Le seuil électoral divise les partis, seules trois formations ont recueilli plus de 10% des votes en 2011. Forts de leur mandat local, trois députés sur quatre ont de fortes chances de revenir au Parlement. Nous sommes déjà en pleins préparatifs des futures élections du 7 octobre. Les débats commencent et les premières requêtes, revendications, mais aussi contradictions et positionnements, émergent. En quelques jours le gouvernement et les partis politiques auront bouclé un premier round des négociations relatives au cadre électoral. D'abord les grands partis (ceux qui disposent d'un groupe parlementaire), ensuite les petits et enfin les formations non représentées au Parlement. Les deux parties ont passé presque toutes les questions électorales, ou du moins les plus pressantes, revues. Cela pour commencer. Ensuite, le chef du gouvernement enchaîne, lundi 22 février, avec les représentants des jeunesses partisanes. Cette fois pour aborder la question du maintien ou non de la liste nationale réservée aux jeunes. Le chef du gouvernement «ne s'est montré ni contre ni pour. Il a tout simplement renvoyé les représentants des jeunesses des huit premiers partis au Parlement et les chefs de partis dos à dos. Car l'initiative de sa suppression viendrait selon lui des huit formations politiques», confie certaines sources ayant assisté à la réunion. La question n'est pas encore tranchée. Cela va également par une autre question, beaucoup plus problématique, sur laquelle la classe politique est éternellement divisée. Il s'agit du seuil électoral. Trois clans se démarquent. Le premier veut maintenir le seuil de 6%, c'est le cas notamment du PJD, ou même plus (10%) comme le souhaite l'Istiqlal. Le PAM ne s'est pas encore fixé et le reste des partis (dont l'USFP qui naguère menait campagne pour un seuil de 10%) militent pour sa réduction à 3% à moins de l'abolir complètement comme le souhaite notamment l'UC ainsi que d'autres petites formations non représentées. Rappelons que le seuil électoral est, pour faire simple, le pourcentage de voix au-delà duquel les votes des électeurs permettent aux partis de participer au dépouillement ainsi qu'au partage des sièges et, en même temps, à une grande partie des aides publiques. Un million d'électeurs exclus Cela étant, avant de discuter du niveau du seuil électoral, il convient d'abord répondre à une question fondamentale : Quelle configuration voulons-nous pour la future Chambre des représentants ? La palette des choix n'est pas étendue. Soit on aura une Chambre dominée par trois ou quatre formations politiques avec une nette polarisation, un parti qui dirige la majorité et un autre qui conduit l'opposition, et un groupe de petites formations qui pourraient éventuellement soutenir l'un des deux camps ou même former un (ou plusieurs) groupement parlementaire. Soit on aura à assurer une plus grande représentativité de tous, ou du moins une grande partie de l'éventail des partis politiques (une trentaine au total). Là, on se retrouvera dans une configuration analogue à celle de la deuxième Chambre au lendemain des élections du 2 octobre dernier. Soit un grand nombre de formations politiques dont seules quelques-unes répondent aux critères requis pour la formation d'un groupe parlementaire (soit 20 membres dans la première Chambre). Bref, les arguments des uns sont tout aussi soutenables que ceux des autres. Ainsi, comme le soutient ce dirigeant du parti, «l'Istiqlal reste attaché à la nécessité de relever le seuil à 10% afin de mieux encadrer et de cibler l'action politique, surtout eu égard au fait que déjà huit partis au Parlement sont en compétition et que cela est, en soi, suffisant pour inciter l'Istiqlal à s'inscrire en faux contre la balkanisation et estimer que porter le seuil de la représentativité à 10% est l'un des moyens pour y parvenir». Or, les chiffres l'indiquent : aux élections de novembre 2011, seuls trois partis (le PJD, le PAM et l'Istiqlal) ont pu franchir le seuil de 10%. Ce qui fait dire à l'autre camp, celui opposé à un