Le trafic du faux rend les acheteurs particuliers frileux. Les collectionneurs institutionnels n'achètent plus autant d'œuvres d'art qu'auparavant. La cote de certains artistes résiste, malgré la conjoncture. L'art a toujours été considéré comme une valeur refuge par les investisseurs passionnés. Un placement alternatif peu sensible aux périodes de crises et aux aléas des marchés financiers, et offrant la possibilité de diversifier son patrimoine tout en réalisant de belles plus-values. D'autant que les objets d'art sont aisément transmissibles et totalement exonérés d'impôts. A l'instar des marchés internationaux, le marché marocain regorge de potentialités grâce au génie de ses jeunes talents, à la renommée de ses signatures historiques et à l'existence d'une communauté de collectionneurs passionnés et avides d'opportunités. De plus, le monde des œuvres d'art est actuellement en pleine mutation, selon Hassan Sefrioui, propriétaire de la Galerie Shart. Le marché est en train de mûrir sur de l'art contemporain et la perception du public de l'art marocain ne cesse d'évoluer. «Aujourd'hui, l'œuvre d'art n'est plus perçue comme un simple objet de collection comme dans les années 50, 60 ou 70. Une grande révolution artistique est en marche et le public est demandeur d'événements artistiques et de nouveaux talents», confie Hicham Daoudi, fondateur de la Compagnie marocaine des œuvres et objets d'art (CMOOA), la première maison de vente aux enchères au Maroc. Toutefois, le marché de l'art au Maroc est moins dynamique qu'il y a quelques années, à cause de la persistance de quelques phénomènes qui noircissent son tableau, notamment le trafic du faux qui n'est certainement pas à grande échelle mais qui nuit gravement au secteur. Ainsi, quand un artiste décède, ses réalisations prennent de plus en plus de valeur à mesure qu'elles sont échangées, mais quand de fausses œuvres de l'artiste en question sont introduites sur le marché, celui-ci est dilué : l'offre augmente et par conséquent la valeur des toiles diminue. Ces agissements fallacieux accentuent en plus la frilosité des acheteurs qui remettent en question l'authenticité et la qualité des œuvres et se dirigent vers des «valeurs sûres». Hassan Sefrioui affirme qu'il est nécessaire de se documenter sur les travaux de l'artiste, sa démarche artistique, son parcours, la qualité des intervenants (galeries, hôtels de vente, commissaires d'expositions) avec lesquels il collabore. Pour Mehdi Hadj Khalifa, associé exécutif de la GVCC (voir encadré), le marché manque de transparence. «Un jeune cadre souhaitant investir dans une œuvre d'art n'a pas confiance car n'ayant pas d'assurance et de visibilité. Il ignore par exemple que s'il achète une œuvre authentique à 5 000 DH, il est capable de la revendre à 6 000 DH un an plus tard. Les jeunes artistes actuels décollent, mais la plupart sont sanctionnés par cette frilosité qui caractérise le marché. Les acheteurs et les amateurs d'art se font très rares et l'intérêt des Marocains ayant du cash s'oriente plus vers des investissements classiques comme l'immobilier», affirme-t-il. Le ralentissement du marché de l'art s'explique aussi par le fait que «les faiseurs du marché, à savoir les collectionneurs institutionnels, ne sont plus dans la course pour l'excellence artistique. Ils ont arrêté d'acheter depuis un certain temps et sont même dépassés par les clients privés et internationaux», assure Hicham Daoudi. Toutefois, certains acteurs économiques demeurent sensibles à l'enjeu artistique et soutiennent plusieurs manifestations et programmes ayant pour but la révélation et l'accompagnement de la jeune scène artistique marocaine ainsi que la professionnalisation du secteur de l'exposition muséal. Les signatures historiques ont toujours la cote En tout cas, malgré le manque de dynamisme qui caractérise le marché actuellement, «la cote des artistes contemporains est stable et de belles perspectives se présentent pour qui sait être patient», affirme Hassan Sefrioui. En effet, de 2003 à aujourd'hui, les artistes marocains ont vu la cote de leurs œuvres se multiplier entre 8 et 20. Hicham Daoudi nous livre l'exemple d'un tableau de Jilali Gharbaoui, vendu en septembre 2003 à 55 000 DH et adjugé, lors d'une vente aux enchères à la CMOOA, 10 ans plus tard, à 455 000 DH. Un autre tableau du même artiste, vendu à 520 000 DH en 2007 a été revendu en décembre 2015 à 1,25 MDH. Aussi, un tableau d'Ahmed Cherkaoui, estimé entre 1,2 et 1,4 MDH, a été finalement vendu en 2011 à 2,35 MDH. En 2014, une œuvre du même nom, du même type de peinture et du même artiste, mais de