Chacune renforce ses assises pour se prémunir contre un éventuel «raid». Comme c'est le cas depuis l'entrée en vigueur de la réforme de la Bourse de Casablanca, les sociétés cotées, tenues par les délais légaux, ont fini de publier leurs comptes du premier semestre 2003. Les résultats les plus suivis sont assurément ceux des banques (SGMB et BCP publient leurs résultats sans y être tenues) qui représentent une part considérable de la capitalisation boursière. Et pour cause, ce secteur est en train de connaître un grand chambardement. Fusion, mainmise supposée ou réelle des grands groupes financiers étrangers sur les établissements locaux et liquidation des canards boiteux du public sont sur toutes les lèvres. Il est clair que cette évolution est inéluctable. Pour une économie forte, il faut un secteur financier puissant, alors force est de constater qu'il n'en est pas encore le cas. En consultant le classement 2003 (sur la base des comptes 2002) effectué par notre confrère Ecofinance, on se rend bien compte que les plus grandes banques privées marocaines, du moins pour ce qui concerne le total bilan, font figure de nain devant nombre de leurs consœurs sud-africaines ou égyptiennes. Que dire alors si on les compare aux européennes ? Si l'efficacité était au rendez-vous, il n'y aurait rien à dire. Mais beaucoup de celles qui forment l'existant ont montré leur incapacité à passer d'une économie de rente marquée par des marges d'intermédiation très élevées à un environnement plus concurrentiel où il faut faire preuve d'ingéniosité pour grappiller quelques points de productivité. Rien qu'à voir le niveau record des créances en souffrance (plus de 30 milliards de DH pour tout le secteur, banques publiques comprises), on se rend compte que la sévérité des règles prudentielles que l'on invoque à volonté n'explique pas tout et qu'il faudra un véritable ménage. Prudence chez les banques «françaises» Pour les observateurs, il y a beaucoup trop de banques. La dispersion engendre une perte de valeur et rend inefficace toute réforme censée améliorer le système de financement de l'économie qui, il faut le reconnaître, n'offre pas suffisamment d'opportunités d'investissement. Ce constat n'est pas nouveau, loin de là. Il y a quelques années, un grand patron de banque disait à qui voulait l'entendre, et contrairement à certains de ses pairs qui pensaient qu'il y avait à «manger pour tout le monde», que le secteur ne tolérerait pas plus d'une dizaine d'établissements. L'histoire lui a donné raison. Il est même possible d'avancer, sans risque de se tromper, qu'on ira en dessous de cette barre. Les petits établissements étrangers qui n'avaient plus leur raison d'être ont mis la clé sous le paillasson. Wafabank a fini de digérer les espagnoles Uniban et Argentaria, qui n'a jamais pu décoller. ABN Bank s'est offerte à la BMCI. La SMDC, coulée par des engagements hasardeux dans la pêche, est définitivement immergée dans la BCP qui s'apprête à entrer en Bourse. Bref la restructuration est bel et bien entamée. Mais elle n'est pas près de s'achever. Le gouverneur de Bank Al Maghrib est franchement favorable aux banques de grande taille et l'a fait savoir. Certains patrons de grandes banques privées comme khalid Oudghiri de la BCM (voir en page 19) et Abdelhak Bennani de Wafabank, qui n'entend en aucun cas lâcher le Crédit du Maroc, ne disent pas le contraire. Dans ce contexte de grandes manœuvres, c'est à la lumière des fondamentaux publiés par les établissements, notamment, que l'on peut distinguer les prédateurs des proies faciles ou qui veulent se faire belle dans l'attente d'un mariage de rêve. Dans un échantillon composé de six banques (BCM, Crédit du Maroc, BMCE Bank, Wafabank, BMCI et SGMB), les créances à la clientèle et les dépôts n'ont progressé que de 4,4 % par rapport au premier semestre 2002. L'activité étant faible, le PNB (produit net bancaire) n'a enregistré qu'une hausse de 6,9 % entre les deux périodes. Ces évolutions sont naturellement contrastées. Certaines banques comme la BCM reprennent timidement leurs esprits après un véritable traitement de choc. Chez cette banque, les créances sur la clientèle (activité agrégée) progressent de 2,4 % (l'activité Maroc a progressé de 5,6 %) contre 4,7 % pour l'échantillon. Toutefois, en arrière-plan de cette évolution mitigée, les crédits immobiliers explosent de 43 % (contre à peine 27 % pour l'échantillon), ce qui démontre que la souplesse et l'agressivité commerciale déployée sur ce segment ont donné de bons résultats.Les dépôts de la clientèle, eux, ont grimpé de 5,2 % contre 4,4 % pour l'échantillon). Source d'une grande déception, le PNB affiche une quasi-stagnation (+1,5 % contre +7 % pour l'échantillon). Les frais généraux maintiennent un rythme de croissance inhabituel relevé à fin 2002 déjà. La