Selon les chiffres de l'OMS, entre 2 et 3 personnes sur 100 sont atteintes de schizophrénie ou de bipolarité. Les patients souffrent de stigmatisation. La prise en charge des malades reste encore problématique. Le Centre psychiatrique de Casablanca, des structures privées et la société civile développent des programmes visant la réinsertion sociale des patients. «A 14 ans, mon fils a basculé dans un délire incessant et a commencé à entendre des voix, à avoir des visions, un discours décousu, un comportement désorganisé, une apathie... Le psychiatre prescrit une liste de neuroleptiques dont j'ignorais auparavant l'existence et il m'annonce le diagnostic : schizophrénie. Sur le champ je n'ai eu aucune réaction. Je n'ai rien compris. J'ai commencé par faire des recherches dans les dictionnaires pour comprendre. Là, j'étais effondrée. C'est comme si le ciel m'était tombé sur la tête. Tous les rêves que je traçais pour mon enfant se sont effacés brusquement», raconte Naïma Trachen Slamti, présidente de l'Association marocaine d'appui de lien et d'initiation des familles de personnes en souffrance psychique (AMALI). Et d'ajouter : «Perdue, désarmée, seule, isolée et désemparée, je voulais comprendre la psychiatrie. C'est quoi les pathologies psychiatriques ? Comment elles se soignent ? J'en parlais constamment avec mes amis et ma famille, dans l'espoir de trouver des réponses. Dans les salles d'attente et dans les services psychiatriques, je me suis rapprochée des familles. C'est à partir de là que l'idée de l'association a mûri dans ma tête ! Il fallait qu'on s'unisse pour sauver ces enfants». Le cas de Mme Trachen est loin d'être unique. Selon les statistiques de l'OMS, la schizophrénie touche 1% de la population mondiale alors qu'une à deux personnes sur cent sont bipolaires. La bipolarité fait partie des troubles d'humeur : «C'est un dérèglement du moral. Le moral est parfois trop bas mais de façon prolongée et parfois trop haut de façon prolongée. C'est la raison pour laquelle on dit qu'il y a deux pôles. L'organisation psychique de la personne, son raisonnement entre les épisodes est quasi normal et le fonctionnement ne pose pas de souci s'il y a une bonne prise en charge.» Pour ce qui est de la schizophrénie, «il peut y avoir des moments d'exacerbation où la personne va moins bien, elle peut être repliée ou peut avoir des propos délirants. Entre les épisodes, il reste souvent un handicap, des difficultés d'attention, de concentration, d'organisation». Parmi les symptômes de la schizophrénie : les idées délirantes, les hallucinations, l'absence d'expressions ou d'émotions, des problèmes de concentration, un discours abrégé dénué de détails, des mouvements répétitifs, des comportements insensés... La thérapie par l'art Vendredi 20 mai, Casablanca. Les praticiens de la psychiatrie ont organisé une journée sur les structures intermédiaires en psychiatrie. Médecins, acteurs associatifs, infirmiers et parents de malades se sont regroupés pour discuter de la prise en charge à domicile, des structures intermédiaires, de programmes d'éducation thérapeutique... Le fleuron de la médecine psychiatrique nationale était au rendez-vous. Ils venaient de Casablanca, mais également de Rabat, Tanger, Fès ou encore Marrakech. Les psychiatres présents lors de cette journée représentent dans une large majorité l'offre publique. C'est le cas du Centre psychiatrique universitaire de Casablanca (CPU) qui ne se limite pas à administrer des soins médicaux à ses patients. Depuis six ans, Boushra Benyezza, art thérapeute et psychologue, anime un atelier d'art thérapie, le premier au Maroc. Une autre manière d'apporter de l'aide aux patients. On retrouve dans ces ateliers d'écriture, de dessin et de théâtre, tous types de personnes souffrant de maladies mentales: schizophrènes, bipolaires, dépressifs, borderlines... «Le psychothérapeute va voir les patients de manière différente des autres. Dans ces ateliers, les patients trouvent un sens à leur vie. C'est une insertion qui passe par la partie fine de l'être humain, de sa sensibilité. En définitive, on est complémentaire aux autres traitements», explique Mme Benyezza. Deux des bénéficiaires, des schizophrènes, sont devenus artistes. D'autres se sont intégrés dans la vie professionnelle: mécanicien, moniteur de tennis... Le CPU