Mohammed Benmoussa Economiste et chef d'entreprise www.mohammedbenmoussa.com Depuis plusieurs semaines déjà, les syndicats n'ont eu de cesse de bomber le torse à la face du Chef du gouvernement pour brandir la menace de troubles sociaux en cas de refus de satisfaire leurs revendications sociales. La veille du 1er mai, le gouvernement a annoncé unilatéralement, au grand dam de la CGEM, un relèvement en juillet prochain du salaire minimum dans la fonction publique à 3.000 DH et une augmentation progressive de 10% dans le secteur privé. Mais loin d'être satisfaites, les trois principales centrales syndicales ont déclaré que le combat devait continuer pour obtenir d'autres avancées sociales en matière de libertés syndicales, droit de grève, fiscalité des revenus salariaux, régimes de retraite et intégration des diplômés chômeurs à la fonction publique. La CGEM a, quant à elle, vivement contesté cette décision, considérant qu‘elle handicapera grandement la compétitivité des entreprises et accentuera leurs difficultés dans une conjoncture économique dégradée. La revalorisation du salaire minimum provoque ainsi des réactions épidermiques chez les entreprises et représente un casus belli pour les syndicats ouvriers. Ce schisme récurrent nécessite donc un éclairage économique. Première question : Le SMIG est-il utile à l'économie marocaine ou l'entrave-t-il ? La réponse est clairement en faveur de son utilité économique et sociale. Tous les pays se sont dotés d'une législation du travail qui garantit un salaire minimum. En France, pays pionnier en matière de droits sociaux, certaines voix se sont récemment levées pour réclamer un assouplissement de la législation du travail et permettre des salaires inférieurs au minimum légal. Pierre Gattaz, le patron du Medef, a proposé «de déroger au SMIC de façon transitoire» pour les jeunes inexpérimentés et les personnes les plus éloignées de l'emploi. Pascal Lamy, ancien directeur général de l'OMC, a suggéré l'idée de petits boulots qui seraient «payés au-dessous du SMIC». Un changement de modèle est recommandé par les économistes Philippe Aghion, Gilbert Cette et Elie Cohen, qui appellent de façon plus subtile à une réforme du SMIC, le considérant «trop élevé» et «inefficace pour réduire la pauvreté». Toutes ces propositions ont été balayées d'un revers de main dans un unanimisme politique quasi parfait, tant elles rappellent les expériences traumatisantes du CIP en1993 et du CPE en 2006, et s'inscrivent à revers des tendances planétaires. En effet, la revendication d'un salaire minimum devient un combat mondial n'épargnant aucun pays, y compris les plus riches et les plus libéraux. Aux Etats-Unis, le président Obama a augmenté de 25% le salaire minimum horaire des contractuels de l'Etat et a exhorté le Congrès à généraliser cette mesure à tous les Américains, censée profiter à 28 millions de citoyens et «doper l'économie». Les élus du parti républicain qui sont majoritaires à la Chambre des représentants, ont exprimé leur hostilité à une augmentation du salaire minimum fédéral et ont bloqué la loi correspondante, susceptible selon eux de freiner la croissance. Cette décision fut confortée par une étude du Bureau du budget du Congrès, qui est un organisme non partisan, selon laquelle la hausse du salaire minimum devrait faire sortir 900.000 Américains de la pauvreté mais risquerait d'entraîner la suppression de 500.000 emplois. A l'heure actuelle, des pétitions sont signées aux USA en faveur de l'organisation de référendums visant la revalorisation du salaire minimum au niveau des Etats, où 22 projets de loi ont été déposés à cet effet depuis le début de l'année 2014.Deuxième question : Son niveau est-il trop élevé au Maroc ? Les comparaisons internationales sont implacables : notre SMIG reste l'un des moins élevés du monde. Nos 3000 DH ou 267 euros sont bien entendu largement supérieurs aux 158 euros de Roumanie, 72 euros du Cambodge ou 50 euros du Bangladesh. Mais ces pays low cost où règne la misère, ne constituent nullement une référence mondiale dans le domaine social. Un SMIG encore plus bas que le niveau actuel, n'est pas une certitude de pouvoir doper la compétitivité et l'emploi au Maroc. La solution doit être recherchée au niveau de la formation professionnelle, qui permettra de lever les barrières à l'entrée du marché du travail pour les non qualifiés. Le Royaume qui aspire au statut de partenariat avancé avec l'UE, doit se fixer comme horizon le modèle social européen où le salaire minimum atteint des seuils beaucoup plus élevés : entre 1400 et 1500 euros en France, en Belgique, aux Pays-Bas, en Irlande et... 1874 euros au Luxembourg. Mais le cas le plus emblématique est celui de la Suisse, où un référendum sera organisé le 18 mai prochain à l'initiative de deux syndicats, pour permettre aux citoyens de se prononcer sur l'instauration d'un salaire minimum atteignant la barre symbolique des 4.000 francs suisses soit 37 000 DH ! Troisième question : Quel sera l'impact de la hausse du SMIG sur l'emploi ? S'agissant d'un sujet clivant parmi les économistes, certains considèrent qu'une hausse du salaire minimum au-dessus du niveau de l'inflation détruit des emplois, tandis que d'autres estiment que les calculs d'impact doivent tenir compte des effets positifs sur le pouvoir d'achat et la demande, réduisant d'autant les prévisions de destructions d'emplois et les rendant très limitées. Il est de la responsabilité du HCP de livrer son étude prospective sur l'impact économique, social et fiscal de la hausse du SMIG. Comme il appartient au gouvernement de soumettre au vote du Parlement un projet de loi de finances rectificative, pour constater que l'augmentation des charges de personnel de la fonction publique, initialement prévue à un rythme très élevé de +5.8 % en 2014, va s'aggraver davantage.