seuil relativement élevé, que ce facteur électoral est exclusif à plusieurs égards. Il ne reflète pas le choix réel des électeurs. D'abord «le seuil de 6% est contraire au principe constitutionnel de l'égalité des chances entre tous les partis politiques. Ensuite, ce seuil de 6% exclut d'office près d'un million d'électeurs dont le vote n'a pas été pris en compte. Et les sensibilités politiques qui reflètent la diversité politique mise en avant dans la Constitution restent en dehors des institutions. Et ce, sachant qu'elles ont accepté de jouer le jeu démocratique et participent aux élections», analyse Hassan Abiaba, politologue et dirigeant de l'UC. Ce qui suppose le risque, selon lui, de voir «les organisations partisanes que le seuil empêcherait de se faire représenter dans l'institution parlementaire se transformer en mouvements de contestation dans la rue». Bien plus, l'ensemble des voix écartées à cause du seuil dépasse même le nombre de voix remportées par le parti arrivé en tête des élections. Ainsi, pour reprendre, en substance, un communiqué du bureau politique de l'UC, le seuil élimine plus d'un million de voix et en comptabilisant les bulletins nuls (également plus d'un million de votes) on se retrouve avec à peine 5 millions d'électeurs qui façonnent la carte politique sur un électorat potentiel estimé à près de 20 millions d'électeurs (dont seulement 14 millions sont inscrits sur les listes électorales). En définitive, note ce dirigeant de l'UC, «cela altère le classement des partis politiques et la carte politique, ce qui est une opération non démocratique et non équitable et oblige les citoyens à composer avec des partis qu'ils n'auront pas choisis et, qui plus est, sont portés aux commandes par un nombre d'électeurs qui ne dépasse guère 40% des inscrits dans le meilleur des cas». Quant au PPS, sa position est restée constante à ce sujet. Il appelle à la mise en place d'un «seuil inclusif, permettant l'intégration de tous les courants politiques qui font preuve de sincérité au sein des institutions politiques». Bref, à moins d'arriver à un consensus sur un taux accepté par la majorité des partis, ce qui risque d'être impossible, le Conseil constitutionnel pourrait représenter une voie de sortie. «Que les lois électorales soient renvoyées devant le Conseil constitutionnel pour attester de leur conformité ou non à la Constitution», suggère ce dirigeant de l'UC. Le découpage, le mode de scrutin… Certes, explique cet analyste politique, avec un seuil bas, les petits partis peuvent accéder en nombre au Parlement. «Mais c'est surtout le PJD qui risque d'en pâtir. Dans le passé il arrivait à glaner un nombre appréciable de sièges rien que par le biais du plus fort reste. Ces sièges iront aux petits partis une fois le seuil ramené à 3% ou moins». En attendant, le seuil électoral, bien que pouvant influer fortement sur la carte électorale post-législatives du 7 octobre, n'est pas le seul facteur déterminant de ces élections. D'autres entrent en jeu et agissent à différents degrés sur leurs résultats. Le découpage électoral est également un facteur déterminant. On le sait, les grandes circonscriptions favorisent les grands partis, les petites permettent une plus grande intégration des petites formations politiques. Les grands principes du découpage sont certes fixés par une loi votée par le Parlement, mais sur le plan technique, c'est au ministère de l'intérieur que revient la délimitation des circonscriptions électorales. Le mode de scrutin est également un facteur clé. Le Maroc a opté depuis 2002 pour le scrutin de liste proportionnel au plus fort reste. Des facteurs beaucoup moins techniques peuvent également déterminer l'issue des futures élections législatives selon une analyse d'Abdelmounaïm Lazâar, chercheur en sciences politiques. La structure des intermédiaires que sont les élus locaux en est une. Les résultats des élections locales donnent habituellement une idée de ce que sera la carte politique après les élections législatives. C'est ce qui fait penser