Il lui a fallu près de dix ans pour convaincre les Américains de miser sur le marché marocain. Il a tout abandonné pour tenter l'aventure du fast-food. Aujourd'hui, il est patron de l'affaire et gère 5 restaurants. Abderrahmane Belghiti ne s'embarrasse pas de fioritures.Des mots simples, des phrases sobres. Un pragmatisme à l'américaine : il prend le temps de comprendre et répond avec concision et sans détours. Mais il ne dit que ce qu'il veut bien dire. Si cette démarche, conjuguée à un vif esprit d'initiative, a fait craquer les Américains, il doit certainement à d'autres qualités d'avoir été choisi pour représenter le leader du fast-food mondial au Maroc. C'est à 45 ans que cet homme à la mémoire prodigieuse se jette dans les affaires, ou plutôt dans une affaire : la première franchise de Mc Donald en Afrique et dans le monde arabe. C'est en cela que ce cadre supérieur et meneur d'hommes pour le compte de multinationales, qui décide que le moment est venu de devenir son propre patron, a un parcours atypique. Mais commençons par le commencement. Clark and Gamble lui donne le goût de la gestion à l'américaine Natif de la vieille ville de Fès en 1945, ce Sagittaire voit sa famille s'installer à Casablanca dès 1948. Les Belghiti, à l'époque, étaient aussi bien dans le textile que dans les salles de cinéma ou la programmation de films. Leur père construit l'Atlas, une des premières salles de cinéma construites par des promoteurs nationaux. Abderrahmane Belghiti a vu les premiers Maciste et autres Hercule dans une salle de son père. Son frère Mohamed est dans la production cinématographique et son père féru du 7e art. C'est à Cannes, où il devait assister à l'ouverture du festival, qu'il décède en 1983. Abderrahmane Belghiti, lui, après un bac philo à Casablanca, se décide à faire des études de pharmacie à Strasbourg. Mais au bout d'une année, il s'oriente vers l'économie, les finances et le commerce et choisit HEC-Lausanne où il découvre des enseignants américains de renom. Il ne traîne pas en Europe. Sa maîtrise obtenue, en 1970, il rentre au pays et fait un bref passage à la Caisse nationale de sécurité sociale. Il se souvient de son premier salaire : autour de 1 400 DH. Puis il est embauché par une agence de communication en tant que responsable du département conseil. Un hasard heureux puisque Clark and Gamble, multinationale spécialisée en confiserie industrielle, gros client de l'agence, le débauche pour le nommer DG adjoint. Les Sagittaire sont loyaux et Abderrahmane n'échappe pas à la règle. Il restera fidèle à cette entreprise, dont il avait fini par prendre les commandes, 14 ans durant. Il voguera ensuite vers d'autres horizons. On le retrouvera directeur commercial de Lesieur Cristal, en 1987, avant de s'engager dans la belle aventure de 2M. Mais l'homme se rend compte qu'il n'est pas fait pour le salariat. En 1981, à la faveur d'un stage, il avait découvert le monde du fast-food et songeait à importer le concept au Maroc. Utopique pour l'époque : les investisseurs du pays de l'oncle Sam n'avaient alors d'yeux que pour l'Europe. Il devra donc attendre son heure. Le projet mettra près d'une décennie pour mûrir et Abderrahmane gardera le contact avec les Américains de Mc Donald dont il reste l'interlocuteur privilégié. Il les accompagne dans leurs visites au Maroc et les introduit auprès des autorités du pays. En 1990, les Américains décident que l'environnement économique et juridique du Maroc est prêt pour recevoir leur projet. Mais voilà que la guerre contre l'Irak vient contrecarrer les ambitions des uns et des autres. Mais M. Belghiti n'est pas homme à renoncer pour autant. Le grand jour arrive enfin en 1992. M. Belghiti est prêt et décline même la formule de joint-venture qu'on lui propose car elle ne lui assurait pas un contrôle suffisant sur l'affaire. C'est que l'homme ne veut pas être employé mais patron. Mais il doit renoncer à ses activités pour suivre un stage Mc Donald auquel aucun franchisé ne peut déroger. Il doit suivre une formation de 9 à 12 mois où il passe par tous les postes : gestion, marketing, mais aussi cuisine, mise en place des tables, nettoyage… Dans la formation, tout est prévu même des simulations d'interview en temps de crise. Tout cela est complété par un passage à la fameuse Hamburger University à Chicago. Pour les Américains, le stage est incontournable pour un futur gérant car une franchise est, au départ, intuitu personae. Bref, il devient Monsieur Mc Do corps et âme. L'entourage de Abderrahmane Belghiti pense que «tout abandonner et aller à l'aventure sans aucune garantie, c'est de la folie». Il fait la sourde oreille et se rend en France, y suit son stage en se pliant à toutes les contraintes. Le pari sera gagné et les formalités de recherche de l'emplacement et du montage financier se feront sans encombre. Le terrain sera concédé par la commune contre l'engagement de Mc Donald de construire le parking adjacent et le financement sera rondement mené. Il aime à raconter cette anecdote sur cette période : un banquier qui demandait à voir les bilans de Mc Donald s'est vu apostropher par son interlocuteur ainsi : «C'est Mc Donald qui est en droit de jeter un œil aux vôtres pour s'assurer de la santé financière de la banque qui l'accompagne». Au bout du compte, hors le foncier, 25 MDH seront mis sur la table dont 2/3 supportés par Mc Donald et 1/3 apportés par M. Belghiti. Aujourd'hui, Mc Donald Maroc pèse, au titre de la seule franchise accordée à M. Belghiti, 5 restaurants, pour un investissement de 60,6 MDH dont 18,4 millions en fonds propres. Avec le deuxième opérateur, la chaîne compte aujourd'hui 18 restaurants. Mais, Abderrahmane Belghiti, lui, a choisi, dès le départ, de ne pas sortir de l'axe Casablanca-Rabat