cela peut être délicat, et je pense qu'il ne faut pas perdre de vue le fait qu'il y ait des étudiants qui bénéficient de moyens différents en fonction de l'école à laquelle ils sont inscrits. Ce n'est donc pas la perfection la qualité technique ou les finitions que l'on va aller chercher, mais plutôt la démarche ou ce que l'étudiant va avoir envie de raconter. Il est vrai que, pour moi, 3 courts métrages se sont vraiment distingués des autres, et j'en avais très peu parlé la veille avec mes camarades. C'était plutôt unanime. Du coup, je pensais que les délibérations seraient rapides, mais en fait, elles ont été assez longues: elles ont duré à peu près une heure et demi parce qu'on avait un président du jury très précautionneux. C'est une bonne chose: il essayait sans arrêt de nous faire réfléchir, de nous pousser à justifier nos choix. Je pense que c'est important parce que cela représente beaucoup pour l'étudiant qui va être sélectionné, qui aura le prix. Nous avons retourné les choses dans tous les sens pendant une heure et demi pour, finalement, aboutir à une décision qui me satisfait. Vous êtes à Marrakech, ville chère à Yves Saint Laurent que vous interprétez au grand écran. Voyez-vous la ville différemment aujourd'hui ? Bien sûr. En fait, avant le tournage, je suis venu quelques jours ici. Cela me semblait important. Il est vrai que c'est une ville qui me plaît pour d'autres raisons, et j'y suis venu assez souvent; ce voyage était à mi-chemin entre des vacances et un peu de recherche pour le tournage approchant, mais je me souviens que, d'un coup tout était chargé «d'autre chose». Comme je savais que j'allais interpréter Saint Laurent quelques mois plus tard, je regardais les choses un peu différemment, et effectivement, je suis retourné au Jardin Majorelle me balader plusieurs fois. De plus, le tournage s'est entièrement déroulé à Paris, et la scène qui est censée se dérouler à Marrakech a été tournée à deux heures de Paris dans, un riad en pleine campagne.C'était assez troublant, surtout qu'on tournait en hiver... Comment avez-vous travaillé la gestuelle particulière de Saint Laurent, ainsi que sa voix ? Il faut savoir que Bertrand Bonello, le cinéaste, m'a choisi quasiment un an avant le début du tournage, ce qui m'a laissé une longue période de gestation, de vie avec le personnage. Il est assez rare pour un comédien d'avoir une chance pareille. Je pense que c'est très précieux, je me suis rendu compte du fait que cela m'a permis de m'en imprégner un maximum, de façon très organique, et il y a eu énormément d'étapes. La première a été l'idée d'essayer de faire un maximum de recherches, de découvrir un maximum de choses sur cet homme, sa vie, sa carrière. Est ensuite venue la seconde étape, où je me suis rendu compte du fait que je me sentais comme «pris au piège» ou enseveli sous cet amas de vérités. J'ai éprouvé l'envie, justement, de prendre de la distance par rapport à tous ces faits. Bertrand m'encourageait à aller dans ce sens-là, à m'octroyer une certaine liberté, à m'autoriser à «refantasmer» le personnage et à le «réimaginer» complètement. C'est là que c'est devenu vraiment intéressant. C'est là que j'ai commencé -tout en continuant à essayer de me rapprocher de ce qu'était réellement Saint Laurent- à m'autoriser, parfois aussi, à aller puiser au fond de moi-même dans mes souvenirs, dans mes propres émotions, mes propres perceptions. C'est ce qui permet, au final, d'arriver à la performance la plus sincère et la plus vraie possible. Vous êtes proche de la mode... Aviez-vous des a priori sur Saint Laurent ? Que connaissiez-vous de lui avant de le jouer, et qu'avez-vous appris de lui après l'avoir joué ? Je le connaissais vaguement. J'avais une connaissance assez sommaire de Saint Laurent, bien que j'ai