Le financement agricole se cherche toujours. Après des décennies d'expériences et de développement d'offres et de structures dédiées, le secteur agricole n'arrive pas encore à se trouver le parfait moule financier, et les limites du système existant demeurent entières. C'est en tout cas à cette conclusion qu'est arrivée la dernière sortie du Centre international des hautes études agronomiques méditerranéennes (CIHEAM). Le constat sur les limites des systèmes de financement agricoles est alarmant. Le diagnostic concerne trois pays de l'espace sud-méditerranéen, dont le Maroc. Sous-financement, bancarisation embryonnaire, disparités et inégalités d'accès aux produits financiers, surendettement des petits agriculteurs, rien n'est laissé en rade. Ce dernier aspect tombe à pic et rejoint l'actualité. La semaine dernière encore, Crédit Agricole du Maroc (CAM), l'enseigne de référence dans le domaine du financement agricole, annonçait une importante «opération de réhabilitation financière des agriculteurs». Ce programme devrait - sans trop s'enliser dans les détails - se réaliser à travers l'allègement des créances des petits agriculteurs (765 MDH au profit de 80.000 agricultures), le rééchelonnement des créances (à un maximum de 15 ans), le financement des agriculteurs, ainsi que le refinancement des agriculteurs clients de la caisse agricole, ayant bénéficié d'abandon de créance depuis 2005. Une bouée jetée à la mer, initiative du roi proposée lors du dernier SIAM, qui ressort la tête des agriculteurs de la vague menaçante du surendettement et de l'incapacité de rembourser leurs crédits. Déficitaire Le CIHEAM tire la sonnette, et rappelle que ce sont ces mêmes «cumuls de créances» qui avaient mené à la «dégradation du système de financement et à la faillite annoncée d'institutions financières agricoles». La Caisse nationale du crédit agricole (CNCA), avant la réforme de 2008 qui a engendré le CAM, «comptait près de 10 MMDH de créances impayées», illustrent les experts du CIHEAM. Par ailleurs, l'aspect des disparités d'accès et de «répartition inégale du capital» du financement agricole, est tout aussi handicapant pour l'agriculture maghrébine, selon l'Observatoire. «Les banques et institutions de crédit agricole ont de ce fait sélectionné les exploitations, les terres et les territoires sécurisés face aux aléas climatiques, là où les risques naturels étaient maitrisés et là où les cultures étaient rentables», indique-t-on dans la note d'alerte du CIHEAM. Ce qui a induit indirectement à renforcer le processus de différenciation et de polarisation économique et sociale dans les campagnes. Une lecture que partage parfaitement Ahmed Ouayach, le président de la Confédération marocaine de l'agriculture et du développement rural (COMADER), interrogé à ce sujet. «Cette disparité est évidente. Au Maroc, certaines régions et secteurs d'activités bénéficient de plus d'investissements que d'autres. C'est le cas notamment de la région Souss-Massa-Draa avec la filière fruit et légume, qui regroupe le plus gros des financements du secteur, contrairement à d'autres zones agricoles comme la Chaouia», fait remarquer le responsable. À défaut... Pour ce dernier, la solution résiderait dans la manière de combiner le couple «rentabilité agricole et financement, de telle sorte qu'organisme bancaire et agriculteur y trouvent chacun son compte». En d'autres termes, il préconise que les recettes du secteur soient réinvesties au profit du développement des moyens agricoles, pour ainsi donner au petit agriculteur un minimum de garantie de solvabilité qui lui permettrait de recourir à des prêts. Ce dernier enchaîne, et marque une transition vers le diagnostic du sous-financement et de la sous-bancarisation du secteur agricole, porté sur le Maroc et ses voisins. Dans le royaume, «ce sont environ 60.000 agriculteurs qui ont accès au financement agricole sur un potentiel de 400.000», selon le rapport de l'observatoire méditerranéen. «C'est un goulot d'étranglement pour le développement du secteur et la réussite des objectifs du Plan Maroc Vert. La culture bancaire est encore loin d'être une réalité dans la masse des exploitants agricoles». Pour lui, les limites diagnostiquées par les experts du CIHEAM restent suspendues à l'urgence de trouver des systèmes de couverture d'assurance au profit du petit agriculteur, ainsi que la proposition d'instauration d'un salaire minimum garantie pour le secteur agricole, pour laquelle milite la COMADER depuis quelques mois déjà.