«Suffit de s'ouvrir aux marchés étrangers ! Suffit de signer des ALE qui ne nous profitent pas !». Cet avertissement lancé par plusieurs experts et opérateurs économiques se justifie par une situation peu rassurante de nos principaux indicateurs économiques, dont une balance commerciale très déficitaire. Dès lors, l'annonce d'un accord de libre échange complet et approfondi (ALECA) avec l'UE en mars dernier a fait l'effet d'une bombe. Aujourd'hui, la délégation européenne au Maroc tente de rassurer, en expliquant les tenants et les aboutissants de cet accord. Pour les plus sceptiques, une étude d'impact de l'ALECA, réalisée par l'Union européenne vient d'être publiée, levant ainsi certains flous qui avaient entouré la question. L'étude rendue publique en fin de semaine dernière entend clairement rassurer. «Les gains prévus pour l'économie marocaine seront de loin plus importants que ceux attendus par l'Union européenne», souligne l'étude réalisée par l'agence Ecorys. Ainsi, les changements attendus au niveau européen seront très peu sensibles au niveau de l'impact macroéconomique et sectoriel. Sur le long terme, aucun des indicateurs (PIB, Prix à la consommation, balance commercial...) ne dépassera une amélioration de 0,5%. Ce qui n'est pas surprenant, eu égard à la grande asymétrie qui caractérise nos deux économies. C'est dire que bien que les exportations européennes et leur impact sur l'économie locale soient en hausse - suffisamment pour causer quelques soucis au Maroc- cette hausse demeurera plus ou moins insensible pour l'Union européenne sur le plan de ses indicateurs macroéconomiques. Des exportations en hausse de 15% En réalité, tant chez l'UE que chez le Maroc, le revenu national devrait s'améliorer à la suite de l'entrée en vigueur de cet accord. Sur le long terme, les gains attendus à ce niveau sont d'environ 1,4 milliard d'euros pour l'UE et de 1,3 milliard pour le Maroc. Compte tenu de la taille des économies, les gains du PIB en termes relatifs sont proches de zéro pour l'UE, mais se traduisent par une augmentation du PIB de 1,6% pour le Maroc. L'analyse de ces données montre que la réduction attendue des mesures non tarifaires sur les biens est de loin le facteur le plus important pour les gains attendus. L'impact de l'ALE sur les flux commerciaux totaux devrait également être important pour le Maroc, avec une augmentation de 15% pour les exportations et de 8% pour les importations sur le long terme, conduisant ainsi à une amélioration de la balance commerciale du Maroc avec le reste du monde. En parallèle, le Maroc devrait améliorer la situation de ses échanges bilatéraux avec l'Union européenne. Sur le court et le long terme, les exportations marocaines vers l'Union devraient connaitre une augmentation de 23.6%. Cependant, il faudra compter sur des importations en hausse de près de 18% en provenance de l'Europe, ce qui ne participera pas forcément au soulagement de la balance commerciale. En outre, des effets positifs sont attendus concernant les niveaux de salaires, avec une hausse attendue sur le long terme de l'ordre de 1,6 à 1,9%. Les prix à la consommation devraient également légèrement augmenter de 0,4%, en raison de l'augmentation des revenus et de la demande qui en découlera. Cette augmentation des salaires devrait aussi participer à l'amélioration du pouvoir d'achat du citoyen marocain moyen. «Du côté de l'UE, les changements attendus sur le commerce, les salaires et les prix à la consommation seront négligeables», affirme l'étude. Tunisie et Turquie, les grandes perdantes Politique européenne de voisinage oblige, l'étude réalisée par Ecorys pour le compte de l'Union Européenne prend également en compte l'impact de cet ALECA sur les pays tiers. Notamment ceux du pourtour méditerranéen. Cet impact s'explique principalement par des effets de détournement des échanges. Bien que l'on estime que cet effet sera négatif pour certains pays tiers tels que la Tunisie et la Turquie (respectivement -2.4% et -5.4%), les effets demeurent très faibles, et sont même insignifiants lorsqu'ils sont exprimés en pourcentage du PIB. Il est à noter que l'effet estimé sur la Tunisie suppose que ce pays devrait également achever les négociations sur un ALECA avec l'UE. Ces retours positifs viennent donc conforter les propos du nouvel ambassadeur de l'Union européenne auprès du Maroc qui, lors d'une récente sortie médiatique, a tenu à lever les ambigüités autour de cet ALE si particulier. Les représentants de la délégation européenne ont ainsi tenu à expliquer qu'il s'agit d'un accord technique, dont l'objectif est d'abord de faire sauter tous les obstacles au commerce, notamment les mesures non tarifaires, et d'assurer une convergence réglementaire entre les deux parties. L'accord qui devrait s'intéresser à des dossiers tels que les marchés publics, la concurrence ou la propriété intellectuelle ne compte donc pas s'attaquer à l'accès au marché de nouveaux produits, mais d'améliorer le commerce déjà existant. Cela étant, les diplomates européens ne cachent pas leur volonté d'intégrer ces négociations dans un cadre plus large intégrant le libre-échange des services et des capitaux. Le deuxième round des négociations prévu fin juin, devrait en tout cas nous éclairer un peu plus sur la situation. La société civile donnera son avis Pour tous les ALE qu'il a signé jusqu'ici, le Maroc n'a jamais opéré d'étude d'impact concernant la libéralisation de ses échanges et s'est souvent contenté des études réalisées par ses partenaires. Pour l'Union européenne, il s'agit de la première étude d'impact concernant directement le Maroc. Une étude a déjà été élaborée concernant l'accord euro-méditerranéen de 2000, qui concernait tous les pays de la région. «Cette situation s'explique par l'absence d'une législation marocaine l'obligeant à réaliser des études d'impact», explique Marta Moya-Diaz, chef de la section commerciale de la Délégation de l'Union européenne auprès du Maroc. Cette évaluation concernant l'Impact commercial durable (TSIA), réalisé par l'agence Ecorys, a été lancée en janvier dernier et devrait livrer toutes ses conclusions en octobre. Le document qui vient d'être publié est un rapport intérimaire technique, qui vise l'interprétation des résultats globaux, quantitatifs et qualitatif, en particulier au niveau sectoriel. Ce dernier devrait notamment être discuté avec les représentants de la société civile marocaine, dans le cadre d'un atelier à Rabat, prévu pour le 27 juin.