La tarification nationale de référence, base de remboursement des soins, n'est toujours pas arrêtée. Les médecins du privé rejettent les propositions des gestionnaires. On risque de s'acheminer vers une AMO du pauvre… Les bénéficiaires potentiels de l'AMO (Assurance maladie obligatoire) sont inquiets. La raison : à quelques jours du démarrage de la procédure de dépôts et de remboursement des dossiers, tous les mécanismes ne sont pas encore mis en place. En effet, la pièce maîtresse du puzzle, la tarification nationale de référence (TNR), qui servira de base, rappelons-le, au remboursement des soins dispensés par les médecins et cliniques du secteur libéral, n'est toujours pas en place, alors que les assurés pourront, dès le 1er mars, déposer leurs dossiers de maladie. Les médecins privés proposent les tarifs de la CMIM A l'Agence nationale de l'assurance maladie (ANAM), on se veut rassurant. Un responsable indique qu'«il y a certes quelques difficultés à surmonter mais la solution sera trouvée incessamment et les délais seront respectés». L'agence précise que plusieurs réunions, avec les organes gestionnaires et les prestataires de soins, sont prévues tout au long de la semaine pour mettre en place la tarification nationale de référence. Les prestataires de soins, quant à eux, sont beaucoup moins optimistes et estiment que la situation est plutôt problématique. «Nous sommes loins de trouver un terrain d'entente car la proposition de tarifs qui nous a été faite ne nous convient pas», déplore-t-on dans le milieu de la médecine libérale. L'ANCP (Association nationale des cliniques privées) avait proposé, fin décembre 2005, l'application des tarifs mis en place en 2003 et actuellement appliqués par la CMIM (Caisse mutualiste interprofessionnelle marocaine). Le secteur libéral avait même suggéré de baisser ces tarifs de 10 à 15 %. Or, la proposition de tarification nationale de référence qui a été soumise par la CNSS, mardi 21 février, a déçu les prestataires de soins du secteur privé. Ils estiment qu'elle est bien en deçà de ce qu'il attendaient. «Nous ne voulons même plus discuter et il est sûr qu'aujourd'hui, en raison des tarifs proposés, le secteur privé ne participera pas à l'AMO !», s'indigne-t-on. La colère des médecins privés est due à la faiblesse de la tarification proposée. On retiendra par exemple que le remboursement d'une consultation chez un généraliste se fera sur la base de 60 DH par la CNSS et de 40 DH par la CNOPS. Pour une consultation chez un spécialiste, les tarifs retenus sont de 120 DH pour la CNSS et de 60 DH pour la CNOPS. Autre exemple à retenir : pour une hospitalisation en soins intensifs, le tarif retenu est de 1350 DH/j pour les trois premiers jours et 750 DH/j à partir du quatrième. Ce prix inclut tous les soins, les actes médicaux nécessaires, les visites des médecins, les soins infirmiers, les radiologies et les analyses biologiques nécessaires, les médicaments ainsi que les consommables. «Ce ne sont pas des tarifs raisonnables. Comment peut-on demander à un médecin de travailler avec des tarifs aussi bas et qui ne correspondent pas du tout au coût réel de la médecine actuelle ?», s'interroge Farouk Iraqui, président de l'ANCP. Aujourd'hui, une nuit en soins intensifs est facturée entre 2 500 et 3 000 DH par les cliniques. A l'ANCP, on tient à préciser qu'«il n'est pas question d'accepter que l'Amo vienne tirer les prix vers le bas. Les tarifs stagnent depuis plusieurs années et les médecins sont en crise. Si cette tarification de référence est retenue, ce sera la ruine du secteur libéral». Les pauvres seront-ils, de fait, privés de soins en clinique ? Pour la chirurgie, le K est fixé à 15 DH, en deçà de ce qui est actuellement appliqué (30 DH dans le cadre des conventions passées avec des assurances privées ou des mutuelles et 50 DH hors convention). Par ailleurs, la tarification de référence proposée fixe le prix d'une chambre en chirurgie ou en médecine à 250 DH/ jour alors qu'elle est actuellement facturée à 800 DH. Aujourd'hui, rien n'est encore arrêté puisque les tarifs proposés devront être discutés, mais le secteur libéral a déjà annoncé la couleur : les médecins et cliniques rejettent cette proposition et envisagent même de ne pas se mettre à table avec les organes gestionnaires et l'ANAM. Le Syndicat national des médecins du Maroc est clair. «Nous refuserons les conventions dans le cadre de l'AMO ! Car il n'est pas question pour nous de faire de la médecine dans ces conditions et surtout d'aggraver la situation de certains médecins», martèlent les responsables. Aujourd'hui, selon le syndicat, sur les 7 500 médecins en exercice, 1 200 sont poursuivis par les banques et risquent la prison. Il est à noter, bien sûr, qu'il s'agit de jeunes médecins nouvellement installés. Cette tarification de référence a donc découragé les prestataires de soins privés qui disent avoir «attendu et espéré la mise en place de l'AMO pour rien !». Les cliniques, si elles n'interviennent pas dans l'AMO, continueront à travailler avec les assureurs privés. L'exclusion des cliniques de l'AMO, si elle a lieu, aura des retombées sur les assurés qui risquent également de ne pas y trouver leur compte. Si les tarifs proposés sont retenus, l'assuré sera toujours appelé, malgré sa couverture par l'AMO, à faire un effort financier, alors qu'il supporte une cotisation mensuelle de 2 %. De plus, avec une tarification de référence qui ne tient pas compte des frais réellement engagés, les patients ne pourront pas se faire soigner dans les cliniques et iront de facto vers les hôpitaux ou encore les polycliniques de la CNSS. On est en droit de penser que l'on s'apprête à mettre en place une assurance maladie obligatoire pour les pauvres que l'on empêche d'aller se soigner dans les cliniques. Ce qui est regrettable lorsque l'on sait que 80 % du plateau technique existe dans les cliniques ! Le Maroc aura attendu, durant vingt longues années, une couverture médicale généralisée, dont la mise en place risque d'aboutir, in fine, à un système à deux vitesses. Les assurés couverts par l'AMO iront par la force des choses vers les hôpitaux alors que les assurés aujourd'hui couverts par une assurance privée ne s'aventureront certainement pas, vu le niveau de prise en charge proposé, à basculer vers le régime CNSS. Mais rien n'est encore joué puisque les négociations sont en cours et que le gouvernement peut encore se rattraper… Les non-dits quant à l'étendue de la couverture Les assurés pourront, dans quelques jours, déposer leurs dossiers de maladie pour se faire rembourser leurs dépenses de soins. La Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) a lancé une large campagne de communication pour les informer des diverses prestations prises en charge par son système. En dehors de l'enfant, jusqu'à l'âge de 12 ans, et de la femme enceinte, les soins ambulatoires ne sont pas couverts. Les assurés seront par contre pris en charge pour les 41 pathologies coûteuses et de longue durée prévues par la loi. Cependant, il importe de souligner que, pour ces maladies, la prise en charge n'est pas automatique. Un comité des organismes gestionnaires doit examiner le dossier du malade et valider la couverture médicale. Ainsi, même pour une hypertension ou un diabète, normalement pris en charge, le comité peut juger qu'il ne s'agit pas de cas sévères pouvant être couverts par l'AMO. Pourtant, les deux pathologies sont bel et bien lourdes et de longue durée. Donc, elles nécessitent des soins réguliers et coûteux. Ces détails, d'une grande importance, ne sont pas précisés par la communication officielle. Une faille qui risque de créer beaucoup de surprises chez les assurés…