Sans fanfares ni grands tambours, le gouvernement a pris une décision hautement stratégique pour l'avenir macroéconomique du pays : appliquer la réalité des prix pour l'essence et le fuel industriel. Autrement dit, le soutien étatique à ces produits a été supprimé laissant place à l'indexation totale des prix. Le gasoil, quant à lui, continuera de bénéficier d'une subvention pour cette année 2014. Néanmoins, la contribution de l'Etat dans le prix du gasoil diminuera sensiblement au fil des mois. Elle passera ainsi de 2,15 DH / litre en janvier 2014 à 0,80 DH/litre en octobre 2014. Les prix connaîtront donc fatalement des augmentations suite à ces décisions (sauf si les cours internationaux dictent le contraire en enregistrant des baisses irréelles). L'équilibre budgétaire a certes besoin de cette décision qu'aucun autre gouvernement n'a eu l'audace de mettre à exécution, toutefois, l'on continue de reprocher à Benkirane et son équipe un manque de communication. Le gouvernement appelé à tenir ses promesses ! À l'image de l'instauration de l'indexation partielle en septembre dernier, la nouvelle est encore une fois tombée par surprise prenant tout le monde de court. «Le gouvernement ne nous a pas informés de sa décision, nous l'avons appris par voie de presse», explique Abbas El Khalloufi, président de la Fédération nationale des syndicats des transports routiers de voyageurs (FNSTR). Pour justifier sa démarche, le gouvernement avait expliqué en septembre dernier, qu'il voulait éviter «l'effet de panique». Les têtes changent mais la stratégie reste la même (ndlr : En septembre dernier, c'est Mohamed Najib Boulif qui chapeautait le département des Affaires générales, lequel a été confié par la suite à Mohamed El Ouafa). Citoyens et tissu économique sont devant le fait accompli. Si les citoyens n'ont plus qu'à s'accommoder avec la décision, tant bien que mal, les secteurs économiques les plus touchés ne comptent pas rester les bras croisés. C'est le cas notamment du secteur du transport. «Nous avons convoqué une réunion urgente pour unifier notre position», lâche Abbas El Khalloufi. Et d'ajouter : «nous demandons au gouvernement de s'expliquer et de nous présenter clairement sa vision de la réforme». Selon notre source, une réunion qui était programmée mercredi 22 janvier à 10h avec le ministre de tutelle, Mohamed Najib Boulif, sera l'occasion de discuter du sujet avec lui. Les transporteurs routiers de voyageurs réclament que toutes les mesures promises lors de la mise en place de l'indexation partielle en 2013, et pas encore appliquées, le soient ! Il s'agit notamment de mesures relatives à la TVA. La désindustrialisation à l'honneur ? L'industrie est aussi un secteur qui risque d'être fortement touché par la suppression de la subvention au fuel industriel. «De telles mesures ne doivent pas se faire au détriment du développement de notre industrie, qui reste très dépendante de l'énergie», avance Taib Aisse, président d'Amal entreprises. «Nous avons aujourd'hui des industries où le coût de l'énergie représente plus de 30% du coût total du produit. Quand l'énergie est chère, ce qui est le cas du Maroc, nous ne pouvons pas être compétitifs avec des pays concurrents comme l'Egypte ou la Chine où le pétrole est 10 fois moins cher qu'au Maroc», ajoute-t-il. Pour le patron d'Amal entreprises, l'indexation reste une solution provisoire et son impact dépendra de plusieurs facteurs exogènes. Il n'est pas exclut que plusieurs secteurs industriels montent au créneau suite à cette décision. Les pétroliers se frottent les mains en silence ! Entretemps, il y a un secteur qui profitera de l'entrée en vigueur de cette décision, mais qui se fait tout discret. Ce sont des pétroliers dont il s'agit. Interrogé sur les incidences de la suppression de la subvention, le groupement des pétroliers du Maroc (GPM) ne se sent pas concerné. «Ces décisions autour des prix ne nous concernent pas. Nous ne faisons qu'appliquer la décision telle qu'elle a été présentée par le gouvernement», déclare Adil Ziadi président du (GPM). Et pourtant, cette décision aura fatalement des incidences «positives» pour les opérateurs et leur trésorerie. La suppression de la subvention se traduit concrètement par la suppression des paiements de l'Etat aux opérateurs et donc par là même des arriérés de paiement, du moins pour l'essence et le fuel industriel. Les montants que les opérateurs devront à l'Etat seront désormais de plus en plus réduits puisque la subvention pour le gasoil diminuera petit à petit. Il ne reste plus à l'Etat qu'à éponger ses arriérés pour effacer l'ardoise. Une vraie bonne nouvelle pour la trésorerie des pétroliers. Est-ce la fin des motorisations essence ? À fin août 2013, la ventilation des ventes automobiles par type de motorisation indiquait que le diesel représentait 84% contre 16% pour l'essence. «Au dernier trimestre 2013, les ventes de voitures diesel ont augmenté significativement», explique Jean-Marie Rivière délégué général Maroc des marques Peugeot et Citroën. Cela coïncide avec l'instauration de l'indexation partielle. Les Marocains ont un penchant naturel pour le diesel, mais les décisions impliquant les prix des carburants sont un facteur non négligeable qui influence les décisions d'achats. «La décision prise par le gouvernement ne fera qu'amplifier un phénomène qui existait déjà», explique Rivière. Si la part du diesel avoisine les 80% dans les ventes, la mise en place de l'indexation totale des prix de l'essence signera-t-elle la fin des motorisations essence au Maroc ? «Il y aura toujours des amoureux des voitures essences, mais cela donnera certainement un coup de frein aux ventes de ce type de motorisation». Le salut ne peut venir que de la conception d'un moteur essence bien plus économe que le diesel. Et ça ce n'est pas pour demain !