ceux qui ont beau jeu de vouer aux vilénies les femmes qui font commerce de leur corps devraient se souvenir que, dans la plupart des cas, outre la misère, ce sont à des hommes que ces femmes doivent d'avoir été acculées à faire ce métier. Que ce sont des hommes aussi –clients, proxénètes, pères, frères – qui en profitent directement Les détracteurs de Loubna Abidar ont dû applaudir des deux mains. Nominée pour le César de la meilleure actrice, l'interprète principale de Much Loved n'aura finalement pas décroché le prestigieux prix. Par contre, les pronostics se seront révélés justes en ce qui concerne le César du meilleur film, revenu à Fatima du réalisateur Pierre Fauchon. Ce film met aussi le Maroc en perspective, et à plus d'un titre. Par son réalisateur en premier lieu, qui a vu le jour dans le Royaume, par l'actrice principale, Soria Zeroual, une Marocaine qui joue à l'écran son propre rôle dans la vie, et enfin par l'histoire dont a été adapté le film, celle de Fatima El Ayoubi, une immigrée marocaine qui, comme tant d'autres mères, s'est échinée au travail pour que ses filles puissent connaître un meilleur destin que le sien. Le soir venu, cette femme de ménage couchait ses pensées sur du papier, noircissant des pages à travers lesquelles elle se racontait. Par un de ces petits miracles dont la vie a le secret, ce journal intime écrit en arabe par quelqu'un qui n'avait que peu fréquenté l'école a connu un sort inattendu. Traduit en français par une connaissance interpellée par la force du témoignage, il a intéressé un éditeur qui l'a publié sous le titre de Prière à la lune. Laquelle publication, du fait de l'intérêt qu'elle suscita, poussa son auteur à écrire un second récit : Enfin, je peux marcher seule. Touché par ces deux écrits qui réveillaient en lui des souvenirs d'enfance, Pierre Fauchon les a adaptés au cinéma pour réaliser Fatima. Et, pour interpréter le rôle principal, il a choisi Sofia Zeroual, femme de ménage dans la vie réelle comme l'héroïne. Le jeu tout en finesse et en émotion de Sofia lui a valu d'être, comme Loubna, nominée pour le César de la meilleure actrice. Du coup, deux Marocaines, pour la première fois aux Césars, se sont retrouvées en lice pour cette distinction prestigieuse. Au lieu de saluer la première, et le fait que, par l'excellence de leur interprétation, deux Marocaines inconnues rivalisent avec des monstres sacrés du cinéma français, les pourfendeurs de Loubna Abidar y ont été de leurs plumes assassines pour l'attaquer de nouveau. Mettant en parallèle, en prenant bien soin de mettre des guillemets à «actrice», celle qui joue et défend les prostituées et la mère courage qui, dans la vie comme à l'écran, fait des ménages pour entretenir sa famille, ils y ont été de leur tirade sur la dignité et dit leur préférence pour la femme de ménage. Dignité certes, l'héroïne de l'ombre qui travaille avec humilité au service d'autrui, quitte à réveiller la révolte de sa fille qui lui balance dans le film «je préfère voler que nettoyer la m.... des autres», en est un modèle. Mais en quoi son courage serait-il moindre de celui de la fille de joie jouée et défendue par l'actrice de Much Loved. En quoi leur combat pour vivre, ou plutôt survivre, serait-il différent, sachant la condition faite aux femmes dans notre pays ? Un pays qu'un récent classement en matière d'égalité hommes-femmes, effectué par le Forum économique mondial, vient de positionner à une honteuse 133e place sur 144, juste derrière l'Arabie Saoudite. Oui, juste derrière l'Arabie Saoudite ! Aussi, ceux qui ont beau jeu de vouer aux vilénies les femmes qui font commerce de leur corps devraient se souvenir que, dans la plupart des cas, outre la misère, ce sont à des hommes que ces femmes doivent d'avoir été acculées à faire ce métier. Que ce sont des hommes aussi –clients, proxénètes, pères, frères – qui en profitent directement. Ceci expliquant cela, on peut comprendre d'autant plus la rage et la haine qu'une Loubna Abidar déchaîne. Maintenant, il serait bon de réécouter la leçon de choses faite lors de ces César par l'humoriste Florence Foresti. En pleine cérémonie, l'humoriste est revenue sur l'agression subie par Loubna Abidar pour la dénoncer avec un humour dévastateur. «A ces gens-là, je voudrais rappeler un concept de maternelle, la fiction n'est pas la réalité. Ce que je vois sur l'écran me semble vrai, mais ce n'est pas vrai», a-t-elle ironisé, déchaînant l'hilarité de la salle. Sofia comme Loubna ont fait des prestations remarquables. Elles ont été distinguées pour cela. Maintenant, qu'elles s'appellent Fatima, Loubna ou autres, les femmes dans nos pays sont souvent des modèles de courage et d'abnégation. Et cela se salue bien bas.