face à un exécutif politique éclaté et un parlement décalé, on ne voit pas devant quelle instance représentative BAM pourrait être responsable. Ce défaut est déjà fort sérieux. La question peut paraître saugrenue. La première loi du pays n'a-t-elle pas réglé la question des pouvoirs institutionnels ? N'a-t-elle pas réservé aux organes de la gouvernance économique une place de choix dans les institutions du pays ? Oui, bien sûr. Mais la controverse suscitée par le mémorandum porté par Bank Al Maghrib, la CGEM et le GPBM à l'adresse du gouvernement laisse penser que la question du pouvoir de décision dans la régulation de la politique économique est plus complexe qu'il ne paraît. Au-delà de l'atonie de la conjoncture économique, de l'attentisme des acteurs et du climat préélectoral, les frictions actuelles entre le gouvernement et la banque centrale illustrent les difficultés de la coordination entre politique monétaire et politique budgétaire. Il faut reconnaître que ces dernières années, BAM n'a cessé de pointer du doigt avec récurrence et pertinence la série de problèmes qui handicapent la progression de notre économie, sa transformation structurelle, sa capacité à répondre aux défis sociaux et à se positionner de façon pérenne parmi les nations réellement émergentes. Sur un ton vif, tranchant, direct, le gouverneur exprimait ses inquiétudes sur les dysfonctionnements que donne à voir un pouvoir politique qui peine à conduire le paquet de réformes structurelles à son terme. Mais dans un contexte institutionnel débridé, la gestion de la politique économique a aussi montré qu'une bonne politique monétaire ne suffit pas à susciter la croissance. La baisse des taux d'intérêt directeurs était censée accroître la demande de crédit, relancer l'activité et assurer ainsi la transmission rapide à la sphère réelle des impulsions de la politique monétaire. Or, le système bancaire, «courroie de transmission» de la politique monétaire, ne réagissait pas suffisamment aux inflexions des autorités monétaires. Sélectif, il refuse de prêter à des PME ne présentant pas les garanties idéales de solvabilité. La morosité de la conjoncture venait confirmer l'idée qu'une régulation économique efficiente requiert un policy mix cohérent, c'est-à-dire une combinaison des politiques monétaire et budgétaire qui permette, non seulement d'utiliser conjointement, mais aussi de coordonner efficacement ces instruments, pour réaliser les objectifs finaux de régulation conjoncturelle: la croissance économique, la stabilité des prix, l'équilibre extérieur et l'emploi. Or, le passage d'une combinaison simple à une coordination efficace se heurte à la séparation des autorités responsables des politiques monétaire et budgétaire. La mission fondamentale de la politique monétaire est d'assurer un bas taux d'inflation. De ce fait, la Banque Centrale (BC)est moins sensible aux fluctuations cycliques qu'un gouvernement, à l'écoute de son opinion publique. Inversement, la BC voit toujours une dette publique élevée comme une source de difficultés car elle affecte les taux d'intérêt à long terme, ainsi que le taux de change, qui sont des canaux de transmission de la politique monétaire. Or, à court terme, il est naturel pour un gouvernement de se préoccuper de l'activité économique et de l'emploi, et de prêter peu d'importance à la dette à long terme. Enfin, la politique budgétaire assure de nombreuses fonctions micro-économiques (redistribution, services publics, actions structurelles, etc). Un gouvernement se trouve souvent confronté à divers arbitrages. Même si, en principe, il perçoit bien l'intérêt qu'il y aurait à coordonner sa politique budgétaire avec la politique monétaire, ses choix sont souvent complexes en partie motivés par des considérations politiques. En pratique, la coordination des politiques économiques soulève des questions techniques et politiques. Alors que la politique monétaire peut réagir en temps réel à un retournement de conjoncture, le délai de réaction de la politique budgétaire est lent, de quelques mois à un an. Il est généralement admis que l'essentiel de l'action de stabilisation conjoncturelle doit être mené au moyen d'une politique monétaire, la politique budgétaire n'intervenant qu'en appui lorsque les marges de manœuvre de la politique monétaire apparaissent épuisées. Par ailleurs, l'indépendance de la BC a profondément modifié la question de la coordination des politiques macro-économiques. Aujourd'hui, les relations entre gouvernement et BC se limitent à un échange d'informations, utile certes mais très en retrait d'une véritable coordination qui implique négociation et compromis. Mais, une BC ne peut travailler de manière isolée par rapport à l'Etat, tout particulièrement quand il y a un conflit entre la poursuite d'un objectif monétaire étroit et celle d'objectifs économiques plus vastes. Un dialogue régulier s'impose entre la BC et le pouvoir politique, de façon à réduire toute discordance éventuelle entre les deux politiques. Cette indépendance requiert, en contrepartie, un souci de responsabilité. L'indépendance est établie non seulement vis-à-vis du pouvoir politique (gouvernement, Parlement), mais aussi vis-à-vis des intérêts privés. Elle signifie un devoir de communication, d'explication des prises de décisions, des réponses aux questions posées par le Parlement, les journalistes, les représentants du secteur privé, la mise en place d'un dialogue entre les institutions politiques. De manière générale, les relations entre les deux autorités qui mènent la politique macroéconomique sont caractérisées par des conflits d'intérêts récurrents. Ces sources de conflits devraient être abordés sous l'angle de la coordination qui prend la forme de consultations fréquentes et ouvertes. Or, face à un exécutif politique éclaté et un parlement décalé, on ne voit pas devant quelle instance représentative BAM pourrait être responsable. Ce défaut est déjà fort sérieux. C'est ce qui fait que la BC devient un «exécutif politique». Après tout dans la politique monétaire le terme «politique» doit être pris au sérieux.