a également initié un programme d'éducation thérapeutique pour les troubles bipolaires. «Il s'agit d'un programme décliné en plusieurs étapes de psychoéducation qui permet au patient de comprendre ce qu'est la maladie bipolaire, éviter et prévenir les récidives... Notre objectif, c'est de permettre au patient de devenir un véritable acteur de sa thérapie», souligne Pr Omar Battas, chef de service du CPU. L'idée du projet, c'est d'adopter, en plus de la pharmacothérapie, la psychoéducation. Ce qui permet de diminuer les taux de rechute ainsi que la durée des hospitalisations. «Les 17 séances de ce programme permettent au patient de passer de la prise de conscience de la maladie à la gestion du stress en passant par l'adhésion pharmacologique et la détection précoce des épisodes psychotiques», explique Dr Nadia Attouche, résidente en psychiatrie et responsable du programme au sein du CPU. Le secteur privé n'est pas en reste : «Nous développons les visites à domicile (VAD) dans le cadre de la mise en œuvre d'un projet individualisé avec un changement de paradigme dans les soins. Le VAD se doit de s'inscrire dans l'espace octroyé par le patient dans son intimité afin de lui permettre un retour à la normale. Il faut construire avec la famille du patient une véritable alliance», explique lors de son intervention Dr Hachem Tyal, psychiatre, psychothérapeute, psychanalyste et qui est à la tête de la clinique Villa des lilas à Casablanca qui a ouvert ses portes en 2011. Rachid Aït Oufkir est, lui, responsable des VAD au sein de cette même clinique, la seule structure privée en Afrique, spécialisée dans les maladies mentales, psychiques et d'addiction : «Le VAD est un programme d'accompagnement post-cure après l'hospitalisation. Les bénéficiaires de ce programme sont évalués au préalable par le médecin traitant et par le médecin directeur de la clinique. Le VAD est conçu dans le cadre d'un projet de vie. Deux objectifs sont assignés : l'évitement de l'hospitalisation et la réintégration sociale». Union des usagers de la psychiatrie La société civile s'est également organisée afin d'apporter de l'aide aux malades et à leurs familles. Dans ce registre, l'association AMALI est pionnière. Par ces actions, elle a réussi à briser le tabou sur la maladie mentale au Maroc. Mieux encore, elle a permis l'éclosion d'autres structures, à l'image de l'AMUP (Association marocaine des usagers de la psychiatrie). «Des patients bien stabilisés, lucides et conscients de leur maladie venaient souvent à l'association AMALI. Ils assistaient à toutes nos réunions et nos conférences, ils n'hésitaient pas à parler devant le public de leur vécu et de leur souffrance. Ils parlent de la stigmatisation, de la discrimination, du rejet social et de leurs droits. Et tout le monde les écoute», souligne Mme Trachen. Depuis 2013, l'association organise, entre autres, des ateliers de renforcement de l'estime de soi, de développement humain, un programme de formation pour la paix et des groupes de parole en plus de séances individuelles de psychothérapie. «Les ateliers rencontrent un grand succès auprès des patients. Il y a une grande amitié qui s'est tissée entre les bénéficiaires. Quand quelqu'un tombe malade, tout le monde est solidaire avec lui. On se porte volontaire pour lui tenir compagnie, le faire sortir, l'accompagner chez le médecin. Il y a une cohésion dans le groupe qui est très enrichissante pour tout le monde», explique Amal Moutrane, secrétaire générale de l'AMUP. Mme Moutrane insiste sur l'importance de l'approche multidisciplinaire afin de permettre aux malades une plus grande chance de réinsertion sociale. Une approche qui combine l'aspect biologique, psychologique et social. La grande majorité des personnes en souffrance psychique ainsi que leurs familles souffrent des carences du secteur de la santé mentale au Maroc. En plus de la stigmatisation sociale, les schizophrènes et les bipolaires ont beaucoup de difficultés à accéder aux soins, surtout au moment des crises. «Il y a un manque de professionnels de la santé mentale, des éducateurs spécialisés, des travailleurs sociaux, des psychoéducateurs. Quant aux structures intermédiaires, comme les appartements thérapeutiques et les foyers de malades spécialisés, elles sont tout simplement inexistantes», conclut M. Aït Oufkir.