Le 3 juin dernier, British American Tobacco recevait sa licence pour distribuer ses produits chez les buralistes du royaume. Cette autorisation marque la deuxième étape dans la libéralisation de ce secteur dont le chiffre d'affaires 2010 était de 14,5 milliards DH. En effet, la décision de libéraliser le secteur du tabac a été prise il y a quelques années déjà et est devenue effective depuis le 1e janvier 2011. Altadis perdait ainsi son monopole et voyait se profiler le spectre d'une concurrence acerbe. Très vite, deux des plus grands cigarettiers mondiaux ont affiché leur volonté de venir disputer les parts de marché de la distribution de tabac au Maroc. Ainsi, British American Tobacco (BAT) et Japan Tobacco Inc (JTI) ont décidé de voler de leurs propres ailes en recourant à l'importation directe et la commercialisation de leurs produits phares. Des distributeurs locaux Les deux firmes ont d'emblée compris que cette commercialisation devait passer par la conclusion de partenariat avec des distributeurs locaux. Ainsi, JTI, qui a été la première à concrétiser la libéralisation du secteur, et ce dès le mois d'avril, a entamé la distribution de ses marques à travers une joint-venture avec North African Bottling Company (NABC) dans une nouvelle filiale, North African Tobacco Company (NATC). NABC est en fait le principal embouteilleur de Coca Cola au Maroc. Aussi, la firme qui commercialise le soda le plus vendu dans le monde, s'inquiétant des séquelles que pourrait subir son image en étant associé au tabac, a jugé bon de se désolidariser de cette décision. «NABC est certes embouteilleur de Coca-Cola au Maroc, mais cette décision de partenariat avec JTI a été prise par la famille espagnole Daurella, qui contrôle NABC», a défendu un cadre de Coca Cola Maroc sur les colonnes des Echos quotidien daté du 19 avril dernier pour éviter tout amalgame entre les activités des deux produits. BAT, quant à elle, a choisi de s'en remettre à Dislog un distributeur local qui s'occupe par ailleurs de la distribution des produits de Procter & Gamble au Maroc. Opter pour des distributeurs locaux qui ont fait leurs preuves sur d'autres produits n'est pas un choix fortuit, vu que la connaissance du marché est un point déterminant dans le succès de la distribution de tabac. En effet, ces distributeurs peuvent se baser sur une cartographie des débitants et jouissent d'emblée de la confiance de ceux-ci. JTI, à travers NATC, est allé encore plus loin en débauchant d'anciens commerciaux de chez Altadis pour assoir leur stratégie de distribution dans le royaume. Toutefois, ces derniers ont été dirigés vers la sortie après la période de lancement comme l'a révélé dernièrement un mensuel de la place. NATC recule en mai Toujours est-il que le succès commercial est surtout tributaire des marques commercialisées par les cigarettiers, à en croire un propriétaire de plusieurs bureaux de tabacs qui explique : «La marque Winston avait disparu du marché depuis le début de l'année. Aussi, quand les commerciaux de la nouvelle société sont venus nous en proposer, nous nous sommes précipités pour acquérir le maximum de cartouches». Cette marque de cigarette, appartenant au portefeuille produit de JPI, a une grande popularité parmi les cigarettes à plus de 30 dirhams. Le retour sur le marché de Winston a donc connu un franc succès. En atteste le chiffre d'affaires de NATC qui inclut les cartouches Camel, même si ces dernières ont une part de marché très inférieure. Ainsi, celui-ci a frôlé le chiffre de 70 millions de dirhams pour le mois d'avril. Cependant, le deuxième mois, les ventes ont nettement reculé en chutant en-dessous des 60 millions de dirhams. «Les consommateurs ont été déçus de la qualité des Winston distribuées par NATC», nous confient des buralistes. En fait, les Winston distribués par NATC sont importées de Suisse alors que celles qui étaient, jusqu'à l'année dernière, distribuées par Altadis venaient des Etats-Unis. La riposte d'Altadis Alors, même si NATC a frappé un grand coup en donnant une marge de 6% aux buralistes, là ou Altadis Maroc n'en concède que 5%, titiller le distributeur historique du secteur n'est pas si aisé. D'autant plus qu'Altadis n'a pas tardé à riposter, même si elle ne l'a pas fait à travers la marge qui est restée fixe. En effet, la filiale d'Imperial Tobacco a choisi de répondre à la nouvelle donne concurrentielle à travers d'autres canaux tels que le délai client. «Altadis pratique désormais un délai client d'une semaine ce qui permet de palier nos problèmes de trésoreries et évite toute rupture de stocks qui pourrait engendrer un transfert de clients vers les produits de Japan Tobacco Inc», affirme un buraliste. La firme naguère en monopole aurait aussi usité d'autres actions relevant du marketing pour défendre ses parts de marché (voir article ci-contre). Pour ce qui est la distribution, elle-même, il est clair qu'Altadis Maroc bénéficie d'une avance certaine en la matière. Les itinéraires de distribution sont bien rodés et les buralistes peuvent s'adresser à une téléopératrice pour passer commande. NATC adopte pour le moment une distribution en étoile et le buraliste peut s'adresser directement au commercial de sa zone pour passer commande et être servi directement. Il s'agit pour le distributeur des produits de JTI de gagner la confiance des buralistes dans cette première phase en attendant de mettre en place un itinéraire prédéfini à l'image de celui d'Altadis. Les commerciaux de NATC sont tellement décidés à gagner les buralistes à leur cause qu'ils auraient même distribué leur produits pendant le week-end et le soir, alors même que c'est interdit par la loi, comme en atteste un buraliste que nous avons approché. Le troisième distributeur, Dislog, affute ses armes depuis des mois et maintenant qu'il a reçu l'aval de la direction des entreprises publiques et de la privatisation il peut investir le marché à son tour. Dunhill et Kent seront les produits qu'il distribuera pour son lancement. Gagner les buralistes est dont désormais son objectif et selon des sources bien informée il ambitionnerait de porter la marge accordée aux buralistes à 8%. Un chiffre qui démontre de la générosité du distributeur lors de la phase de lancement même si la taille limitée des parts de marché destinée à ses produits peut représenter un réel handicap en attendant de mettre les autres produits de BAT sur le marché, tel que Luky strike. Mais, pour ce faire, le produit doit être signalé sur le bulletin officiel à l'image de la nouvelle marque distribuée par NATC, Glamour, qui sera bientôt chez les buralistes. Le secteur de la distribution de tabacs au Maroc découvre les joutes de la concurrence acerbe ou tous les coups sont permis. En attendant, l'avènement d'un quatrième distributeur... Blocus sur les agréments Depuis le 1er janvier 2011, plus aucun agrément de bureau de tabac n'a été accordé au Maroc. Et pour cause, personne n'est habilité à le faire depuis cette date. En effet, la loi donnait cette responsabilité à l'opérateur en monopole. Altadis ayant perdu ce monopole, il ne peut donc plus le faire. Aussi, cette responsabilité a été proposée aux départements publics. Elle l'a d'abord été aux services du ministère de l'Intérieur, à l'image des agréments pour les débits de boisson. Le personnel de ce service a même reçu une formation dans ce sens, avant que les responsables du département ne déclinent la responsabilité de l'octroi des agréments de bureaux de tabacs. De fait, plusieurs autres départements ont été approchés pour remplir cette mission, ministère de l'Economie et des finances, ministère des Affaires économiques et générales ou encore le ministère du Commerce et de l'industrie, mais tous ont botté en touche. La situation reste bloquée à l'heure actuelle, en attendant qu'un volontaire daigne prendre cette responsabilité.