Plusieurs ports du royaume, notamment ceux de Casablanca, d'El Jadida et d'Agadir, risquent de connaître des perturbations les prochains jours. 11 fédérations et associations de transporteurs routiers de marchandises menacent de hausser le ton pour alerter le gouvernement sur leur situation. «Nous allons tenir une Assemblée générale jeudi prochain, à l'issue de laquelle nous prendrons une décision ferme: soit relancer les autorités sur nos doléances, soit déclencher un mouvement de grève». L'avertissement vient du secrétaire général de l'Association nationale des transports modernes (ANTM), Abdelghani Berrada, un des chefs de file de ce mouvement. Les professionnels du transport entendent protester contre les nombreuses difficultés et tracasseries qu'ils subissent au niveau des ports. Ces «contraintes», selon le SG de l'ANTM, concernent avant tout les contrôles qu'effectuent les services du ministère du Transport ou de la gendarmerie. «Ils créent toutes sorte d'infractions à notre encontre pour faire entrer de l'argent. Ce n'est pas juste», proteste-t-il. Autre motif de cette montée d'adrénaline, «la non-réalisation de la gare routière promise aux transporteurs depuis plusieurs années». Cette vieille promesse, qui remonte au temps du gouvernement de Driss Jettou, n'a pas été réalisée par son successeur, et le cabinet Benkirane donne l'impression de la négliger après avoir à son tour promis de passer à l'acte. Cette gare routière était initialement prévue à Zenata puis à Aïn Harrouda, mais le passage du tracé du TGV a fini de condamner sa construction. À ce jour, ces professionnels disent n'avoir aucune visibilité sur la réalisation de cette gare, très attendue par les conducteurs et propriétaires de camions de transport de marchandises. Autant de raisons qui, à leurs yeux, sont suffisantes pour se faire entendre. Dialogue franc «Nous demandons d'avoir des discussions franches avec l'Etat, et qu'on nous tienne un langage de vérité», exige-t-on au niveau des transporteurs. Ces discussions franches doivent également concerner une autre question tout aussi problématique chez ces transporteurs, à savoir les dispositions encadrant la restitution des permis de conduire par les tribunaux après un accident. Les conducteurs trouvent qu'elle joue en leur défaveur et qu'elle a un impact considérable sur leurs activités, comme c'est le cas lors de la mise en fourrière des camions saisis par les autorités de contrôle. Ce dernier point, indique notre source, relève d'une «démarche anti-économique, car la mise en fourrière d'un camion avec sa cargaison cause des préjudices matériels (chaîne de froid et destruction des aliments) et entame le bon fonctionnement des sociétés». En somme, résume le SG de l'ANTM, «les transporteurs routiers de marchandise sont au bord de la faillite». Leurs activités continuent à ressentir le poids de l'augmentation des prix du gasoil, ainsi que l'arrivée dans le secteur d'acteurs qui n'auraient rien à avoir avec les métiers du transport. Les professionnels n'hésitent d'ailleurs pas à parler d'opérations de «blanchiment d'argent» qui auraient tendance à se multiplier dans leur secteur. Pourtant, ce chapelet de doléances aurait déjà été égrené devant le ministre de tutelle, avec lequel ces transporteurs ont tenu «plusieurs réunions»; ils ont également rencontré le Chef du gouvernement. Aujourd'hui, c'est surtout l'absence de réaction, ou plutôt le retard accusé dans la concrétisation des nombreuses promesses, qui irritent ces professionnels. Il reste à savoir quelle sera la réaction des officiels, notamment celle du ministère du Transport, que nous avons essayé de contacter à propos de ce nouveau rebondissement, en vain. Une confédération des transporteurs en gestation L'union fait la force. Pour mieux faire se faire entendre et défendre leurs intérêts, les transporteurs de marchandises veulent se constituer en confédération. C'est ainsi qu'une dizaine de fédérations et associations ont entamé des discussions en vue de créer une confédération nationale des syndicats de transporteurs de marchandises. Toutes ont signé un accord dans ce sens et font partie des entités qui menacent de durcir le ton face aux autorités de tutelle. On y retrouve entre autres l'Association nationale des transports modernes (ANTM), la Fédération du transport sur ports et routes (FTPR), le Syndicat des transporteurs agréés sur ports (STAP), ou encore l'Association des jeunes transporteurs (AJT). «Nous étudions la possibilité de créer cette confédération», indique Abdelghani Berrada, SG de l'ANTM. Pour le moment, nous sommes liés par un pacte d'honneur», précise-t-il. Une réforme à doses homéopathiques ! La réforme du secteur du transport routier de marchandises tarde visiblement à se profiler. En tout cas, les professionnels du secteur commencent à s'impatienter et montent au créneau contre le ministère de tutelle, pour manifester leur mécontentement quant au non respect de ses engagements. La corporation tient en effet une assemblée générale ce jeudi pour décider des mesures à prendre. Il n'est pas exclu d'observer une grève dans les ports les plus stratégiques du royaume (Casablanca, El-jadida/Jorf Lasfar et Agadir) pour attirer l'attention des pouvoirs publics quant à la gravité de la situation (voir p.5). La décision de la profession, si jamais elle décide de passer à l'acte, serait de nature à paralyser plusieurs activités connexes. Hautement stratégique avec 75% des flux de transport routier de marchandises (hors phosphate), ce segment des transports est en effet un véritable poumon de l'économie du pays. Malgré sa place de choix, cette activité traîne une libéralisation, enclenchée en 2003, dont les résultats laissent à désirer. D'ailleurs, une étude récente du Centre pour le développement de la sécurité du transport (CPDST) a eu l'occasion de pointer les différents «loupés » de cette de réforme : l'informel, qui prend des proportions importantes et l'absence des règles de base de la concurrence loyale, la mise en œuvre hasardeuse du code de la route qui s'était accompagnée par une série de grèves, l'autorisation, via homologation du ministère, des camions de 8 tonnes à faire de la surcharge jusqu'à... 14 tonnes. Du coup, face à ces aberrations, le ministère de tutelle tente tant bien que mal de rectifier le tir. Lors d'une conférence tenue à la Chambre de commerce suisse à Casablanca, jeudi dernier, Abdelaziz Rabbah a (re)décliné les grands axes de son plan d'attaque. Objectif affiché : «mettre en place un système de transport routier économiquement efficace, avec les meilleures conditions de qualité, de sécurité, de fiabilité, de délai et de coût». La fin du monopole d'affrètement Pour y parvenir, Rabbah a énoncé plusieurs mesures à mettre en place : suppression de l'agrément de transport routier de marchandises, mettre fin au monopole d'affrètement pratiqué précédemment uniquement par l'ONT, création de deux nouveaux métiers, à savoir les commissionnaires et les loueurs de véhicules de transport de marchandises, intégration dans le secteur organisé des propriétaires des véhicules de 8 tonnes et moins. Aussi, le ministre de tutelle a insisté sur la poursuite de la mise à niveau du secteur de transport routier de marchandises. Là aussi, plusieurs mesures ont été annoncées : mise en application des dispositions du contrat-programme 2011-2013 visant la régulation et la mise à niveau des acteurs de transport routier de marchandises, élaboration d'un nouveau programme de renouvellement du parc des transports routier de marchandises et mixte pour la période 2011-2013, mise en place de l'Observatoire du secteur du transport routier... Ce sont là de bonnes intentions, en attendant des résultats sur le terrain !