aujourd'hui au PJD, qui réussit à s'imposer dans les grandes villes, qu'il raflera, par conséquent, les prochaines législatives. Une simple lecture de la carte politique issue des élections locales fait ressortir trois principales formations politiques qui ont pu franchir le seuil des 5 000 élus locaux (soit autant d'intermédiaires répartis sur tout le territoire national). Le PAM, première force à l'échelle locale, dispose ainsi de 6 662 conseillers locaux, l'Istiqlal suit avec 5 085 conseillers et le PJD ferme la marche avec 5 018 conseillers. Le RNI arrivé quatrième est à (seulement) 4 416 sièges. Maire, conseiller régional et futur député En même temps, certaines formations politiques ont complètement perdu certaines bases électorales où elles ne disposent d'aucun relais local. C'est le cas de l'USFP, du MP et de l'UC qui ont perdu complètement nombre de leurs fiefs électoraux. C'est également le cas du PPS qui n'était déjà pas très présent à l'échelle locale. Privés de leurs anciens fiefs, ils perdent également de leur pouvoir de mobilisation à l'échelle locale. Le mandat multiple est également un élément déterminant. C'est même devenu un sport national chez nos élus. Les parlementaires qui sont à la fois députés, présidents de commune, membres du Conseil régional ou provincial… sont légion. Au contraire, au moment où l'on s'attendait à une régression de ce phénomène avec l'instauration, par la loi, d'un nombre appréciable d'incompatibilité, il n'a fait que s'accentuer. A en juger par les chiffres, avant les élections du 4 septembre, le nombre des députés qui cumulent au moins deux mandats électifs était de 67,84%, il est passé à 73,67% au lendemain de ces élections locales et régionales. En d'autres termes, au moins les deux tiers des membres de la Chambre ont de fortes chances de rempiler pour un nouveau mandat. A ce rythme, et en excluant la liste nationale dont les membres ne peuvent pas postuler à un nouveau mandat en exploitant cette procédure, il y a de maigres chances d'arriver à un renouvellement des élites législatives à l'issue des prochaines élections. Les élus sortants qui ont pris le soin de se faire élire à l'échelle locale disposent déjà d'un réservoir confortable d'électeurs, soit une longueur d'avance sur les candidats qui n'ont pas de mandat local. Autre élément clé des élections : le taux de participation. C'est indéniable, le taux de participation est de loin le moyen le plus rationnel de déterminer le degré de satisfaction des citoyens électeurs du jeu politique et de ses acteurs, principalement les partis. En plus de déterminer le degré de confiance dans le jeu politique, la crédibilité du processus électoral, la force des institutions qui en seront issues, ce facteur influe également sur la carte politique post-électorale. C'est un fait, le PJD dispose d'une base électorale stable à l'échelle nationale. Ces électeurs formés de militants, de leurs familles, leur entourage, les membres du MUR et de la multitude d'associations qui gravitent autour… forment un réservoir électoral stable pour le parti. Ainsi, lorsque le taux de participation est faible, la proportion des voix recueillies par le PJD est importante. Cette proportion se dilue lorsque le taux de participation est élevé. Nous avons pu d'ailleurs constater cette réalité lors des élections partielles organisées en 2014 et 2015. Et le vote-sanction ? A Sidi Ifni, le candidat du PAM est arrivé en tête avec environ 8 000 voix, celui du PJD est second avec seulement 4000 voix. Quelques mois plus tard, et après plusieurs annulations, à Moulay Yâcoub, l'Istiqlal a remporté le siège à pourvoir avec plus de 7 000 voix d'écart, face au PJD. Plus récemment, les élections du 4 septembre ont montré que lorsque, dans les grandes villes, le taux de participation est faible, c'est le PJD qui a remporté le plus grand nombre de sièges. C'est le cas de Tanger (42%), Fès (43%), Rabat (42%) ou encore Salé (39%) et là où le taux de participation est le plus élevé (dans les provinces sahariennes par exemple) le