· Les familles ont tendance à se diriger vers l'exorciste plutôt que le médecin · Un diagnostic tardif conduit à l'échec du traitement · Manque de structures d'aide à la réadaptation Le pauvre, il est possédé par un mauvais jnoun, il faut l'exorciser… Dans la plupart des cas, c'est ainsi que les maladies mentales sont interprétées,au Maroc, surtout lorsqu'il s'agit de schizophrénie. Une maladie «spectaculaire» car le patient est sujet à des hallucinations et en général «il entend des voix»… En fait à première vue, les schizophrènes sont des gens normaux. C'est en situation de crise qu'ils «se transforment». Hallucinations, délire… sont les symptômes aigus de la maladie. «Le délire peut engendrer un comportement gravissime allant jusqu'à la tuerie…», note Dr.Mouhcine Benyachou, psychiatre-sexologue. «Le problème du diagnostic tardif est à l'origine de l'échec des traitements», tient à préciser Naïma Trachen, présidente de l'association des parents et amis de personnes souffrant de troubles psychiques (Al Oumnia). Ce retard est dû au fait que les patients croient aux saints (Bouya Omar…). D'autres parents croient à l'existence des «Jnoun». Ce qui rend difficile le travail thérapeutique. Des familles cachent même leurs enfants comme si c'était une honte. «Nous ne cesserons jamais de le répéter, plus le dépistage est précoce et plus le traitement sera positif», martèle Trachen. Souvent mal comprise, la schizophrénie entraîne aussi un rejet social. C'est une maladie très présente au Maroc. L'OMS estime que cette pathologie touche près de 1% de la population mondiale. Le Royaume compte près de 300.000 schizophrènes dont 40 à 50.000 à Casablanca. Et ce, pour 2.000 lits en structures psychiatriques publiques dont uniquement 200 à Casablanca. Ces chiffres inquiètent. Aujourd'hui, les personnes schizophrènes et leurs parents sont montrés du doigt. Ils souffrent en silence. La cellule familiale éclate. Les causes de leurs difficultés sont d'origines diverses: législatives, professionnelles et culturelles. S'y ajoutent les difficultés d'accès aux soins, y compris au moment des crises. Regroupés au sein d'Al Oumnia, les parents de malades communiquent entre eux en vue de trouver des solutions à leur détresse. Justement, ils ont livré des témoignages lors d'une conférence de presse organisée le 30 septembre dernier. Les familles constituent un élément important de soutien aux personnes souffrant de troubles psychiques (schizophrénie, troubles bipolaires ou autres affections du même ordre). D'autant plus que la schizophrénie est une maladie qui touche le fonctionnement du cerveau. Ce sont les jeunes entre 15 et 25 ans qui sont susceptibles d'en être atteints. Les spécialistes qualifient cette pathologie de «démocratique», car elle touche toutes les catégories socioprofessionnelles. «La souffrance de la famille s'accentue par le manque de cliniques privées, l'hospitalisation et la prise en charge», regrette Dr Benyachou. Cependant, des études au niveau mondial ont démontré que les personnes atteintes de schizophrénie ont plutôt tendance à être vulnérables (le mythe de la violence). «Les patients ont besoin d'accompagnement et surtout de soutien familial. Heureusement que la société marocaine respecte le rapport familial», ajoute-t-il. L'intégration normale est possible. Ce qui éviterait que les malades tombent dans des manipulations (terrorisme, drogue…). Si l'on ne guérit pas aujourd'hui de la maladie, les traitements permettent aux malades de trouver une vie quasi normale. Néanmoins, la présidente déplore l'inexistence, au Maroc, de structures d'aide à la réadaptation socioprofessionnelle des patients schizophrènes. Des demandes de subventions ont été déposées par l'association auprès du secrétariat d'Etat chargé de la famille, de l'enfance et des personnes handicapées. «Nous sommes au stade des promesses ! », dit-elle. La schizophrénie est une maladie invalidante comme tout handicap très lourd. Les pays d'Europe octroient à chaque schizophrène une allocation mensuelle, en plus d'un accompagnement permanent dans des appartements thérapeutiques. Al Oumnia espère qu'un jour ces patients bénéficieront des mêmes statuts d'aide. Al Oumnia a décidé de lever le voile sur la maladie mentale, les conditions de vie et de prise en charge des malades et celles de leurs familles. Elle a lancé le débat public par un Livre Blanc sur la santé mentale au Maroc (2003). C'est dans le but de mener toutes actions susceptibles d'améliorer la qualité de vie des malades souffrant de troubles psychiques, que des familles se mobilisent depuis septembre 2001 (date de la création de l'association). Sa première priorité est de transformer le centre Nadi Al Oumnia en un lieu d'apprentissage, de développement, d'accompagnement et d'aide pour les personnes souffrant de troubles psychiques. Pas la prison, de grâce! "L'Etat doit inclure la santé mentale parmi les priorités de santé publique», souligne Lakbira Chatire, inspectrice d'orientation et secrétaire de l'association Al Oumnia. Les membres souhaitent que des lois soient promulguées pour respecter les droits des personnes souffrant de troubles psychiques et protéger leurs intérêts et ceux de leurs familles ainsi que ceux du public. Un autre axe stipule que les personnes souffrant de troubles psychiques doivent être protégées au titre de la loi sur la santé mentale. Elles ne doivent pas être mises en prison, mais dans des services spécialisés sécurisés et avoir accès à un représentant légal. De plus il faut défendre le malade afin qu'il soit jugé en référé. Les familles ne devraient être tenues pour responsables, ni pénalement, ni financièrement de ses actes, selon les recommandations d'Al Oumnia.