Ex-ministre de l'Energie et ex-président du conseil d'administration de l'ONE, notre invité, aujourd'hui président de la Fédération de l'énergie affiliée à la CGEM Mohamed Fettah, décortique les enjeux du secteur. Chasse au gaspillage, contrat-programme ONEE, introduction du GNL, décompensation... l'énergie ne manque pas de défis à relever. D'ici 2030, la consommation électrique du Maroc sera multipliée par 4. La facture est salée ! Le Maroc paie 100 MMDH pour ses importations d'énergie. Un poste de dépense aussi indispensable que lourd pour le budget de l'Etat, ainsi que notre balance commerciale structurellement déficitaire. Ce n'est bien entendu pas un hasard si les réformes économiques les plus drastiques du gouvernement ont concerné le secteur de l'énergie. En effet, aussi bien la décompensation des produits pétroliers liquides que le Plan de sauvetage de l'Office national de l'eau et de l'électricité (ONEE) constituent des réformes structurelles tenant au secteur de l'énergie et dont les impacts se traduisent directement sur le budget de l'Etat et sur les dépenses des agents économiques. Dans cette optique, le Maroc fait face à deux défis majeurs. Développer et diversifier les ressources énergétiques d'une part, et rationaliser la consommation de l'autre. Il faut dire que la consommation énergétique suit un trend exponentiel, ce qui est par ailleurs un indicateur de bonnes perspectives de croissance. «Aujourd'hui, la consommation du Maroc est de 30 gigawatt/heure, en 2030 le pays en consommera 130 ! Soit une consommation multipliée par plus de 4 d'ici 20 ans à peine. C'est une responsabilité énorme qui est notamment portée par l'ONEE. Et c'est grâce au contrat-programme que l'Office pourra avoir les moyens de faire face à cette responsabilité», explique notre invité Mohamed Fettah, président de la Fédération de l'énergie. Chasse au gaspillage Or, en plus de contribuer à la préservation de l'environnement, la rationalisation de la consommation énergétique constitue un gisement de ressource à part entière. En effet, l'efficacité énergétique du royaume a encore beaucoup de chemin à parcourir et autant de potentialités de ressources énergétiques supplémentaires à dégager. Mieux consommer équivaut à disposer de plus de ressources. «Nous gaspillons trop d'énergie. Que ce soit sur la voie publique, dans les administrations ou encore dans les transports. Notre outil de production industriel est à plus de 75% composé de matériel de seconde main. Cela signifie qu'il a été revendu parce qu'il ne répondait plus aux normes. Nous avons donc un plan dynamique, avec lequel nous espérons gagner 10 à 15% de la consommation en combattant les pertes, avec une chasse au gaspillage. Il y a sans nul doute des gains énormes à réaliser. L'efficacité énergétique est un gisement très important pour notre pays», estime le président de la Fédération de l'énergie. Mais concrètement, quel gain potentiel peut-on tirer de cette rationalisation ? «Prenons l'exemple de la France, qui estime que sur la consommation française, on peut gagner 20% sur les 20 à 30 prochaines années, à travers ce que l'on appelle l'efficacité énergétique. Au Maroc, chaque point de pourcentage que l'on gagne sur notre consommation énergétique représente 1 milliard de dirhams de gain», estime Fettah. Aussi, la tendance fortement haussière des prix de l'énergie va d'ailleurs dans le sens de cette rationalisation. La vérité des prix ne peut que pousser l'usager à utiliser l'énergie dont il a besoin de manière efficace et efficiente. «Le système de compensation biaisait le coût de l'énergie, empêchant même la consommation énergétique de s'opérer de manière efficace. En plus, la subvention avait un autre effet pernicieux. Celui de freiner le développement d'autres énergies, notamment celui des énergies renouvelables, vu le décalage artificiel entre les coûts de production du kilowattheure», rappelle Fettah. Le GNL, en attendant une découverte Aussi grands que soient les gains potentiels de l'efficacité énergétique, trouver de nouvelles sources d'énergie n'en reste pas moins indispensable. Le Gaz naturel liquéfié (GNL) a été longtemps écarté du mix énergétique national. Mais, comme nous l'annoncions sur nos colonnes, le plan gazier est désormais dans les starting-blocks. L'annonce du démarrage de la réalisation d'une première tranche devrait intervenir dans les jours, ou au plus tard les semaines qui viennent. «La décision devrait être annoncée très prochainement par le gouvernement et consiste en l'introduction du gaz naturel liquéfié dans le mix énergétique national», nous livre Mohamed Fettah. «La capacité de la première tranche est estimée à 5 milliards de mètres cubes et sa réalisation devrait s'étaler sur 5 à 8 ans, pour un coût global estimé à 2,5 milliards de dollars», détaille Fettah. L'Etat n'a évidement pas les moyens de mettre sur la table l'ensemble de ce budget. Il devra donc impliquer les opérateurs privés, dont beaucoup sont d'ores et déjà intéressés par cette activité. Maintenant, dans la pratique, le plus gros problème lié à l'introduction du gaz naturel dans le mix énergétique marocain concerne la logistique. En effet, il faut d'abord disposer d'un terminal d'accueil qui recevra les importations de gaz naturel liquéfié via des méthaniers. Ces derniers devront être déchargés. Le gaz déchargé devra ensuite être stocké. Le gaz liquéfié devra ensuite être gazéifié pour être transporté dans des gazoducs vers les lieux de consommation. Les premier destinataires de