on assiste aujourd'hui à un retour en arrière dans ce domaine; la mondialisation ayant fait son œuvre, les avocats d'affaires les plus prisés sont ceux qui maîtrisent parfaitement, outre l'arabe, le français, l'anglais ou l'espagnol. celle de Molière On a relevé que la presse s'est fait l'écho ces dernières semaines d'un phénomène nouveau : la fermeture de plusieurs cabinets d'avocats ou d'études notariales. Certes, cela arrive dans toutes les professions, mais dans le cas des métiers liés au droit, c'est l'ampleur et le nombre de ces fermetures qui interpellent. Les affaires juridiques sont complexes, donc leur traitement est long, lent et compliqué. Ce que ne comprennent pas les citoyens, qui accusent souvent leurs avocats de laxisme devant les nombreux reports qui jalonnent la vie d'un dossier. Et partant de ce constat, beaucoup de citoyens préfèrent régler leurs affaires eux-mêmes, plutôt que de recourir aux services d'un professionnel. Ensuite, le barème de rémunération est flou, ce qui autorise certaines dérives. Certes, c'est le jeu de la libre concurrence et chacun peut choisir son avocat en fonction de ses moyens, mais c'est aussi le plus grand nombre de contentieux qui atterrit sur le bureau du bâtonnier. Enfin, il y a la répartition des contentieux, qui se fait de manière très inégale, confirmant une pensée commune: 10% des avocats casablancais traitent à peu près 80% des affaires. Du coup, alors que certains cabinets fonctionnent sans discontinuer, d'autres sont souvent obligés de se tourner les pouces, faute d'activités suffisantes. Un autre phénomène accentue ce malaise ambiant : bien des Administrations publiques, qui traitent de gros volumes de contentieux, sont, de par la loi, exonérées d'avocats. Ainsi, lors des audiences devant le tribunal administratif, où se traite le contentieux touchant à l'Etat (fiscalité, expropriation, autorisations diverses), il est fréquent de voir un fonctionnaire, détaché de telle ou telle administration, qui fait office d'avocat pour le compte de son service public. Cela diminue encore plus le travail des juristes, dont l'un des rôles est de représenter son client. Tout ceci favorise le déclin des professions juridiques, qui souffrent également de l'existence de certains textes de loi. Ainsi, il y a quelques années, dans le cadre de la politique de marocanisation, tout le système judiciaire fut arabisé. De nombreux juges, avocats ou experts en tous genres, ne maîtrisant pas tout à fait la langue arabe, durent changer de profession, ce qui déstabilisa (jusqu'à nos jours) l'ensemble du système. Car à l'époque où fut prise cette décision, éminemment politique, il existait encore plusieurs ressortissants français qui exerçaient au Maroc, depuis des années, mais aussi espagnols, italiens ou autres, restés au Maroc, qu'ils considéraient comme leur réelle patrie. Certains étaient magistrats, d'autres avocats, notaires ou encore huissiers. Leur présence au Maroc, et le fait qu'ils puissent exercer des professions juridiques, constituaient, en fait, un bienfait pour le Maroc, car cela constituait une ouverture sur les avancées du droit dans d'autres pays, et servait à consolider notre propre système judiciaire, encore balbutiant lors de l'accession à l'Indépendance. On assista alors à une vague de départs en masse, ces ressortissants européens considérant qu'ils ne pouvaient plus pratiquer leur profession dans ces conditions. D'ailleurs, on assiste aujourd'hui à un retour en arrière dans ce domaine; la mondialisation ayant fait son œuvre, les avocats d'affaires les plus prisés sont ceux qui maîtrisent parfaitement, outre l'arabe, le français, l'anglais ou l'espagnol. Car si devant les tribunaux c'est la langue arabe qui est de mise, sitôt sortis de l'enceinte du Palais de justice, les hommes d'affaires marocains renouent avec leur «langue maternelle», c'est-à-dire celle de Molière. De plus, les experts sollicités par les juges sont en majorité francophones, ce qui crée moult difficultés. Récemment, lors d'une expertise, les parties s'exprimaient en français, à la demande d'ailleurs de l'expert lui-même, ce qui ne fut pas du goût d'un avocat présent, qui se fit un point d'honneur d'interrompre les débats et l'expertise, arguant haut et fort que la langue officielle du pays est l'arabe, et qu'une expertise ne saurait avoir lieu dans «la langue des colons». Attitude surannée, dépassée et archaïque, mais malheureusement courante, la plupart des juristes marocains étant issus d'universités marocaines, d'où le français fut longtemps banni, avant de se voir peu à peu toléré de nouveau. Ce qui cause des troubles certains, mais comiques : comme le cas de ce juge, qui, devant rendre un jugement sous huitaine, hésita pendant trois semaines, avant de rédiger son verdict. Parmi les nombreux documents versés au dossier se trouvait un rapport de police mentionnant «un semi-remorque avec attelage à vérins hydrauliques…», expression que le magistrat ne connaissait pas, exigeant de voir dans son bureau ce matériel qui avait tué une personne. Il a fallu lui expliquer de quel engin il s'agissait, que ça pesait un peu lourd et que son bureau serait trop exigu pour le contenir ! C'est pourquoi, de nos jours, tout le monde s'accorde à souhaiter une réforme globale du système judiciaire, concernant aussi bien les langues autorisées, que le corpus législatif lui-même.