BCM voit ainsi s'éroder sa longueur en ce qui concerne le coefficient d'exploitation qui reste très enviable. Ce ratio se dégrade en s'établissant à 44 % mais demeure toujours le plus faible de l'échantillon dont la moyenne est de 50 %. Pour la SGMB, les créances sur la clientèle enregistrent une faible progression de 2,8 %. Quant aux dépôts, ils affichent eux aussi une progression de 3 %. Nonobstant ces deux évolutions mitigées, la marge d'intérêt a progressé de façon plus prononcée (+12 %). Sur la lancée, le PNB réalise une belle performance de +13 %, et ce malgré le mauvais comportement de la marge sur commission. L'évolution positive des différentes composantes de l'exploitation se trouve légèrement pénalisée par le glissement des charges générales d'exploitation qui, en totalisant 425 MDH, affichent une croissance de 5,4 %. Toutefois, grâce à la croissance plus prononcée du PNB, le coefficient d'exploitation n'en a pas tant pâti et recule même de 7 points à 47,7 %, l'un des meilleurs ratios de la place. L'effort de provisionnement est accéléré avec des dotations qui totalisent 167 MDH (+48%). Mais, dans le sillage de l'excellente évolution du RBE (résultat brut d'exploitation), le résultat net affiche la meilleure performance semestrielle de l'échantillon avec une hausse de 47 %, à 212,7 MDH. Au Crédit du Maroc, les dépôts ont progressé plus rapidement que chez la concurrence (+10,8 % contre +4,4 %). Cette banque bénéficie en plus d'un faible coût de refinancement sachant que les comptes non rémunérés représentent 56,4 % de son portefeuille. En revanche, ses créances ont accusé une baisse de 2,2 %, certainement due à une évaluation plus rigoureuse des dossiers. En définitive, le PNB a crû de 3,5 %. Cette évolution mitigée résulte notamment de la stagnation des autres sources de revenus (commissions, opérations de marché). Cette banque se distingue aussi par le coefficient d'exploitation le plus élevé de l'échantillon (59,1 %). Mais sachant que l'essentiel de l'effort de provisionnement est déjà consenti (le taux de couverture se situe à 82 % à fin 2002), la banque s'est payé le luxe de n'inscrire que 72 MDH en dotations (40 % de moins que pour le 1er semestre 2002), dégageant au passage un résultat net en hausse de 34%, la performance la plus élevée de l'échantillon. A la BMCI flotte un léger parfum d'essoufflement. Les concours à la clientèle sont certes en hausse (+6,3 %), mais la banque s'est montrée très prudente au niveau de crédits d'investissement. Paie-t-elle sa débauche d'énergie de ces dernières années ? Dans tous les cas, son PNB est en phase avec celle de notre échantillon (+6,4 % contre 6,9%) et la progression des frais généraux est contenue (+2,8 % contre 3,8 % pour l'échantillon). Par contre, elle ne s'est pas retenue en matière de provisionnement. Ses dotations ont augmenté de 36 % par rapport à la même période de l'année dernière. In fine, elles ont neutralisé la performance du résultat brut d'exploitation (+10,3 %). Ce qui a entraîné la stagnation du résultat net. Wafabank et BMCE consolident leur position Du côté de Wafabank, les bénéfices se sont appréciés de 3 % à 185 MDH. Ce résultat découle d'un PNB en hausse de 10 % sous l'effet d'une croissance des marges d'intérêt (+14 %), en dépit d'une stagnation des créances (+1,6 %), et des marges sur commissions (+35 %). Cette banque continue de renforcer prudemment ses assises dans l'attente d'un éventuel regroupement avec le Crédit du Maroc. Son coefficient d'exploitation a été ainsi ramené à 49,9 % au lieu de 51,6 %) en 2002. BMCE Bank, l'autre mastodonte du secteur, semble vouloir démentir les rumeurs sur son incapacité à sortir du lot. Elle a fait le forcing au niveau du financement (+12 %), mais se montre tiède pour ce qui concerne la collecte des ressources (+2,4 %). Cependant, le motif de satisfaction est que les dépôts non rémunérés représentent actuellement 57 % de l'ensemble contre 54 % une année auparavant et 56,4 % pour notre échantillon. En somme, elle cherche vaille que vaille à réduire ses charges tout en essayant d'exploiter au maximum les gisements de revenus. Ainsi, au terme du premier semestre, son PNB a grimpé de 7,8 %, mais les commissions qui lui servaient de moteur semblent se tarir. La marge a reculé de 4 % contre une hausse de 3 % pour l'échantillon. Cette contre-performance serait très préjudiciable si la banque, qui vient d'inviter la Caisse d'épargne (voir en page 20) à son tour de table, n'avait pas bien surveillé ses frais généraux qui ont fondu de 3,5 %. Mais il faudra attendre la fin de l'année pour savoir si elle est réellement en mesure de se débarrasser de sa graisse. En attendant, BMCE Bank affiche un résultat net de 245 MDH, en hausse de 28 %, en dépit d'une volonté de poursuivre l'assainissement par des provisions plus conséquentes.