Dans la vie courante, certains fonctionnaires n'arrivent qu'à 10 h, voire plus tard ; les magistrats qui n'ont pas d'audience à assurer font (parfois) un rapide passage sur les lieux avant de disparaître complètement ; les greffiers qui sortent d'audience épuisés se précipitent au café le plus proche afin de calmer leurs nerfs. Dans le cadre de la future réforme de la Justice, les responsables concernés devraient se pencher sur un problème plus que récurrent. Il s'agit de l'absentéisme des fonctionnaires des tribunaux et de leur manque de conscience professionnelle. En principe, un tribunal est généralement considéré comme un service public d'importance, ayant aussi une fonction sociale non négligeable, qui est de régler les conflits et litiges entre citoyens afin de garantir une certaine paix sociale. Ça, c'est le principe de base, qui s'accorde avec un autre concept, la continuité du service public. Mais, en pratique, il en va tout autrement. Les tribunaux marocains ont adopté le mode de l'horaire continu, soit de 8 h à 16 h. Mais comment savoir si tous les fonctionnaires sont bien à leurs postes, au plus tard à 8h30 ? Et comment s'assurer qu'ils y sont restés jusqu'à 16 h ? Un rapide regard sur les bâtiments abritant les tribunaux de Casablanca suffit pour comprendre l'étendue du problème. Le tribunal de première instance, magnifique bâtiment de l'époque coloniale, bâti en face de la wilaya, ne comporte pas moins de trois entrées (quatre si l'on compte l'entrée du tribunal social), disséminées aux quatre coins cardinaux du bâtiment. Il comporte trois étages immenses abritant plusieurs dizaines de fonctionnaires répartis entre une bonne centaine de bureaux. Le bureau du président est situé au centre du tribunal avec vue sur une des entrées (officiellement fermée). Ainsi, dans la vie courante, certains fonctionnaires n'arrivent qu'à 10 h, voire plus tard ; les magistrats qui n'ont pas d'audience à assurer font (parfois) un rapide passage sur les lieux avant de disparaître complètement ; les greffiers qui sortent d'audience épuisés (les pauvres, l'audience a parfois duré trente minutes) se précipitent au café le plus proche afin de calmer leurs nerfs. Tout ceci est anormal, mais ce n'est pas tout. Donc l'horaire normal est de 8 h à 16 h, sauf que ces braves fonctionnaires (tous grades confondus, secrétaires, greffiers, magistrats) doivent se sustenter, sous peine de défaillir : la tâche est tellement rude et pénible dans un tribunal ! Un écriteau annonce donc que les réceptions des justiciables et juristes ont lieu chaque jour, de 9 h à… 13 h. Et de fait, le tribunal arrête concrètement de fonctionner à partir de 13 h, le caissier ne reçoit plus d'argent : il a fermé sa caisse pour la journée, en barrant d'un grand trait toute la page qui restait ; donc pas question de déposer un mémoire, une requête, ou même de l'argent : Fermé. Dans les étages supérieurs, ce n'est pas mieux : les bureaux sont fermés à clé… et sur une enfilade de 10 bureaux, un seul demeure ouvert, occupé par une fonctionnaire (certainement tirée au sort) dont le rôle est d'informer les visiteurs que les fonctionnaires sont partis déjeuner, mais reviendront après, tout en s'assurant que personne ne pénètre dans un bureau laissé par inadvertance ouvert. En fait, presque personne ne revient à 14h30, la journée de travail est quasiment finie ! Et le président, diriez-vous, pourquoi ne contrôle-t-il pas ses fonctionnaires ? Parce que c'est tout simplement mission impossible : le bâtiment est immense, les recoins nombreux, les bureaux se comptent par dizaines, répartis sur plusieurs niveaux, et il n'a pas le don d'ubiquité : s'il ne trouve pas un fonctionnaire à sa place, il est facile de le berner, en assurant que ledit fonctionnaire est bien présent (la preuve, sa veste est là), mais qu'il s'est rendu dans un autre service : allez vérifiez ça ! A la Cour d'appel, boulevard des F.A.R, la situation n'est guère meilleure : neuf étages, des dizaines de bureaux, autant de fonctionnaires, une entrée officielle et monumentale, mais aussi un accès par le parking, nettement plus discret ; les fonctionnaires en profitent pour circuler à leurs aises, aux horaires qui leur conviennent. Je répète que tout ceci n'est pas normal : les bureaux devraient être occupés de 8 h à 16 h ; après l'audience, les greffiers doivent regagner leurs bureaux pour recevoir justiciables ou avocats venus régler leurs affaires ; les magistrats qui n'ont pas d'audience doivent être présents à leurs bureaux, soit à la disposition des citoyens ou des juristes, pour étudier les dossiers en cours ; la pause-déjeuner doit être strictement encadrée et limitée dans le temps, par exemple de 13h30 à 14h sous peine de sanctions. La solution la plus simple serait bien d'installer des terminaux de pointage électronique qui contrôleraient les horaires de chaque entrée et sortie. Ça aurait le mérite de mieux garantir la continuité du service public… mais les différents syndicats ne veulent pas en entendre parler. Pourquoi ? Ça dérange qui ?