Tarik El Malki, enseignant-chercheur à l'ISCAE. «Les citoyens votent pour des réformateurs mais n'aiment pas les réformes» Les ECO : Comment le contexte politique actuel peut-il impacter la situation économique du pays ? Tarik El Malki : Le contexte politique actuel est crispé, tendu et instable, car incertain. Il est de nature à cultiver l'attentisme, ce qui produit des effets négatifs pour l'économie. En effet, l'attentisme engendre une perte de confiance au niveau des opérateurs, des marchés et même des ménages. Cela aura bien évidemment un impact plus ou moins prononcé sur les anticipations aussi bien des industriels en termes d'investissement, que des ménages, en termes de consommation. Tout cela aura un impact sur la reprise de l'activité économique et donc sur la croissance. L'année 2013 ne risque-t-elle pas de devenir une année blanche comme en 2012 ? Il faut relever que bien avant cette crise politique, la gestion gouvernementale a été marquée par une absence de volonté et de courage politique, comme l'illustre l'absence de prise d'initiative. Sur les deux années qui se sont écoulées, c'est-à-dire depuis l'arrivée du gouvernement aux affaires, il n y a presque rien de consistant à mettre à son actif. Hormis, une hausse du prix de l'essence l'année dernière et une diminution de 15 milliards de DH des dépenses d'investissement public cette année, le gouvernement n'a pratiquement ouvert de manière sérieuse aucun dossier de fond. La réforme de la Caisse de compensation reste entière, de même que celle des caisses de retraite. Il en va de même pour la réforme de la fiscalité, de la justice, et de l'enseignement. La vraie réalité, et c'est peut être cela le plus inquiétant, est que le gouvernement «gouverne» sans cap ni boussole, car ne disposant pas de véritable feuille de route pour le pays. Tout cela est très inquiétant, dans un contexte de multiples crises dans lequel se trouve le Maroc. Comment le gouvernement pourrait-il mieux gérer la situation, vu sa marge de manœuvre ? Cette période appelle des décisions rapides, courageuses, même si cela implique une certaine impopularité. On a le sentiment que le gouvernement ne prend pas la pleine mesure de la situation du pays, qu'il fait plus attention à sa popularité et à son image auprès de la population que prendre à bras le corps les véritables défis du pays. Le paradoxe est que les citoyens votent pour des réformateurs, mais n'aiment pas les réformes, car les réformes impliquent un coût financier certes, mais pas seulement. Elles impliquent surtout des changements dans les habitudes, les comportements que nos concitoyens ne sont toujours pas prêts à accepter. Nous avons affaire à une société qui reste malgré tout conservatrice et qui rechigne à tout changement. Le meilleur exemple est que l'équipe gouvernementale, après avoir fait de la moralisation de la vie publique et de la lutte contre la corruption son cheval de bataille, a vite fait de jeter aux oubliettes toutes ses promesses en la matière. Les prévisions macroéconomiques pour l'exercice 2014 ne sont pas reluisantes.... Certainement. L'ensemble des indicateurs macroéconomiques du pays est au rouge. Les prévisions en termes de croissance pour 2014 sont estimées, sur la base des hypothèses établies à ce jour, à 3.7% selon le Centre marocain de conjoncture (CMC). Cela équivaut à un ralentissement de 1,2 point par rapport aux prévisions pour l'année 2013. En effet, le taux de croissance pour cette année est estimé à 4.9% selon les prévisions du CMC. Cette croissance, qui plus est, est en grande partie due aux performances exceptionnelles du secteur agricole cette année. Cela montre, s'il en était encore besoin, à quel point notre croissance économique est fortement corrélée à l'aléa climatique. Ce qu'il nous faut, c'est passer à un nouveau palier de croissance d'au moins 7%, et cela dans la durée. Pour ce faire, nous avons besoin d'un nouveau modèle de croissance, qui repose sur la stimulation de notre capacité à l'export et non plus uniquement sur la demande intérieure comme cela a été le cas jusqu'à aujourd'hui. Tout cela prendra du temps, des réformes de fond doivent être entreprises, ce qui n'est pas encore le cas. Les résultats pourront se faire sentir au mieux dans quelques années. La feuille de route de mandat que s'est fixée Benkirane en 2012 est-elle toujours d'actualité ? À mon sens, le véritable problème du gouvernement réside dans la personnalité même de son chef. Un chef de gouvernement doit rassembler, rassurer, fédérer, et non pas diviser et attiser les tensions. Le statu quo est dangereux, car il engendre le recul. Ne rien faire, c'est prendre le risque de laisser la situation pourrir. À un moment, cela devient intenable et c'est l'explosion. La situation que vivent plusieurs pays de la région, l'Egypte notamment, en est la meilleure illustration. Le gouvernement devrait méditer sur cela. Quels sont les risques pour l'économie marocaine, notamment auprès des investisseurs et des partenaires financiers ? Les risques sont grands de voir, à l'instar de nombreux pays, notre note souveraine auprès des agences de notation être dégradée. Déjà la note de la Bourse de Casablanca a récemment été revue à la baisse. Cela n'augure rien de bon pour la suite. Une dégradation de notre note dans ce contexte d'incertitude politique et de crise gouvernementale serait bien malvenue, d'autant plus que le Trésor a récemment émis le souhait de se financer à nouveau sur le marché international. Cette incertitude aura également un impact sur les potentiels investisseurs qui risquent de se détourner du Maroc pour aller vers des cieux plus attractifs, avec tout ce que cela implique comme manque à gagner pour notre économie. Certes, certains indicateurs, tels que le solde de la balance commerciale, en léger recul, ou les flux d'IDE, en légère augmentation, peuvent laisser penser qu'il y a une reprise économique. Toutefois, il faudrait à mon sens être beaucoup plus prudent. En effet, à ce stade et malgré une légère embellie, rien n'indique que l'on soit dans une tendance de reprise qui soit structurelle. Comment la nouvelle majorité pourrait-elle rattraper le retard ? Personnellement, je ne suis pas optimiste pour les années restantes de la législature actuelle. Quelle que soit la configuration de la future majorité, l'échec de cette première expérience montre que les problèmes sont structurels. Je suis persuadé que dans un an, nous risquons d'être confrontés aux mêmes problèmes qu'aujourd'hui. Tous les éléments convergent pour souligner que la préparation de la loi de finances 2014 est en panne. Il y a fort à parier que 2014 suive la même trajectoire que les deux dernières années. Les conséquences de cette situation risquent fort d'être dramatiques pour le pays.