Elle devrait être austère, elle est plutôt joyeuse et décontractée: promenade à travers les tribunaux de la ville ! Et on commence par le tribunal social, sis à El Oulfa; c'est déjà tout un voyage pour y arriver, et une fois sur place apparaît immédiatement la grande légèreté de certains décideurs. Ce qui suit est impensable ailleurs, tout simplement par sens pratique. Un tribunal est un lieu public, qui comme son nom l'indique va en recevoir du public. C'est aussi une Administration de premier plan : donc tous ces fonctionnaires, justiciables, experts, avocats, huissiers ou autres, vont bien arriver au tribunal en voiture ; qu'il va bien falloir garer ; mais où ? Il y a bien un petit parking, réservé aux fonctionnaires, disons une trentaine de places… Pour 200 ou 300 fonctionnaires, tout est question de timing : les premiers arrivés n'auront pas de problème ; les autres n'auront qu'à se débrouiller... Tout comme tous ceux qui ont quelque chose à régler au tribunal. Question subsidiaire: Comment peut-on, dans les années 2000, construire un bâtiment de service public, sans penser à y prévoir un parking ? Pour l'instant, tout le monde laisse sa voiture en face du tribunal, dans une espèce de terrain vague poussiéreux l'été, boueux l'hiver. Mais pénétrons à l'intérieur, et nous serons assaillis de marbres divers, fontaines aux jets d'eaux harmonieux, grands espaces, et belles salles d'audience...comportant des climatiseurs situés à cinq mètres de hauteur : pour peu que l'on ait égaré la télécommande... Ce tribunal traite donc des affaires sociales (licenciement, accidents du travail), mais aussi des dossiers de statut personnel. Ce genre d'affaires est assez sensible, aussi bien pour le monde du travail que pour ceux qui veulent divorcer. On devrait donc s'attendre à de la rigueur, du sérieux et de la précision, mais non. On pénètre dans le bureau d'un greffier...plus facilement que dans un moulin, on remarque immédiatement l'absence du fonctionnaire en charge du service, mais son collègue, lui, est bien là, qui se fait un café sur un minuscule réchaud placé entre deux piles de dossiers. Mais il est sympa, et il s'adresse à l'avocat venu consulter un dossier: «Le placard est ouvert, Maître ; cherchez votre dossier et déposez à l'intérieur le document que vous apportez». C'est gentil, certes, mais très peu professionnel : et c'est ainsi que des pièces importantes s'égarent, changent de dossier ou finissent oubliés sous une pile de chemises de toutes les couleurs. Ce qui donne lieu à des scènes cocasses, lors des audiences. Le président : «Vous deviez produire des documents, Maître, où sont-ils?». L'avocat : «A l'intérieur du dossier, votre honneur». Réponse : «Il n'y a rien, aucune trace». Et l'avocat de produire une lettre, mentionnant les documents en question, stipulant qu'ils ont bien été déposés au greffe, un cachet bleu de l'Administration en faisant foi. Le magistrat interroge son greffier, qui rétorque piteusement qu'il vient de rentrer de congé, et qu'il n'est pas au courant : dossier renvoyé aux calendes grecques, le temps de trouver ces satanés documents. Ensuite, faisons un petit crochet par le tribunal administratif, endroit fantomatique, à l'intérieur duquel on entendrait voler une mouche. Le contentieux qui y est traité n'est pas énorme, alors les fonctionnaires se la coulent douce. On remarque dans un bureau, au-dessus d'une pile de dossiers, un plateau, portant reliquat d'un récent petit-déjeuner ; les magistrats qui s'ennuient ferme, quittent les lieux très tôt, c'est-à-dire, arrivée au tribunal vers 9h30...et départ vers 10h30 ; le président est sympathique, ouvert et tolérant, alors les fonctionnaires en profitent. On a dit «Président»? C'est l'une des particularités de Casablanca, qui, au contraire des autres villes, compte plusieurs présidents de tribunaux, et ce, du fait de la curieuse répartition des sites. Ce qui donne un président à Oulfa, un autre à Casa-Anfa pour le tribunal civil, un troisième à Ain-Sebaâ pour le pôle pénal, auquel s'ajoute le poste de président du tribunal commercial. A eux seuls, ces magistrats de la ville pourraient former une amicale des présidents. Et donc, la vie suit tranquillement son cours, à l'intérieur de ces austères bâtiments, mais d'une façon plutôt sympathique et décontractée !