PJD est quasiment absent sur la carte électorale locale issue de ces élections. La personnalité des chefs de partis politiques joue également un rôle important dans leur exploit électoral. Abdelilah Benkirane a pu le démontrer, la réussite de son parti à l'échelle locale, il la doit en grande partie à la campagne menée par son patron qui n'a pas hésité à sillonner le pays à bord d'un avion privé mis à sa disposition par sa formation. Des meetings monstres, organisés dans certaines communes, ont permis à son parti d'y asseoir sa mainmise. Ce n'est pas pour rien que le PAM a tenu à porter aux commandes Ilyas El Omari à l'occasion de son dernier congrès. Ce n'est pas non plus pour rien que l'Istiqlal a décidé de mettre de côté ses dissensions internes pour permettre à Hamid Chabat de mener la barque au moins jusqu'à la fin des élections. La raison pour laquelle Driss Lachgar reste à la tête du parti n'est pas non plus complètement étrangère à ces calculs électoraux. Le chef charismatique, ténor politique et tribun avéré, est une chance pour les partis en ces moments où le programme électoral, l'expérience le montre, a de faibles chances d'être mis en application au lendemain des élections. Encore une fois, le PJD nous en donne l'exemple. A quelques mois de la fin du mandat du gouvernement qu'il dirige, la plupart de ses promesses électorales, surtout les plus importantes, sont restées lettre morte. Les performances gouvernementales des partis, elles, n'influent pas beaucoup dans leur score électoral. Au contraire, les électeurs ont tendance à auréoler les partis qui commandaient aux destinées du gouvernement. C'était le cas pour l'USFP en 2002, lors des élections qui ont suivi la première expérience d'alternance. L'Istiqlal qui a mené le gouvernement entre 2007 et 2011 n'a pas non plus été sanctionné puisqu'il a réalisé une performance appréciable aux élections de novembre 2011. Il est arrivé deuxième après le PJD. Comme quoi le vote-sanction ne fait pas encore partie, en tout cas pour le moment, des mœurs de nos électeurs. [tabs][tab title ="La recette de l'USFP pour des élections irréprochables"]L'USFP est l'un des partis qui militent pour une suppression pure et simple du seuil électoral. Cela parce qu'il « porte atteinte à la pluralité et permet de créer une polarité politique artificielle ». Le parti est d'ailleurs le premier à aborder la question de réforme du cadre juridique des élections, soit une trentaine de textes entre lois, décrets et autres textes réglementaires. Il exige, ainsi, la révision totale de ce système électoral. Et ce, à commencer par les listes électorales, le découpage, la supervision et la garantie de la transparence des élections et l'interdiction de l'utilisation de l'argent sale. Il exige, en outre, dans un mémorandum soumis aux partis politiques et au gouvernement, l'empêchement de toute exploitation des réseaux de bienfaisance dans les élections et l'instrumentalisation opportuniste des mosquées et des fêtes religieuses à des fins électoralistes. L'USFP prône également l'intégration des MRE dans la future Chambre des représentants et à l'adoption de formules adéquates à même d'assurer la parité homme-femme, y compris en imposant une norme interdisant la succession des noms du même genre sur les listes en lice. L'une des revendications importantes de ce mémorandum concerne la création d'une instance nationale chargée, aux côtés du gouvernement, de superviser les élections depuis l'inscription sur les listes électorales jusqu'à l'annonce des résultats. En plus de la refonte des listes électorales, sur la base des registres de la DGSN, le parti a aussi appelé à la révision du découpage électoral pour que le scrutin de liste ait un sens, notamment dans les grandes villes. Quant à la lutte contre la corruption électorale, l'USFP propose que la Cour des comptes passe au crible les dépenses des candidats durant la campagne électorale. Et au cas où des dépassements sont constatés, elle devra en faire rapport au Conseil constitutionnel.[/tab][/tabs]