Tout porte à croire que le projet de réforme de la loi organique des finances (LOF), vraisemblablement déjà ficelé par l'équipe de l'argentier du Royaume, Salaheddine Mezouar, fera long débat au Parlement. Ce premier constat résulte de la rencontre entre députés, organisée jeudi dernier à Salé, à l'initiative de la Fondation Abderrahim Bouabid. Une rencontre qui avait pour objet l'annonce des premiers résultats d'un projet portant sur le renforcement de la démocratie budgétaire au Parlement. Mais pourquoi alors lier la loi organique des finances à la démocratie budgétaire ? Selon les initiateurs de ce projet d'appui à l'institution législative, le débat parlementaire autour de la loi de finances dans les démocraties avancées reste un moment privilégié d'échange d'arguments sur l'opportunité et la mise en oeuvre des choix publics. Au Maroc, les tentatives d'implication du Parlement dans les différentes phases de la loi de finances se heurtent à la rigidité et à la désuétude du cadre légal. «Ce projet d'accompagnement, visant l'implication du Parlement dans la discussion des enjeux et du cadre de la réforme budgétaire, dure depuis dix mois déjà. À terme, cette dernière devrait être une Constitution financière offrant l'amélioration de la qualité du débat parlementaire et donc de la démocratie. Malheureusement, notre invitation n'a pas trouvé écho chez l'ensemble des partis», confie Ali Bouabid, président de la fondation Abderrahim Bouabid. Les raisons d'une non implication Toutefois, la non implication du Parlement marocain, comme force de proposition dans les débats autour des dépenses publiques, n'est pas inhérente au seul fait juridique. «S'il est vrai qu'il existe un manque d'instruments législatifs qui permettraient la discussion de la performance des finances publiques, les deux tiers des parlementaires ne sont pas habilités à saisir ce genre de débat», note Abdelali Doumou, député Usfpéiste à la Chambre des représentants. Pire encore, le Parlement accuserait un manque flagrant pour assurer les débats autour des lois de finances : «Avec les moyens dont nous disposons aujourd'hui au niveau du parlement, ils nous est impossible de contrôler, collecter et analyser les données relatives à une loi de finances», se désole Khalid Hariri, autre député de l'USFP et membre de la commission des finances au Parlement. Cette dernière est d'ailleurs composée d'une soixantaine de députés et ne dispose que de trois fonctionnaires pour assister ces deniers. Pour donner le contre exemple, en France, chaque député est assisté par une équipe de cinq personnes et aux Etats-Unis, un sénateur dispose d'une dotation de 15 millions de dirhams pour louer les services d'un expert ou d'un bureau d'études ou d'assistants. Une réforme en... 2013 ! Pour les députés ayant assisté à la rencontre jeudi dernier, la réforme de la LOF, telle que prévue par le gouvernement depuis 2008, devrait donc tracer les jalons d'une gestion publique plus éthique. Le vote des lois de finances, quant à lui, devrait désormais avoir un sens politique : «Qu'est-ce qu'on vote et où vont les dépenses de l'Etat ?». Le Législatif devra toutefois encore patienter pour atteindre ces ambitions. D'après Abdellatif Berroho, député du PJD à Tanger et vice-président de la commission de la justice et de la législation au Parlement, le vote du projet de réforme de la LOF, bien qu'annoncé pour la mi-mai, sera vraisemblablement effectué qu'en 2011 et «si tout va bien, la loi sera applicable dès 2013». Rééquilibrer les pouvoirs Les séries de mesures engagées depuis 2001 par le Maroc, visant à moderniser son système de gestion publique et à rationaliser la dépense publique, se heurtent encore à plusieurs contraintes. Selon les conclusions du projet «pour le renforcement de la démocratie budgétaire au Parlement», une catégorie de ces contraintes renvoie aux limites que posent le cadre juridico-constitutionnel à l'intervention et aux pouvoirs du Parlement en général, et en matière budgétaire en particulier, notamment au niveau de la procédure budgétaire. De manière générale, «la levée des contraintes nécessite une révision de la Constitution, réclamée par la majorité des forces politiques, dans le sens d'un rééquilibrage des pouvoirs en faveur du Parlement» et notamment les pouvoirs de contrôle et d'évaluation de l'action du gouvernement. De manière plus particulière, «c'est une réforme de la loi organique relative au Budget qui est attendue et rendue nécessaire pour progresser dans la réforme budgétaire». Benchmark outre-mer Ce projet d'accompagnement de l'Institution parlementaire dans la réforme de la LOF a été initié par la Fondation Abderrahim Bouabid, avec la collaboration du Centre d'études de recherches en sciences sociales (CERSS) et le concours de l'UE et du PNUD. La phase benchmark du projet révèle des constats qui serviraient de modèles pour la réforme annoncée : certains pays ont opté pour des lois organiques brèves, concises, contenant uniquement des dispositions de portée générale en ce qui concerne la préparation, l'exécution et le contrôle de l'exécution du budget (dépenses publiques) ainsi que le partage des pouvoirs et des responsabilités entre l'exécutif et le législatif en matière budgétaire. En effet, dans certains pays, la loi organique a été perçue comme par nature généraliste. Ainsi il a été opté qu'elle contienne uniquement des dispositions de principe et/ou à portée générale. Les lois communes et les règlements viennent alors détailler ces dispositions de principe qui pourront être appuyées par une littérature didactique (guides, méthodes, etc.) à l'instar de celle qui a pu être développée en France. Dans ce type de pays, le nombre d'articles semble limité entre 50 et 100. D'autres pays, comme l'Espagne et les Pays-Bas, ont préféré mettre en place des lois organiques ou des système très fournis avec plus de 100 articles voire près de 200 pour certains. Ces lois contiennent des dispositions détaillées sur certains volets. Dans les pays de droit coutumier, les lois de système paraissent également très fournies mais il s'agit en fait du rassemblement des dispositions des réformes entreprises dans un texte de loi qui est davantage un code de lois et règlements qu'une loi-cadre.