ces volumes seront les centrales thermiques, notamment celles qui tournent aujourd'hui au fuel et qui devront être converties. «La priorité aujourd'hui est de remplacer le fuel dans toute la partie de production d'électricité», estime notre invité. «L'ONEE n'a pas de problèmes de gestion» Mohamed Fettah Président de la Fédération de l'énergie Les ECO : Quelles sont selon vous les chantiers prioritaires dans l'énergie au Maroc ? Mohamed Fettah : Parmi les actions prioritaires les plus remarquables aujourd'hui, il y a d'abord la diversification des sources avec l'appel aux énergies renouvelables, afin d'atteindre en 2025 une proportion de 42% d'électricité produite à partir de ressources renouvelables. Dans le même état d'esprit, je pense que le renforcement de la politique tarifaire de l'énergie au Maroc est un élément extrêmement important. Aussi bien la décompensation des produits pétroliers que le contrat-programme qui est en cours de finalisation entre l'Etat et l'ONEE sont des éléments indispensables à l'essor et au développement harmonieux et maîtrisé du mix énergétique national. Qu'en est-il du gaz en bonbonne, qui reste subventionné. Ne risque-t-il pas de poser un problème structurel ? C'est réellement le problème le plus épineux. Parce que d'ici peu, le gaz en bonbonne restera le seul produit pétrolier encore subventionné. Aujourd'hui, les gens l'utilisent pour le pompage de l'eau, le chauffage des serres ou la climatisation et même certains ont transformé le moteur de leur voiture, pour qu'elle fonctionne au butane. Quelle solution selon vous, décompensation ou plus de contrôle ? Si la solution était évidente, je pense que le gouvernement aurait déjà pris cette décision dans la foulée des autres réformes, d'autant plus que la décompensation des autres hydrocarbures n'a pas suscité de réaction particulière. Il faut qu'il y ait soit des mesures tarifaires, avec également des mesures de gouvernance, soit essayer de maîtriser les modes de consommation. Concernant l'ONEE, quelles solutions peut apporter le contrat-programme ? Ce contrat-programme consiste en réalité à donner à l'ONEE les moyens normaux que doit avoir une société pour assurer sa mission qui, le cas échéant, est énorme, notamment vus les investissements nécessaires pour accompagner les entreprises et les citoyens dans leur développement. Depuis une vingtaine d'années, le taux de croissance de la consommation électrique est de l'ordre de 7%. Cela signifie que nous devons doubler les mises à disponibilité chaque décennie. Tous les dix ans, il faut créer autant d'unités et de capacités de production. Mais nous sommes en présence d'un office qui n'a pas vu ses prix adaptés en fonction de la croissance et du développement des coûts de l'énergie, qui est importée à 94%. De ce fait, l'ONEE a cumulé des chiffres qui sont insupportables, et si l'ONEE était une entreprise privée, il y a longtemps qu'elle aurait fait faillite. Cette éventualité n'est pas envisageables, vu les impacts désastreux que cela pourrait avoir sur l'économie. Peut-on envisager une privatisation de l'Office ? Quasiment la moitié de l'électricité est déjà produite par des privés et c'est la partie qui est la plus rentable. Alors que toute la partie réseau électrique, coûte cher et ne rapporte pas de bénéfices, tout comme la distribution dans certaines petites villes, qui est assurée par l'ONEE. Ainsi, il est très difficile de penser à une libéralisation, vu le service public qui est concerné. Dans le contrat programme, 8 MMDH devront être générés par les économies à réaliser par l'Office. N'est-ce pas un indicateur sur le fait qu'il y avait un problème de gestion ? Les 8 MMDH ne représentent pas seulement des économies, mais également la réalisation de certains actifs de l'Office, notamment des terrains ou des biens mobiliers et immobiliers. Ceci dit, je ne pense pas que l'on puisse parler de mauvaise gestion. Cela voudrait dire que l'on aurait dilapidé les ressources. Il faut également rappeler que l'ONEE est très surveillée, notamment par le ministère des Finances, qui est présent. D'ailleurs, le rapport de la Cour des comptes n'a pas signalé de mauvaise gestion flagrante dans ce domaine là. J'ai été président du conseil d'administration de cet office pendant plus de 5 ans, et je peux vous dire que c'est l'une des entreprises publiques les mieux structurées. Les cadres de l'ONEE sont de haute valeur et font un travail énorme. Mais ce n'est pas possible de faire correctement son travail si l'on ne dispose pas des moyens. Comment se portent les entreprises qui développent leurs activités dans le secteur de l'énergie ? Je pense que le secteur de l'énergie est sur un bon trend et une bonne rampe de lancement. Nous avons également une recherche pétrolière qui connaît un développement extrêmement important et intéressant. L'on parle de 5 MMDH d'investissements qui seront réalisés par des tiers. Pour les découvertes, c'est un peu comme si vous jouiez au loto, plus vous jouez et plus vous avez de chance de gagner, d'où l'importance de la multiplication des forages. Actuellement, 142 forages sont programmés. Il y a également une décision très importante, qui devrait être annoncée très prochainement, et qui est l'introduction du gaz naturel dans le mix. De combien de nouvelles centrales électrique aura besoin le Maroc dans les prochaines années ? Tous les trois ans il faut rajouter 2.000 mégawatts supplémentaires, en construisant des centrales qui ont des capacités équivalentes, ce qui est énorme.