dimension différente a été achetée à 3,5 MDH avec un prix estimatif variant de 1,8 à 2,2 MDH. Dans le monde de l'art, la rareté crée certes de la valeur : lorsqu'un artiste décède, ses toiles deviennent de plus en plus précieuses. Néanmoins, à côté de ces artistes historiques, existe un ensemble de peintres vivants avec une dizaine d'années d'expérience à leurs actifs. On peut citer à titre d'exemple Mohamed Melehi dont une œuvre a été vendue en 2013 à 160000 DH (prix estimé entre 130000 et 150000 DH). Une année plus tard, une œuvre similaire a été adjugée à 450 000 DH (près de 2 fois la valeur de la première) alors qu'elle a été évaluée entre 200 000 et 250000 DH. En somme, le marché de l'art au Maroc offre toujours des opportunités intéressantes. Mais il demeure peu encadré, comme l'explique Mehdi Hadj Khalifa. A l'international, le marché de l'art est composé de 5 grands acteurs, à savoir l'artiste, le galeriste, le commissaire d'exposition, le marchand et la maison de vente aux enchères. Ainsi, quand l'artiste produit une œuvre avec son galeriste, l'objectif est que celle-ci soit visible dans des endroits stratégiques, à savoir les biennales, les musées et les collections privées. Car plus une œuvre est vue par les leaders d'opinion dans l'art (les grands collectionneurs et les commissaires d'exposition), plus elle prend de la valeur. C'est à ce moment-là qu'elle est mise en vente. Contrairement à des pays voisins, tels que l'Egypte ou la Tunisie, le Maroc n'a pas de relations avec les musées internationaux et n'a jamais eu de stratégie pour «une diplomatie d'art». «Dans l'histoire de l'art marocain, nous n'avons pas d'artistes au rayonnement international, mis à part Belkahia qui a réussi à dépasser les frontières pour arriver jusqu'au Moyen-Orient», affirme M. Hadj Khalifa. L'associé exécutif de la GVCC ajoute qu'à l'instar de certains pays asiatiques et anglo-saxons (exemple de la banque d'investissement Goldman Sachs qui a une branche dédiée à l'art), il faudrait former, non pas des commerciaux, mais des traders de l'art, capables de vendre l'art. Ce dernier est une source d'investissement à part entière, mais qui n'est pas encore réglementé ni encadré. [tabs][tab title ="Les autres facettes de l'art... "]Plusieurs jeunes artistes émergents se sont orientés vers d'autres types de créations comme la vidéo, les installations ou la photographie. Cette dernière a toujours existé au Maroc, «probablement en raison de la lumière très inspirante que nous avons dans notre pays», confie Hassan Sefrioui. Il y a des amateurs, voire des collectionneurs, très avertis qui suivent le travail des artistes photographes. Les techniques numériques ont bien évidemment fait avancer les choses car il y a un confort de création dans ce procédé. Cependant, le propriétaire de la Galerie Shart affirme qu'«on va néanmoins revenir petit à petit à des techniques plus classiques dites argentiques, c'est inéluctable». Sur un autre registre, il y a aussi le street art ou l'art urbain, développé sous une multitude de formes, dans des endroits publics ou dans la rue. «C'est un mouvement très intéressant mais il faut être vigilant à son entrée dans le circuit du marché de l'art parce que c'est d'abord un «art de rue» comme son nom l'indique. Demander à un street artist de s'exprimer sur des formats prédéfinis serait absurde, mais si le marché le réclame, il l'intégrera», ajoute M. Sefrioui.[/tab][/tabs] [tabs][tab title ="L'engagement de GVCC pour promouvoir les jeunes talents"]Fondée en 1946, GVCC est parmi les plus anciennes galeries au Maroc. Quand Anne Laurence Sowan -la directrice générale- a racheté la galerie, son objectif était de produire les artistes marocains et de réussir à les placer dans des endroits stratégiques à l'échelle internationale (biennale de Venise, entre autres) afin d'augmenter la cotation de leurs œuvres. Aujourd'hui, la galerie est un grand acteur du monde de l'art marocain et l'une des plus grandes bases de création de contenu sur les 5 dernières années au Maroc dans l'art contemporain. Sa mission est d'encourager et de promouvoir la nouvelle génération d'artistes (exemple de Said Afifi) qui ont moins de 35 ans et dont les œuvres se vendent à plus de 100000DH. Le créneau de la galerie est de se placer sur des artistes issus des beaux-arts de Tétouan, les financer pour produire des œuvres qualitatives, à l'échelle nationale ou internationale. Aussi, GVCC prête ses œuvres à des musées ou institutions et sensibilise des commissaires d'exposition pour faire connaître les travaux des artistes au niveau national et international.[/tab][/tabs]