entendu parler de lui depuis mon enfance. Après, je ne connaissais pas précisément son œuvre, et encore moins son intimité, sa vie, donc j ai vraiment découvert qui était cet homme en amorçant le travail pour le film. Et je dirais que oui, j'ai une perception qui est totalement différente aujourd'hui de ce qu'a pu être Saint Laurent, forcément. Mais c'est bizarre : parfois, j'y pense, j'ai le sentiment de le connaître mieux que personne. En fin de compte, je ne le connais pas du tout, je ne l'ai jamais rencontré, et je le connais à travers des fantasmes, des lectures et des projections, donc je ne sais rien finalement. Je ne sais pas qui est vraiment Saint Laurent... L'autre film concernant Yves Saint Laurent, réalisé par Jalil Lespert, est sorti à quelques mois d'intervalle... Oui, quelques mois entre les deux... En fait, quand l'autre film est sorti, on était encore en tournage (on le terminait), et j'ai attendu d'avoir vraiment terminé tout le travail sur le film de Bertrand pour découvrir le film de Jalil Lespert. Forcément j'étais un peu nerveux en arrivant dans la salle, et j'ai en fait été très rapidement soulagé lorsque je me suis rendu compte du fait que ce sont deux films très différents. Ce sont deux visions qui ne se rencontrent quasiment jamais et qui, pour le coup, méritent totalement d'exister toutes les deux. Au final, je me dis que c'est peut-être la plus belle façon de consacrer la complexité d'un homme comme Saint Laurent, d'un artiste comme Saint Laurent. Vous avez commencé votre carrière très jeune. Quels conseils pourriez-vos donner à ces jeunes qui débutent pour ne pas tomber dans les méandres de la célébrité ? Alors ça, j'aimerais bien avoir la réponse... Chaque parcours est différent, mais je pense qu'à un moment, il faut aussi fonctionner à l'instinct. C'est ainsi que j'ai procédé, et peut-être que par moments je me suis un peu laissé convaincre, je me suis un peu perdu, je me suis laissé un peu dépasser par les évènements, ce qui est normal étant donné mon jeune âge à l'époque, mais je pense qu'il faut en tout cas faire des choses pour lesquelles on a de vraies convictions artistiques. Je parle de cela, mais ce n'est pas donné à tout le monde: parfois, l'on est aussi obligé de travailler sur des choses un peu moins qualitatives parce qu'on a pas le choix mais, idéalement -en tout cas en tant que cinéaste- je pense que c'est différent. En tant que cinéaste, quand on travaille plusieurs années sur l'élaboration d'un film, je pense qu'il n'y a pas vraiment de conseils à recevoir de la part des autres. Je pense qu'il faut s'écouter soi-même et faire des films qui nous correspondent, ce qui permet de ne pas avoir de regrets. Si, d'un coup, on se laisse influencer par d'autres personnes, on pourra toujours le regretter. C'est quand même un métier ou il y a énormément d'aléas, énormément de hasard... Le cinéma est loin d'être une science exacte. Justement, vous parlez de rôles qui vous correspondent... Vous aviez dit que la comédie vous faisait peur : est-ce toujours le cas ? Accepteriez-vous un rôle comique aujourd'hui ? Pourquoi pas... après, il est vrai que l'idée de faire rire me fait un peu peur. Peut-être que je me trompe totalement, mais j'ai l'impression que c'est encore autre chose, c'est une autre dynamique. C'est beaucoup plus précis en fait, c'est souvent une question de timing, donc c'est un autre savoir-faire pour un acteur. On peut parler aussi de comédie de situation, ou en tout cas de films drôles où, d'un coup, l'acteur n'est pas forcément drôle mais celui-ci va juste se contenter de jouer la situation qui a été mise en place par le réalisateur. Le comique pur, c'est une des choses avec lesquelles je suis le moins à l'aise bizarrement. Cela me paraît beaucoup plus complexe et subtil. l