c'est bien l'une des rares fois, au Maroc, où les magistrats du siège contredisent leurs collègues du Parquet. En effet, l'une des règles non écrites qui prévaut dans les prétoires marocains concerne la connivence réelle entre les juges et les procureurs. Les téléphones ont dû sonner dans bien des bureaux, et on imagine la fébrilité ambiante qui a secoué ce tribunal d'Inezgane devenu, à son corps défendant, un point de mire national, et même mondial. Alors ? On condamne ou on acquitte ? On sévit, ou «on la joue cool ?». Retour sur images. Dans un premier temps, ignorant de tout de la tempête à venir, un substitut du procureur saisi d'un banal PV de police où il est question de jeunes filles portant des tenues estivales, (donc, forcément légères, ce qui n'est pas prohibé par la loi) opte (c'est son droit) pour une réponse musclée : arrestation des délinquantes, (qualité attribuée à tout auteur d'un délit), placement en garde-à-vue pendant 48 heures, réquisitions sévères, inculpation dans la foulée et hop ! comparution immédiate devant le tribunal des flagrants délits, pour «outrage public à la pudeur et atteinte aux bonnes mœurs», poursuites qui auraient été justifiées après la prestation de J. Lopez, laquelle l'a échappé belle ! Seulement voilà : la société civile marocaine existe, et entend préserver ses droits et défendre ses libertés : la voilà donc qui se mobilise, rameute le ban et l'arrière ban de tout ce qui est féministe, journaliste, ou acteur associatif, tout ce monde prenant la défense des jeunes filles d'Inezgane. Panique au tribunal d'Inezgane : et maintenant on fait quoi, sachant qu'une audience de jugement a déjà été programmée pour le 13 juillet ? Et que quelques centaines d'avocats ont annoncé leur volonté de se constituer pour la défense des prévenues ? Et qu'en pense le ministère, en tant que supérieur hiérarchique de tous les parquets du Royaume, et donc de leurs procureurs ? Nous y reviendrons. Heureusement, happy-end: les jeunes filles sont acquittées, au grand soulagement de tous ceux qui s'étaient mobilisés pour cette cause. Ce verdict apaisant mérite que l'on s'y arrête un instant. D'abord pour faire un constat original : au sein du même tribunal de province coexistent donc deux sortes de magistrats : ceux qui sont conservateurs, sévères et prompts à sévir, comme le substitut qui a décidé les poursuites et, dans le bureau d'à côté, des magistrats modernes, ouverts et conscients du développement de la société, et donc des mœurs. Ensuite, dans les faits, le tribunal fait preuve d'une autre excentricité: c'est bien l'une des rares fois, au Maroc, où les magistrats du siège contredisent leurs collègues du parquet. En effet, l'une des règles non écrites qui prévaut dans les prétoires marocains concerne la connivence réelle entre les juges et les procureurs. Les premiers sont réputés indépendants, les seconds sont sous la tutelle du ministère de la justice. Le tout est censé garantir l'indépendance de la justice. Ça c'est pour la théorie, car dans la pratique il faut être bien naïf ou ignorant du fonctionnement de la justice locale, pour sincèrement penser que le verdict d'acquittement est le fruit de la réflexion d'un juge qui, en son âme et conscience, a décidé d'absoudre les prévenues ! Encore une fois, les téléphones ont dû crépiter sec et tous azimuts : entre les interlocuteurs on a dû parler de tenues d'été, et tiens, aussi de la saison estivale qui s'annonce, des touristes qu'on attend, d'une relance économique espérée avec l'arrivée des Marocains de l'étranger. Autant de sujets tributaires de la réaction officielle devant cet inattendu problème de minijupe. La décision politique n'a pas tardé : il faut sévir (mais pas trop), montrer que l'on est réactif devant la société civile et ses préoccupations, et rassurer nos amis (et clients) étrangers que le Maroc est, et demeurera un pays d'ouverture et de tolérance. Et pour faire passer ce message subliminal, le magistrat (indépendant), reçoit des conseils et directives (tout à fait amicaux) afin que, en son âme et conscience, il décide d'aller à contre-courant de la décision de son collègue (et néanmoins ami) procureur en optant pour un acquittement pur et simple des prévenues. Rien que pour cela, ce jugement mérite de passer à la postérité, sous le titre : «Le jour où un juge courageux a osé braver le parquet» !… Et défense de rire !